LA BOËTIE, Étienne (de). La Servitude volontaire ou Le Contr'un. Réimprimé sur le manuscrit d'Henry de Mesmes par D. Jouaust. Paris : Librairie des bibliophiles, 1872. XII p. et 66 p.
LA SERVITUDE VOLONTAIRE OU LE CONTR'UN
— ESSAI - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++ )
Étienne de La Boétie (Sarlat, 1530 – Germignan, 1563) fut, comme Michel Eyquem de Montaigne (château de Montaigne, 1533 – château de Montaigne, 1592), conseiller au parlement de Bordeau. Étienne de La Boétie et Michel de Montaigne se lièrent d'amitié ; d'une amitié particulièrtement vive, dont Montaigne témoignera dans « Les Essais » son œuvre majeure. Nous vous livrons deux passages parmi les plus célèbres du chapitre de ces Essais traitant de l'amitié, et plus précisément de celle que Montaigne partageait avec La Boétie.
MONTAIGNE. Essais . Paris : Hector Bossange, 1828. Tome Ier (de 4). 412 p. Livre I, chapitre 27 (De l'Amitié ), p. 212-213 :
« Ie reviens a ma description de façon plus equitable et plus equable. Omninô amicitiæ, corroboratis iam confirmatisque et ingeniis et ætatibus, iudicaudæ sunt (2) . Au demourant, ce que nous appelions ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu'accointances et familiaritez nouees par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos ames s'entretiennent. En l'amitié de quoy ie parle, elles se meslent et confondent l'une en l'aultre d'un meslange si universel, qu'elles effacent et ne retrouvent plus la cousture qui les a ioinctes. Si on me presse de dire pourquoy ie l'aymois, ie sens que cela ne se peult exprimer qu'en respondant « Parce que c'estoit luy ; parce que c'estoit moy ». Il y a, au delà de tout mon discours et de ce que i'en puis dire particulièrement, ie ne sçais quelle force inexplicable et fatale, mediatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous estre veus, et par des rapports que nous oyions l'un de l'aultre, qui faisoient en nostre affection plus d'effort que ne porte la raison des rapports ; ie crois par quelque ordonnance du ciel. Nous nous embrassions par nos noms : et à nostre premiere rencontre, qui feut par hazard en une grande feste et compaignie de ville, nous nous trouvasmes si prins, si cogneus, si obligez entre nous, que rien dez lors ne nous feut si proche que l'un à l'aultre. Il escrivit une satire latine excellente, qui est publiee, par laquelle il excuse et explique la précipitation de nostre intelligence si promptement parvenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé, car nous estions touts deux hommes faicts, et luy plus de quelque annee, elle n'avoit point à perdre temps ; et n'avoit à se regler au patron des amitiez molles et regulieres, ausquelles il fault tant de précautions de longue et prealable conversation. Cette cy n'a point d'aultre idee que d'elle mesme, et ne se peult rapporter qu'à soy : ce n'est pas une speciale consideration, ny deux, ny trois, ny quatre, ny mille ; c'est ie ne sçais quelle quintessence de tout ce meslange, qui, ayant saisi toute ma volonté, l'amena se plonger et se perdre dans la sienne ; qui, ayant saisi toute sa volonté, l'amena se plonger et se perdre en la mienne, d'une faim, d'une concurrence pareille : ie dis perdre, à la vérité, ne nous reservant rien qui nous feust propre, ny qui feust ou sien ou mien. »
[Note de bas de page n°2 figurant au bas de la p. 212 :] « (2) On ne peut juger de l'amitié qu'après que l'esprit et l'âge sont parvenus à leur maturité. Cic. De amicitiâ, c. 20. »
MONTAIGNE. Essais . Paris : Hector Bossange, 1828. Tome Ier (de 4). 412 p. Livre I, chapitre 27 (De l'Amitié ), p. 220-221 :
« Parce que i'ay trouvé que cet ouvrage a esté depuis mis en lumiere, et à mauvaise fin, par ceulx qui cherchent à troubler et changer l'estat de nostre police, sans se soucier s'ils l'amenderont, qu'ils ont meslé à d'aultres escripts de leur farine, ie me suis dedict de le loger icy.
« Et à fin que la memoire de l'aucteur n'en soit interessee en l'endroict de ceulx qui n'ont peu cognoistre de prez ses opinions et ses actions, ie les advise que ce subiect feut traicté par luy en son enfance par maniere d'exercitation seulement, comme subiect vulgaire et tracassé en mille endroicts des livres. Ie ne foys nul doubte qu'il ne creust ce qu'il escrivoit ; car il estoit assez conscientieux pour ne mentir pas mesme en se iouant : et sçay davantage que s'il eust eu à choisir, il eust mieulx aymé estre nay à Venise qu'à Sarlac ; et avecques raison. Mais il avoit une aultre maxime souverainement empreinte en son ame, d'obeyr et de se soubmettre tres religieusement aux loix soubs lesquelles il estoit nay. Il ne feut iamais un meilleur citoyen, ny plus affectionné au repos de son païs, ny plus ennemy des remuements et nouvelletez de son temps ; il eut bien plustost employé sa suffisance à les esteindre qu'à leur fournir de quoy les esmouvoir davantage : il avoit son esprit moulé au patron d'aultres siecles que ceulx cy. Or en eschange de cet ouvrage serieux, i'en substitueray un aultre, produict en cette mesme saison de son aage, plus gaillard et plus enioué. »
Ainsi donc, nous l'avons pu lire ci-dessus, Montaigne avait souhaité faire de ses Essais un écrin pour La Servitude volontaire de La Boétie ; mais l'usage qu'en firent les protestants le dissuadèrent, lui, Montaigne, le carrièriste ne souhaitant pas courrir le risque de déplaire, de conduire à son terme cette première résolution.
Maintenant il nous semble temps de nous intéresser à l'ouvrage lui-même, à La Servitude volontaire (souvent intitulé Le Contre un, ou Le Contr'un , ou encore [Le] Discours de la servitude volontaire , ou [Le] Discours sur la servitude volontaire ).
