ÉMILE RAUDRAC DU BRAY


PROFONDE TOMBE
 
Extrait de : « Des Enfers au goût de miel »

— Copyright © Patrick Émile Carraud, 2000 —


Notre troupe arriva tout au bord du plateau.
Nous surplombions le val étroit,
Et les cimes de ses arbres droits,
Et frêles, cherchant, haut,
La lumière.
 
Au travers des maigres feuillages, s'enfonçant dans l'ombre croissante,
Nous distinguions cette vermine grouillante,
Ces ignobles lâches, la déplorable et cruelle racaille.
 
Éperonnant les côtes de nos montures,
Par les sentiers, par les ravins, nous dévalâmes sous la ramure,
Nos chevaux bousculant de leurs poitrails
Les plus fiers,
Les moins couards,
De ces piètres soudards,
Osant une vaine tentative pour nous empêcher d'atteindre le fond.
 
Et là, nous accomplîmes une belle besogne !
Taillant et frappant dans cette masse d'hommes,
Dans cette forêt exiguë,
D'un coup, nous tranchions têtes, membres, et troncs.
Et des branches en s'abattant,
Crevaient les chétives poitrines et les panses molles.
 
Tout, des jarrets jusqu'aux garrots,
Se teintait de l'argile rouge du sol,
Labouré par les sabots,
Ou bien de sang.
 
Du sang s'accumulant en flaques
Où s'étouffaient les blessés,
Plus sûrement que dans l'eau,
Ou se répandant vers le ruisseau
Charriant en nombre les trépassés,
Et coulant, opaque,
Comme une précieuse liqueur.
 
Et notre sueur,
Chargée de la rouille des casques de fer,
Nous piquait les yeux,
Dégoulinait sur nos torses, nos bras,
Jusqu'en nos gants,
Habillés de fer,
Où se noyaient nos mains,
Le long de nos échines, et plus bas,
Jusqu'en nos brodequins,
Protégés de fer.
Et le sang,
Qui nous éclaboussait, s'y mêlait,
Sous nos broignes, nos cuirasses, nos mailles de fer.
Et nos chevaux de guerre,
Bardés de fer,
Trébuchaient sur les cadavres amoncelés,
De toutes parts recouvrant tôt la terre.
 
Sans pitié aucune à l'égard de ces méprisables gueux,
Nous nous sommes acharnés sur eux !
Hors de leurs ventres par le tranchant de nos glaives fendus,
Leurs tripes se sont répandues !
Après leur avoir percé les flancs, joyeux,
Sur nos farouches destriers, piaffant dans ces viscères immondes,
Nous avons bien ri !
Et nous crachions sur les carcasses étendues, abjectes et viles !
Nous quittâmes ce triste val à jamais fertile,
Et franchissant la crête, nous arrachant à cette tombe profonde,
Nous revînmes au monde.
 
De retour vers le camp de nos ribauds,
De nos valets assommés, massacrés, égorgés,
Et maintenant vengés,
Nous attachions nos regards sévères,
Aux ailes de noires faux tranchant les airs,
Aux vols sombres des corbeaux.
 
Et le tragique spectacle des corps mutilés de nos serviteurs,
Les visages enfoncés,
Les crânes défoncés,
Nous arracha les plus amères pleurs !
Et des injures aux dieux !


— Copyright © Patrick Émile Carraud, 2000 —


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