Voici ce qu'en écrivent Miguel Abensour et Marcel Gauchet dans la Présentation qu'ils font de l'ouvrage de La Boétie , présentation intitulée : Les Leçons de la servitude et leur destin d'une édition du Discours de la servitude volontaire :
(Premier extrait de la Présentation de Miguel Abensour et Marcel Gauchet :)
« […] N'est-ce pas une question sur notre présent que nous renvoie cette lecture ? N'est-ce pas comme un révélateur de la nouveauté de notre présent que Le Discours de la servitude volontaire , par la nouveauté étrange qu'il nous réserve, agit sur nous ? Aussi ce détour par des lectures multiples prend-il sens pour qui reconnaît en La Boétie, tel Landauer, un éclaireur hors pair, loin en avant sur ceux qui lui succéderont. Ainsi on perçoit d'où nous parle aujourd'hui La Boétie : au-delà du discours politique qui s'est constitué dans l'histoire récente du capitalisme. Il nous rejoint en ce lieu critique toujours à rouvrir depuis lequel rompre avec les illusions de tout ce qui depuis plus d'un siècle s'est donné comme le projet de la liberté. Par la remontée vers La Boétie, c'est une retraversée destructrice de l'espace du discours politique démocratique et révolutionnaire que nous entreprenons. Nous le découvrons s'épuisant sous toutes ses formes à rendre compte de la question amenée au jour par La Boétie. Dans ses multiples naïvetés, lorsqu'il croit que l'époque de la solution est arrivée, dans son aplatissement du problème, il dévoile son incapacité profonde à prendre en charge jusqu'au bout la question sociale. Le Discours exerce une fonction critique incomparable sur les propos de ceux qui s'en emparent : ils croient le tenir, il les frappe secrètement de nullité ou révèle au grand jour leurs limites.
« Très en deçà dans le temps, La Boétie pointe pour nous un au-delà de la vérité politique.
« La Boétie, l'anti-idéologue hors les murs : ni démocrate, ni même libertaire, La Boétie est de la race des guetteurs. Se tournant vers nous : « Est-ce vivre ? » interroge-t-il. […]. » (In : LA BOÉTIE, Étienne. Le Discours de la servitude volontaire – Texte établi par Pierre Léonard – et La Boétie et la question du politique – Textes de Félicité de Lammenais, Pierre Leroux, Auguste Vermorel, Gustave Landauer, Simone Weil, et de Miguel Abensour, Marcel Gauchet, Pierre Clastres et Claude Lefort. Paris : Éditions Payot & Rivages, 2002 (Payot, 1976 ; Payot & Rivages, 1993 – pour l'édition de poche). 334 p. (Petite bibliothèque Payot). P. 25.)
(Deuxième extrait de la Présentation de Miguel Abensour et Marcel Gauchet :)
« C'est à ce qui à propos d'un autre auteur a été salué comme « la naissance de la science politique » qu'il faut rattacher Le Discours de la servitude volontaire .
« Le rapprochement de La Boétie avec Machiavel s'impose, en effet, comme le montre ici même Claude Lefort. L'un et l'autre, les seuls en leur siècle s'agissant proprement du politique, mais combien parlant en leur isolement, tirent radicalement les conséquences du surgissement d'une figure inédite de la domination et parlent du même coup pour l'avenir. En l'une et l'autre œuvre s'accomplit le détachement de la pensée à l'égard d'un mythique fondement de la pensée situé hors de la société.
« Proximité encore, en la singularité délibérée — on a vainement cherché des parentés à l'œuvre de Machiavel, on n'en trouvera guère plus pour La Boétie, pour autant qu'on entreprenne de les chercher.
« Le premier pas de la réflexion dans le Discours n'est-il pas pour éloigner la problématique communément reçue en matière de réflexion politique ? « … je ne veux pas pour cette heure débattre cette question tant pourmenée… [qui] amènerait quant et soi toutes les disputes politiques. » La proximité ne doit pas masquer que La Boétie et Machiavel ne parlent pas du même lieu. En un sens profond, ils pensent depuis des lieux opposés : Machiavel se tient près du Prince, assume le point de vue de celui qui détient le pouvoir ; La Boétie rejoint ceux que leur position dans la société ou leur décision vouent à affronter le pouvoir, ceux qui servent et qui ont à se libérer de la servitude, ceux qui ont à abolir une servitude qui tient plus serrés encore dans sa chaîne les oppresseurs. Aussi pas de parole plus négative que celle du Discours , se déployant d'un refus, s'arrêtant sur un silence, ultime figure du refus. En La Boétie n'est-ce pas le grand antagoniste à la mesure de Machiavel qu'il s'agit de découvrir ?
« Un signe de cette différence dans la proximité, l'exemplaire dissymétrie en même temps que l'étonnant parallélisme du destin posthume des deux œuvres. À l'une, la pleine lumière d'une glose permanente, à l'autre, la précarité souterraine d'une circulation militante. Bruyante incompréhension, d'un côté, qui rejoint l'aveuglement discret, de l'autre côté, de révolutionnaires trop hâtivement persuadés de n'avoir trouvé en La Boétie qu'une arme.
« La Boétie, Machiavel : figures premières, exemplaires, les deux figures de notre modernité politique, figures s'éclairant l'une par l'autre. D'une part, la lucide raison d'État qui trouve son langage, de l'autre porté à l'expression l'indicible savoir qui meut les révoltes 1 .
« Confrontés à l'émergence de la question dont vivent nos sociétés : la liberté des hommes , ils restent l'un et l'autre jusqu'au bout sans illusion, pour se détourner exemplairement l'un de l'autre : Machiavel voulant penser le pouvoir avec la liberté, La Boétie s'arrêtant pour jamais dans le « grand refus » qui force à penser la liberté contre le pouvoir. »
[Note de bas n°1 de page de la p. 25 :] « 1. N'est-ce pas Machiavel qu'il convient d'objecter du reste lorsqu'il faut répondre à l'objection qu'on ne manquera pas de nous opposer avec le Mémoire touchant l'Édit de Janvier (1562) et la pratique politique du parlementaire La Boétie ? » (In : LA BOÉTIE, Étienne. Le Discours de la servitude volontaire – Texte établi par Pierre Léonard – et La Boétie et la question du politique – Textes de Félicité de Lammenais, Pierre Leroux, Auguste Vermorel, Gustave Landauer, Simone Weil, et de Miguel Abensour, Marcel Gauchet, Pierre Clastres et Claude Lefort. Paris : Éditions Payot & Rivages, 2002 (Payot, 1976 ; Payot & Rivages, 1993 – pour l'édition de poche). 334 p. (Petite bibliothèque Payot). P. 42-44.)
Nous terminerons cette introduction à La Servitude volontaire d'Étienne de La Boétie, en précisant que ce dernier, avant que de mourir prématurément, avait déjà produit d'autres œuvres et notamment, parmi celles-ci, une traduction de l'Économique de Xénophon, et en citant un court extrait de l'Avant-propos (rédigé par D. Jouaust) de l'édition (intitulée La Servitude volontaire ou Le Contr'un ) de l'ouvrage que nous vous proposons sur notre site.
« Ceci est bien le livre le plus curieux et de plus étonnant qui ait jamais paru. Rien de plus hardi, mais aussi rien de plus honnête, n'a été écrit « à l'honneur de la liberté contre les tyrans », pour employer les paroles de Montaigne. Toutes les déclamations modernes sur le même sujet n'ont rien dit de plus que ce petit traité, qu'on prendrait, dit M. Villemain, pour « un manuscrit antique trouvé dans les ruines de Rome sous la statue brisée du plus jeune des Gracques ». Les principes de la liberté et de l'égalité humaine s'y trouvent affirmés aussi hautement et aussi complètement que possible ; l'auteur va même, dans ses emportements contre les abus de l'autorité, jusqu'à en nier le principe . […] ». (In : LA BOËTIE, Étienne (de). La Servitude volontaire ou Le Contr'un . Réimprimé sur le manuscrit d'Henry de Mesmes par D. Jouaust. Paris : Librairie des bibliophiles, 1872. XII p. et 66 p. P. I.).
Nous ajoutons pourtant une remarque supplémentaire destinée aux lecteurs qui souhaiteraient trouver sur le sujet abordé dans les pages de La servitude volontaire des éléments complémentaires concernant cette servitude , concernant la soumission . À ces lecteurs nous recommandons la lecture d'un ouvrage quasi incontournable sur ce thème, ouvrage souvent mentionné, parfois cité, rarement amérement critiqué, et dont voici les références : MILGRAM, Stanley. Soumission à l'Autorité . Paris : Calmann-Lévy, 1974. 268 p. (Liberté de l'Esprit) ; voici comme l'éditeur français de l'ouvrage, en sa quatrième page de couverture, présente le travail de S. Milgram :
« Serions-nous tous des fonctionnaires de l'horreur en puissance ? C'est là l'angoissante question que ne pourra s'empêcher de se poser chaque lecteur de Soumission à l'autorité . Le récit qu'y donne le psychosociologue américain Stanley Milgram de ses expériences effectuées en laboratoire entre 1950 et 1963 bouleverse en effet bien des idées reçues.
« D'une enquête apparemment banale sur l'apprentissage et la mémoire, Milgram a fait une fantastique série d'expériences, où des hommes et des femmes recevaient l'ordre d'infliger à une innocente victime des chocs électriques de plus en plus violents. Combien d'entre eux allaient faire taire leur conscience ? Combien d'entre eux allaient, en un mot, obéir ? Et jusqu'où ? Les résultats jetèrent à bas le rassurant édifice des prévisions de toutes origines, notamment celles des psychiatres, et firent naître une controverse passionnée.
« Car c'est l'un des dilemmes les plus importants de notre époque qui se trouve à la base de ces travaux : où finit la soumission à l'autorité, et où commence la responsabilité de l'individu ? À la lumière d'un modèle emprunté à la cybernétique, Stanley Milgram nous propose une analyse originale des processus d'obéissance et de désobéissance.
« Un formidable document sur le comportement humain. Un ouvrage polémique qui a enflammé l'Amérique. »
Nous invitons à lire Stanley Milgram, mais nous suggérons également de lire un autre ouvrage, plus récent que celui de S. Milgram, et traitant d'un sujet tout aussi spécifique et très voisin en définitive : STEMMELEN, Éric. La religion des seigneurs - Histoire de l'essor du christianisme entre le Ier et le VIe siècle . Paris : Michalon, 2010. 316 p.
Nous reproduisons ci-dessous pareillement la quatrième de couverture de l'ouvrage :
« Les débuts du christianisme ont toujours été expliqués en suivant les sources chrétiennes, qui évoquent une vague de conversions et présentent l'essor des Églises comme un phénomène avant tout spirituel.
« Alors même que la recherche académique a fait des progrès considérables, l'histoire sainte continue de déformer notre vision de cette époque. S'appuyant sur des travaux récents et une relecture soigneuse des sources latines et grecques, ce livre reprend à nouveaux frais une question vieille comme le monde. Comment les Églises chrétiennes, qui ne représentent guère que 5% des habitants de l'empire vers l'an 300 sont-elles devenues en un siècle une religion d'État ? De cette révolution culturelle sans précédent, que nous disent l'économie, la sociologie, la science politique ?
« L'essor du christianisme est contemporain d'une crise profonde de l'empire romain, qui voit s'effondrer un modèle économique fondé sur l'esclavage, au moment précis où se développent des latifundia . Faute d'esclaves, comment mettre au travail des hommes libres ? Les vertus attendues d'un citoyen ne sont plus les mêmes. La religion chrétienne raconte et façonne l'homme nouveau. Travailleur, obéissant, tourné vers la famille, il est le socle sur lequel les grands propriétaires fonciers vont édifier une nouvelle économie, avant de s'emparer du pouvoir politique. Et l'empire chrétien établi par Constantin et Théodose va faire ce que font tous les empires : récrire l'histoire. »
MACHIAVEL, Nicolas. Le Prince. Nouvelle traduction précédée de quelques notes sur l'auteur par C. Ferrari. Paris : Librairie de la Bibliothèque nationale, 1873 (indication en page de titre intérieure ; 1872 – 6me édition – en première de couverture). 190 p. (foliotage en caractères latins jusqu'à LIII).
LE PRINCE . Traduction par C. Ferrari
— ESSAI - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++ )
MACHIAVEL. Le Prince (De Principatibus) . Traduction de Jacques Gohory, prieur de Marcilly. Présenté par Raymond Aron. Paris : Éditions Gallimard et Librairie Générale Française, 1962 (© 1962, Raymond Aron, pour la préface). 187 p. Extrait de la Préface , p. 5 :
« Parmi les textes qui passent pour « immortels », ce petit livre occupe une place à part et, je crois bien, unique. Rien n'interdit de le rejeter comme un « méchant essai », inspiré par un esprit de cynisme ou de scandale. Rien n'oblige à y voir un des textes majeurs de la littérature politique. Ce qui est impossible, aujourd'hui autant qu'au premier jour, c'est de l'abandonner avant de l'avoir lu jusqu'au bout, c'est de l'écarter avec indifférence. Le Prince n'a pas gardé sa jeunesse — bien des œuvres mériteraient cet éloge banal — Le Prince a gardé son pouvoir de fascination. Je le sais, mais je ne suis pas sûr de savoir pourquoi.
« Une première réponse vient à l'esprit. Le Prince est un livre dont la clarté apparente éblouit et dont les érudits et les simples lecteurs essaient vainement de percer le mystère. Que voulait dire Machiavel ? A qui voulait-il donner des leçons, aux rois ou aux peuples ? De quel côté se plaçait-il ? Du côté des tyrans ou du côté des républicains ? Ou ni de l'un ni de l'autre ? […] ».
MACHIAVEL. Le Prince . Traduction, présentation et notes par Marie Gaille-Nikodimov. Paris : Librairie Générale Française, 2000. 192 p. (Le livre de poche – Classiques de la philosophie). Extrait de la Présentation , p. 5, 6 :
« Lecteur, tu tiens entre tes mains un texte mille fois lu, sans cesse traduit et infiniment commenté. Solaire et clairvoyant pour les uns, diabolique et courtisan pour d'autres, il a traversé les siècles avec fracas, allant conquérir des lecteurs qui s'en considèrent les disciples, croient y voir énoncées des recettes et veulent les appliquer, qui au politique, qui au militaire, qui à la séduction amoureuse, qui à l'économie de marché. Peut-être ignores-tu que son manuscrit autographe est perdu et que la copie dédicataire parvenue à Laurent de Médicis le jeune, dont la bibliothèque des Médicis a conservé la trace jusqu'au début du XVIIe siècle, a disparu. Aussi son édition, pour être multiple, ne va pas de soi.
« Une lettre de son auteur à un ami, Francesco Vettori, semble nous renseigner sur les circonstances de son écriture. Écarté de la Chancellerie florentine le 12 février 1513, suspecté d'avoir fomenté avec Agostino Capponi et Pierpaolo Boscoli une conjuration contre le cardinal Giuliano de' Medici, torturé et condamné à l'enfermement jusqu'à la mort, il est finalement libéré et assigné à résidence dans sa petite propriété de San Casciano. De là, le 10 décembre 1513, il écrit cette lettre où il décrit ses activités diurnes et nocturnes. Après avoir vaqué dans sa propriété, lu quelque poète auprès d'une source, discuté, joué aux cartes et au trictrac à l'auberge voisine, il rentre chez lui et se rend à son cabinet : « Sur le seuil, j'enlève mes vêtements quotidiens, couverts de boue et tout crottés, et je revêts des habits dignes de la cour d'un roi ou d'un pape ; et vêtu comme il se doit, j'entre dans les antiques cours des Anciens, où, reçu par eux avec amour, je me repais de ce mets qui solum est mien et pour lequel je naquis ; et là je n 'ai pas honte de parler avec eux et de leur demander les raisons de leurs actes ; et eux, par humanité, ils me répondent ; et pendant quatre heures de temps, je ne ressens aucun ennui, j'oublie tout tracas, je ne crains pas la pauvreté, la mort ne m'effraie pas : je me transporte tout entier en eux. Et comme Dante dit qu'il n'est pas de science sans que l'on retienne ce que l'on a compris, j'ai pour ma part noté, dans leur conversation, ce dont j'ai fait mon miel et j'ai composé un opuscule De principatibus, où je me plonge autant que je le peux dans des cogitations à ce sujet, en disputant de ce qu'est un principat, de quelles espèces ils sont, comment ils s'acquièrent, comment ils se maintiennent, pourquoi ils se perdent 1 . » A partir de cette lettre, on ne peut cependant établir avec certitude que la rédaction du texte, tel que nous le lisons aujourd'hui, a occupé Machiavel seulement entre l'été 1513 et le 10 décembre de la même année. Les exégètes proposent plusieurs hypothèses concernant le temps de l'écriture et de la réécriture, qui pourrait s'étendre jusqu'en mai 1514, voire jusqu'en 1518.
« D'autre part, la fortune nous a laissés aux prises d'une double tradition, manuscrite et éditoriale. Le texte est publié pour la première fois en 1532, cinq ans après la mort de Machiavel : d'abord à Rome (édition Blado), puis à Florence (édition Bernardo di Giunta). Pour l'établissement du texte, la tradition manuscrite, qui comporte des copies antérieures à 1532, est néanmoins essentielle, notamment parce que la tradition éditoriale se caractérise par de substantielles corrections et modifications de l'écriture machiavélienne. […] ».
Voici un extrait (chapitre XXII – Des ministres des princes — p. 168-170) de l'œuvre elle-même, de l'édition du texte « Le Prince » que nous vous proposons sur notre site :
« Ce n'est pas une chose de peu d'importance que de choisir des ministres, qui sont bons ou mauvais, suivant la sagesse du souverain. C'est par les gens qui l'entourent que l'on juge de l'esprit et de la prudence d'un prince.
« Quand ils sont capables et fidèles, on doit toujours le croire sage pour avoir su apprécier leur capacité et gagner leur fidélité. Mais quand ils ne le sont pas, on ne peut jamais juger favorablement de lui, attendu qu'un mauvais choix est la plus grande des fautes. Tous ceux qui connaissaient Antoine da Venafro, ministre de Pandolfe Petrucci, prince de Sienne, savaient aussi que Pandolfe était un homme très prudent pour avoir pris un tel ministre.
« Or, il y a trois sortes d'esprits : les uns entendent par eux-mêmes, les autres comprennent tout ce qu'on leur montre, et enfin, il en est qui n'entendent ni par eux, ni par autrui. Les premiers sont très excellents, les seconds sont excellents, et les derniers inutiles.
« Il fallait donc nécessairement que si Pandolfe n'était pas du premier rang, il appartînt au second, car toutes les fois qu'un prince a l'esprit de connaître le bien et le mal que quelqu'un fait ou dit, quoique de lui-même il ne soit pas un homme de génie, il connaît les bonnes et les mauvaises actions de son ministre, et approuve les unes et blâme les autres, et son ministre, ne pouvant jamais espérer de le tromper, reste homme de bien.
« Mais, pour connaître bien un ministre, il est un moyen infaillible. Quand tu vois que ton ministre pense plus à lui qu'à toi, et que toutes ses actions tendent à son profit, il ne sera jamais un bon ministre, et tu ne dois jamais t'y fier. Celui qui manie les affaires d'un État ne doit jamais penser à soi, mais toujours au prince, et ne jamais l'entretenir d'autre chose que de ce qui regarde son État.
« Mais, de son côté, le prince, pour le maintenir bon, doit penser à son ministre ; il doit l'honorer, l'enrichir, captiver sa reconnaissance en lui donnant des dignités et des charges, afin que l'abondance d'honneurs et de richesses l'empêche d'en convoiter de nouvelles, et l'abondance des dignités lui fusse redouter les changements, et qu'il comprenne l'impossibilité de rester en charge sans lui.
« Lorsque les princes et les ministres agissent de la sorte, ils pourront donc se fier l'un à l'autre ; mais quand il en est autrement, il y aura toujours du danger pour les uns et pour les autres. » (In : MACHIAVEL, Nicolas. Le Prince. Nouvelle traduction précédées de quelques notes sur l'auteur par C. Ferrari. Paris : Librairie de la Bibliothèque nationale, 1873 (indication en page de titre intérieure ; 1872 – 6me édition – en première de couverture). 190 p.)
La lecture du Prince de Machiavel se montre exigeante, et suscite nombre d'interrogations. Elle conduit continûment à se poser des questions prégnantes non seulement relativement à des temps révolus certes, mais également, surtout, à des périodes proches, aux temps présents, elle conduit à s'interroger sur le politique, hic et nunc , sur les façons contemporaines de commander, de diriger, de manager…
THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse . Traduction nouvelle par Charles Zevort. Paris : Charpentier, libraire éditeur, 1852. 2 tomes. Tome 1 : XXXII p. et 463 p. Tome 2 : 416 p.
HISTOIRE DE LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE. Traduction de Charles Zevort
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« Thucydide (Thoukudidès ; naissance à Athènes vers 465 av.n.è., décès vers 395 — peut-être assassiné, peut-être à Athènes) fut un homme politique, un militaire, un homme de lettres (historien) athénien. Son élection au poste de stratège le place à la tête d'une force navale chargée d'une intervention sur la côte de Thrace (au nord de la mer Égée). Face au Spartiate Brasidas (commandant les forces de Sparte en Chalcidique et en Thrace) qui s'empara de cités alliées d'Athènes, notamment Amphipolis et Toronè. Thucydide, dirigeant la flotte athénienne basée sur l'île de Thasos (à une dizaine de kilomètres au large de la côte thrace), se montra impuissant face à l'offensive spartiate. Il fut à la suite de cela accusé de trahison. Il s'exila volontairement afin d'échapper à une « sentence de mort », ou fut frappé d'une mesure d'ostracisme (bannissement) ; sa famille y possédant une mine d'or, il passa alors une vingtaine d'année en Thrace. Thucydide, se montra un historien rigoureux, qui, pour la rédaction de ses écrits, voyagea non seulement dans le Péloponnèse mais également en Sicile et en Italie. En exposant de façon chronologique les événement qu'il relata (ceux de la Guerre du Péloponnèse qui opposa Sparte et ses alliés à Athènes et les siens), en évitant toute considération mythologique à connotation merveilleuse, toute référence à un quelconque destin, il montra comment les passions et les intérêts des hommes régissaient les faits historiques, comment la volonté de puissance se montrait déterminante en tant que principal ressort, moteur des actions humaines, comment la morale (devant régir le comportement de l'individu) et la politique (régissant le comportement des États) s'opposaient radicalement l'une à l'autre, comment l'intelligence humaine pouvait permettre de se livrer au décryptage de ces faits historiques afin de conduire à une réflexion pouvant se révéler féconde dans l'appréciation de ce que devait, pouvait, pourrait être la conduite de l'action des hommes. Son style et sa méthode influencèrent Xénophon, Polybe, Salluste et Tacite, notamment. » In : BAUDRY, Marie-Josèphe. CARRAUD, Patrick Émile (avec la collaboration de). Aux Origines de la formation des fonctions de commandement, de management – Aux Sources essentielles des structures hiérarchiques de la civilisation . Fondettes : Carraud-Baudry, 2012. A4 : 468 p. A5 : 740 p. Note n° 562.
Extrait de l'ouvrage Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide :
« XXII […] Pour ce qui est des événements de la guerre, je ne m'en suis rapporté ni aux informations du premier venu, ni même à mon opinion personnelle ; j'ai cru ne devoir rien écrire sans avoir soumis à l'investigation la plus exacte chacun des faits, tout aussi bien ce que j'avais vu moi-même que ce que je connaissais par ouï-dire. Il était difficile, d'ailleurs, de découvrir la vérité car ceux qui avaient assisté aux événements ne s'accordaient pas dans leurs rapports, et les dires des deux partis variaient suivant les inclinations personnelles et la mémoire de chacun. Peut-être aussi ces récits, dépouillés de tout merveilleux, paraîtront-ils moins agréables à la lecture ; mais il me suffira qu'ils soient jugés utiles par ceux qui voudront connaître la vérité sur le passé et préjuger les événements ou identiques, ou analogues, qui naîtront dans l'avenir du fonds commun de la nature humaine. Cet ouvrage est plutôt un bien légué à tous les siècles à venir qu'un jeu d'esprit destiné à charmer un instant l'oreille . » In : THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse . Traduction nouvelle par Ch. Zevort. Paris : G. Charpentier, 1883. 2 tomes. 461 p. et 401 p. Tome premier, livre premier, § XXII, p. 24. (N.B. : la mise en gras d'une partie du texte est de notre fait ; cet extrait comprend la fameuse expression de Thucydide : « Ktéma eis aei » [Κτημα (τε) ες αει : « un bien légué à tous les siècles à venir » ; ou encore, cela se traduit-il souvent par : un trésor pour toujours ].)
Extrait de l'ouvrage Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide :
« XXV. Les Athéniens qui montaient les cent vaisseaux envoyés autour du Péloponnèse avaient été rejoints par les Corcyréens, avec un contingent de cinquante navires, et par quelques autres alliés de ces contrées 1 ; leur croisière porta le ravage sur plusieurs points et en particulier à Méthone de Laconie 2 , où ils firent une descente. Déjà ils attaquaient la muraille, qui était faible et dépourvue de défenseurs ; mais dans le voisinage se trouvait le Spartiate Brasidas, fils de Tellis, à la tête d'un poste de surveillance ; à cette nouvelle, il se porta avec cent hoplites au secours de la place, traversa à la course le camp des Athéniens dispersés dans la campagne et occupés au siège, et se jeta dans Méthone, sans autre perte que celle de quelques hommes tués dans la traversée du camp. Il sauva ainsi la ville et pour cet acte d'audace il obtint le premier, dans cette guerre, les honneurs de l'éloge public à Sparte. […]. » In ; THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse . Traduction nouvelle par Ch. Zevort. Paris : G. Charpentier, 1852. 2 tomes. 461 p. et 401 p. Tome premier, p. 161 (Livre II, chap. XXV).
N.B. ;nous ne reproduisons pas ici les notes de bas de page du texte cité.
Extrait de l'ouvrage Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide :
« […]. Les alliés d'Athènes, ayant mandé ceux des Athéniens qui avaient le commandement, leur déclarèrent qu'ils feraient la paix, et qu'ils participeraient au traité ; sur le consentement de ces chefs, ils firent un accommodement, et les vaisseaux des Athéniens partirent ensuite de Sicile. Au retour des généraux à Athènes, les Athéniens condamnèrent à l'exil Pythodoros et Sophocles, et firent payer une amende au troisième général Eurymédon, sur le motif que, pouvant subjuguer la Sicile, ils s'étaient retirés, gagnés par des présents. C'est ainsi que, se fiant au bonheur présent, ils prétendaient que rien ne leur résistât, mais qu'avec de grands ou de faibles moyens on devait également exécuter ce qui était possible, de même que ce qui était impraticable. Des succès inattendus dans la plupart de leurs entreprises en étaient la cause, par la force qu'ils donnaient à leurs espérances . » In : THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse . Traduction française par Ambr. Firmin Didot – Avec des observations, par M. de Brussy et Amb. Firmin Didot. Tome second, contenant les livres 3 et 4. Paris : Firmin Didot Frères, 1833. 506 p. P. 281 (livre IV, chap. 65). N.B. : la mise en gras d'une partie du texte ci-dessus est de notre fait.
Extrait de l'ouvrage Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide :
« J'ai traversé toute cette guerre, dans un âge où l'intelligence a toute sa force, et j'ai appliqué ma pensée à en connaître exactement les circonstances. Exilé de ma patrie pendant vingt ans, après mon expédition d'Amphipolis, témoin des événements chez les deux peuples, et surtout auprès des Péloponnésiens, à cause de mon exil, j'ai pu en prendre à loisir une plus exacte connaissance. Je vais donc raconter les différends qui s'élevèrent après les dix ans de guerre, la rupture de la trêve et les hostilités qui suivirent. » In ; THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse . Traduction nouvelle par Ch. Zevort. Paris ; G. Charpentier, 1883. 2 tomes. 461 p. et 401 p. Tome second, p. 26 (livre V, chap. XXVI).
Nous vous citons ci-dessous un extrait d'un texte contemporain (BAUDRY, Marie-Josèphe. Manager donator versus manager œconomicus – Une Étude des relations hiérarchiques au sein d'entreprises, une proposition de formation au management éthique : conversation, participation, coopération, don, reconnaissance, confiance . Fondettes : Carraud-Baudry, 2012. A4 : 480 p. A5 : 618 p. A4 : p. 580, 581. A5 : p. 456, 457), relatif au management, et faisant référence à l'ouvrage de Thucydide :
« Avant que de refermer cet ouvrage, invitons les managers à méditer des propos prêtés par Thucydide au roi Archidamos631 et aux représentants des Athéniens lors de l'Assemblée des Lacédémoniens relativement à la décision de déclarer la guerre aux Athéniens. Ce roi incite les Lacédémoniens à réfléchir longuement une décision qui « engage tant de monde et d'argent, tant de cités et tant de gloire », qui peut avoir de graves conséquences dont ils « auront à assumer la plus grande part des responsabilités »632 ; il convient donc d'évaluer ces conséquences avant d'agir, d'envisager d'autres voies.
« Préalablement, les Athéniens ont conseillé aux Lacédémoniens de prendre « le temps de délibérer, car l'affaire est d'importance »633 ; habituellement les négociations s'engagent lorsque beaucoup de mal a été fait par la guerre, là, alors, ces Athéniens encouragent les Lacédémoniens à entamer les négociations avant que de souffrir. Ainsi donc invitons-nous les managers, comme Archidamos les Lacédémoniens, à toujours considérer les avantages et les inconvénients d'une décision, d'une action, d'en discuter avec leurs managés, à toujours réfléchir avant que d'agir. »
Les notes de bas de page correspondant au texte cité ci-dessus sont :
« 631 « Successeur de son grand-père, Léotychidas, Archidamos régna de 476 à 427. » à Sparte. THUCYDIDE. La guerre du Péloponnèse . Préfacé par Pierre Vidal-Naquet, présenté, traduit et annoté par Denis Roussel. Paris ; Gallimard, coll. Folio classique, 2000 (1re éd. . 1964), p. 707.
« 632 THUCYDIDE. La guerre du Péloponnèse . Préfacé par Pierre Vidal-Naquet, présenté, traduit et annoté par Denis Roussel. Paris ; Gallimard, coll. Folio classique, 2000 (1re éd. . 1964), p. 87, livre 1, II, 83.
« 633 THUCYDIDE. La guerre du Péloponnèse . Préfacé par Pierre Vidal-Naquet, présenté, traduit et annoté par Denis Roussel. Paris : Gallimard, coll. Folio classique, 2000 (1re éd. 1964), p. 84, livre 1, II, 78. »
Suivent ici quelques précisions concernant certains des grands hommes ayant vécu à l'époque de Thucydide .
« Périclès : vers 495 – 429 av.n.è. ; Socrate : v. 470 – 399 av.n.è. ; Thucydide : v. 465 – v. 395 av.n.è. ; Xénophon : v. 430 – v. 355 av.n.è. ; Aristote : 384 – 322 av.n.è.
« N.B. : quelques points de repères : Socrate eut pour disciples Xénophon et Platon (Platon : v. 428 – v. 347 av.n.è.) ; Platon eut pour disciple Aristote. Xénophon terminera, dans ses Helléniques , le récit de la Guerre du Péloponnèse laissé inachevé par Thucydide. » In : BAUDRY, Marie-Josèphe. CARRAUD, Patrick Émile (avec la collaboration de). Aux Origines de la formation des fonctions de commandement, de management – Aux Sources essentielles des structures hiérarchiques de la civilisation . Fondettes : Carraud-Baudry, 2012. A4 : 468 p. A5 : 740 p. Note n° 589.
Pour achever notre présentation de l'ouvrage de Thucydide nous citons la fin de la préface que Pierre Vidal-Naquet consacre à La Guerre du Péloponnèse dans une édition d'une traduction de l'œuvre en question par Denis Roussel (THUCYDIDE. La Guerre du Péloponnèse . Texte présenté, traduit et annoté par Denis Roussel. Préface de Pierre Vidal-Naquet. Paris : Gallimard, 2009 — © 2000, pour la préface et la bibliographie : © 1964, pour l'introduction, la traduction et le dossier. 900 p. (Folio classique). P. 30) :
« Denis Roussel a dit quelques mots forts justes sur la destinée posthume de Thucydide 1 . Elle a par ailleurs été étudiée à fond en ce qui concerne l'historiographie allemande du XIXe et du XXe siècle. Je n'ajouterai qu'un mot, concernant la Trame. Plutarque avait dominé la génération des hommes de la Révolution 2 . En 1795, après Thermidor, un érudit, Pierre-Charles Lévesque, publia une nouvelle traduction de Thucydide, avec cette justification ; « Thucydide est, de tous les historiens, celui qui doit être le plus étudié dans les pays où tous les citoyens peuvent avoir un jour quelque part au gouvernement. Un membre très éclairé du Parlement d'Angleterre disait qu'il ne pouvait s'agjter aucune question sur laquelle on ne trouvât des lumières dans Thucydide. »
« Les politiques doivent-ils, encore aujourd'hui, lire Thucydide ? Je ne puis que donner mon sentiment personnel ; on ne sort pas indemne d'une telle lecture, de celle de Thucydide pas plus que de celle de Machiavel 3 . »
Les notes de bas de page du texte cité sont reproduites ci-après :
« 1. Ci-dessous, p. 685.
« 2. Cf. F. Tessitore éd., Tucidide nella storiografia moderna , Morano, Naples, 1994.
« 3. Je ne suis pas le premier, on s'en doute, à faire ce rapprochement. Voir par exemple F. Nietzsche, « Ce que je dois aux anciens », in Crépuscule des idoles , Œuvres philosophiques complètes , VIII, Gallimard, Paris, 1990, p. 147-148. Je dois cette ultime référence à Chrysanthi Avlami. »
XÉNOPHON. Œuvres complètes . Traduction nouvelle avec une introduction et des notes par Eugène Talbot. Paris : Librairie de L. Hachette et Cie , 1867. 2 tomes. Tome 1 : LIX p. et 583 p. Tome 2 : 544 p.
ŒUVRES COMPLÈTES. Traduction d'Eugène Talbot
— ESSAI - PHILOSOPHIE - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++ )
Extrait de l'« Apologie de Socrate » (chap. I — tome 1, p. 197-199 ; nous ne reproduisons pas ici ni les appels de notes ni les notes de bas de pages relatifs au texte cité) :
« Parmi les faits qui concernent Socrate, il en est un qui me parut digne d’être transmis à la mémoire : c’est, lorsqu’il eut été mis en jugement, sa détermination au sujet de son apologie et de sa mort. D’autres, il est vrai, ont écrit sur ce fait, et tous ont bien rendu la noble fierté de son langage, ce qui prouve qu’en cette circonstance Socrate parla bien ainsi. Mais comment dès lors Socrate était convaincu que pour lui la mort était préférable, c’est ce qu’ils n’ont point fait voir clairement ; de sorte qu’il y a quelque déraison dans la hauteur de ses paroles.
« Hermogène cependant, flis d’Hipponicus et ami de Socrate, a donné sur celui-ci des détails qui montrent que la hauteur de ses discours s’accordait parfaitement avec celle de ses idées. En effet, il racontait que, le voyant discourir sur toutes sortes de sujets entièrement étrangers à son procès, il lui avait dit : « Ne devrais-tu pas pourtant, Socrate, songer à ton apologie ? » que Socrate lui avait d’abord répondu : « Ne te semble-t-il pas que je m’en suis occupé toute ma vie ? » A quoi Hermogène lui a demandé de quelle manière : « En vivant sans commettre la moindre injustice, ce qui est, à mes yeux, le plus beau moyen de me préparer une défense. » Hermogène lui ayant dit encore : « Ne vois-tu pas que les tribunaux d’Athènes, choqués parla défense, ont souvent fait périr des innocents, et souvent absous des coupables dont le langage avait ému leur pitié ou flatté leurs oreilles ? — Mais, par Jupiter ! dit Socrate, deux fois déjà j’ai essayé de préparer une apologie, et mon démon s’y est opposé. » Alors Hermogène lui ayant dit que son langage était étonnant : « Pourquoi t’étonner, avait répondu Socrate, si la divinité juge qu’il est plus avantageux pour moi de quitter la vie de ce moment même ? Ne sais-tu pas que jusqu’à présent il n’y a pas d’homme à qui je le cède pour avoir mieux vécu ? Car je sens bien, ce qui est la pensée la plus douce, que j’ai vécu toute ma vie dans la piété et dans la justice; en sorte qu’éprouvant une vive admiration pour moi-même, j’ai trouvé que tous ceux qui étaient en commerce avec moi avaient la même opinion sur mon compte. Mais à présent, si j’avance en âge, je sais qu’il faudra nécessairement payer mon tribut à la vieillesse; ma vue s’affaiblira, j’entendrai moins bien, mon intelligence et j’oublierai plus vite ce que j’aurai appris. Si je m’aperçois de cette perte de mes facultés, et que je me déplaise à moi-même, comment pourrai-je encore trouver du plaisir à vivre? Peut-être, continua-t-il, est-ce par bienveillance que le dieu m’accorde, comme don spécial, de terminer ma vie non-seulement à l’époque la plus convenable, mais de la manière la moins pénible. Car si je suis condamné aujourd’hui, il est certain qu’il me sera permis de la finir par l’espèce de mort que les hommes qui se sont occupés de cette question estiment la plus facile, celle qui gêne le moins les amis et leur cause le plus de regrets du mort. En effet, lorsqu’on ne laisse aucune image pénible et désagréable dans l’esprit des assistants, quand on s’éteint le corps plein de santé et l’âme tout entière à la tendresse, comment ne serait-on pas un objet de regrets ?
« C’est donc avec raison que les dieux m’ont détourné de la préparation de mon discours, quand vous croyiez, tous que je devais par tous les moyens chercher des échappatoires : car, si je l’avais fait, il est certain que j’aurais dû me résoudre, au lieu d’en finir dès ce moment avec la vie, à mourir tourmenté des maladies ou par la vieillesse sur laquelle viennent fondre toutes les infirmités, et cela sans aucun adoucissement. Par Jupiter ! Hermogène, je n’y songerai même pas; mais si, en exposant librement tous les avantages que je crois tenir des dieux et des hommes, ainsi que l’opinion que j’ai de moi-même, je dois offenser les juges, j’aimerai mieux mourir que de mendier servilement la vie et de me faire octroyer une existence plus affreuse que la mort »
Extrait de « Expédition de Cyrus et retraite des dix mille » (livre IV, chap. VII, — tome 2, p. 100, 101 ; célèbre passage de l'Anabase , nous contant comment les mercenaires grecs parviennent en vue du Pont-Euxin ; nous ne reproduisons pas ici ni l'appel de la note ni la note de bas de page relative au texte cité) :
« On arrive le cinquième jour à la montagne sacrée. Cette montagne se nomme Théchès. Quand les premiers eurent gravi jusqu’au sommet et aperçu la mer, ce furent de grands cris. En les entendant, Xénophon et l’arrière-garde s’imaginent que l’avant-garde est attaquée par de nouveaux ennemis : car la était poursuivie par les gens dont on avait brûlé le pays. L’arrière-garde en tue quelques-uns et en fait d’autres prisonniers après avoir tendu une embuscade. On leur prend une vingtaine de boucliers d’osier, recouverts d’un cuir de bœuf cru avec ses poils.
« Cependant les cris augmentent à mesure que l’on approche : de nouveaux soldats se joignent incessamment, au pas de course, à ceux qui crient: plus le nombre croît, plus les cris redoublent, et il semble à Xénophon qu’il se passe là quelque chose d’extraordinaire. Il monte à cheval, prend avec lui Lycius et les cavaliers, et accourt à l’aide. Mais aussitôt ils entendent les soldats crier : Mer! Mer! et se féliciter les uns les autres.
« Alors tout le monde accourt, arrière-garde, équipages, chevaux. Arrivés tous au sommet de la montagne, on s’embrasse, soldats, stratèges et lochages, les yeux en larmes. Et tout à coup, sans qu’on sache de qui vient l’ordre, les soldats apportent pierres et élèvent un grand tertre. […]»
Extrait de « Expédition de Cyrus et retraite des dix mille » (livre VII, chap. VIII, note de bas de page n°1 — tome 2, p. 190 ; il s'agit ici du texte de la dernière note de bas de page de la traduction par Eugène Talbot de l'Anabase ) :
« 1. « Là se termine la retraite des Dix mille. En 15 mois et en 215 étapes, ils avaient parcouru, tant à l’aller qu’au retour, 5800 kilomètres. Cette marche victorieuse à travers tout l’empire prouvait l’inconcevable faiblesse des Perses : révélation dangereuse, qui ne sera pas perdue pour Agésilas, et Alexandre. » V. DURUY. »
Extrait de « Cyropédie ou éducation de Cyrus » (livre Ier, chap. Ier — tome 2, p. 191, 192) :
« Une pensée nous venait un jour à l'esprit : c'est le grand nombre de démocraties renversées par des gens qui préféraient tout autre gouvernement à la démocratie, puis le nombre de monarchies et d'oligarchies détruites par des factions démocratiques, enfin le nombre d'hommes qui, voulant exercer la tyrannie, ont été renversés en un clin d'œil, tandis que d'autres, pour s'être maintenus quelque temps, sont admirés comme gens prudents et chanceux. Nous réfléchissions aussi que, dans les maisons privées, composées, les unes d'une foule de domestiques, les autres d'un personnel peu nombreux, il se trouve des maîtres qui ne sauraient se faire obéir même de ce petit nombre. Nous songions encore que les bouviers commandent auï boeufs, les palefreniers aux chevaux, et qu'enfin tous ceux qu'on appelle pasteurs sont considérés comme les chefs de ces animaux qu'ils surveillent. Or, il nous semblait voir que ces troupeaux obéissent plus volontiers à ceux qui les conduisent, que les hommes à ceux qui les gouvernent. Car les troupeaux vont où les pasteurs les mènent, paissent dans les endroits où on les lâche, s'abstiennent de ceux dont on les écarte, et laissent les pasteurs user de ce qu'ils rapportent absolument comme ils l'entendent. En effet, nous n'avons jamais appris qu'aucun troupeau se soit révolté contre le pasteur, ou pour ne point obéir, ou pour ne pas leur permettre d'user du produit qu'il leur donne. Il y a plus, les troupeaux sont moins faciles à tous les étrangers qu'à ceux qui les gouvernent et qui en tirent profit. Les hommes, au contraire, conspirent de préférence contre ceux qu'ils voient entreprendre de les gouverner.
« Ces réflexions nous conduisaient à conclure qu'il est facile à quiconque est né homme de gouverner toute espèce d'animaux, plutôt que des hommes. Mais quand nous eûmes considéré que jadis Cyrus le Perse eut sous sa domination une immense quantité d'hommes qui lui obéirent, une immense quantité de villes et une quantité immense de nations, nous fûmes obligé de changer d'avis et de reconnaître que ce n'est point une œuvre impossible, ni même difficile, de gouverner les hommes, quand on s'y prend avec adresse. En effet, nous savons que des hommes se sont empressés d'obéir à Cyrus, bien qu'éloignés de lui d'une marche d'un grand nombre de journées et même de mois, quelques-uns ne l'ayant jamais vu, et d'autres sachant qu'ils ne le verraient jamais : et cependant ils voulaient être ses sujets. Aussi laissa-t-il bien loin derrière lui les autres rois qui ont hérité du pouvoir paternel ou qui ont acquis par eux-mêmes leur empire. […]. »
Voici maintenant une courte biographie de Xénophon tirée d'un texte contemporain… Extrait d'une note (note n°3) de bas de page d'un ouvrage de Baudry Marie-Josèphe et Carraud Patrick Émile (BAUDRY, Marie-Josèphe. CARRAUD, Patrick Émile. Aux Origines de la formation des fonctions de commandement, de managment – Aux Sources essentielles des structures hiérarchiques de la civilisation . Fondettes : Carraud-Baudry, 2012 (édition numérique, PDF, A4 : 468 p., A5 : 740p.). Chapitre Ier , note n°3 (A4 : p. 14 ; A5 :p. 19, 20). Copyright © Carraud-Baudry, 2012 :
« Xénophon d’Athènes (v. - 430,v. - 355) fut l’un des disciples de Socrate ; avec qui il aurait combattu comme dans l’armée athénienne à la bataille de Délium en 424 av.n.è., où Socrate lui aurait sauvé la vie.
« Plus tard, de retour d’Asie, il rédigera pour la défense posthume de Socrate l’« Apologie de Socrate » et les « Mémorables » (ou « Mémoires sur Socrate »). En 401 av.n.è. il rejoignit l’un de ses amis, Proxenos, en Asie, et se joignit à la troupe de mercenaires grecs au service de Cyrus-le-Jeune (N.B. : il ne s’agit pas là du Cyrus, Cyrus II-le-Grand, de la Cyropédie), fils de Darius II en lutte pour le pouvoir contre son frère Artaxerxès II Mnémon. Cyrus-le-Jeune fut défait et perdit la vie à la bataille de Cunaxa, dès 401.
« Artaxerxès fit assassiner les chefs des dix mille mercenaires grecs qui avaient servi son frère, qui se alors cinq généraux, et parmi eux Xénophon, pour conduire leur retraite. Xénophon nous contera l’aventure de cette retraite des Dix mille à travers l’Empire perse et jusqu’à la Mer Noire dans l’« Anabase » (ou « Expédition de Cyrus et retraire des Dix mille »). Ensuite il servit avec quelques milliers d’hommes le roi de Thrace, puis s’engagea sous les ordres du roi de Sparte Agélisas II, retourna en Asie, et combattit contre les Perses. La république d’Athènes le frappa d’une mesure d’exil et confisqua ses biens. Xénophon combattit dans les rangs spartiates contre les armées athéniennes à la bataille de Coroné (394 av.n.è.). Il se retira ensuite dans le domaine que Sparte lui avait octroyé, dans une de ses colonies, en Élide, à Scillunte (ou Scillonte). La révocation par les Athéniens de la mesure de bannissement prise à son encontre ne fut levée qu’en 369 av.n.è.. Il est possible qu’il ne revint jamais à Athènes et mourut à Corinthe ; après avoir beaucoup vécu et beaucoup écrit. » ; (copyright © Carraud-Baudry, 2012 ).
Les ouvrages de Xénophon se trouvent traduits sous des intitulés différents . Les textes intitulés par Eugène Talbot dans sa traduction des œuvres de Xénophon, (a) Mémoires sur Socrate , (b) De l'Économie , (c) De l'Équitation , (d) Le Commandant de cavalerie , (e) De la Chasse , (f) Histoire grecque , (g) Expédition de Cyrus et retraite des dix mille (N.B. : il s'agit là de Cyrus le Jeune ; en révolte contre le Grand Roi son frère Artaxerxès II Mnémon, il est tué lors de la bataille de Cunaxa en 401 avant n.è.), (h) Cyropédie ou éducation de Cyrus (N.B. : il s'agit là de Cyrus II le Grand, fondateur de l'empire perse achéménide ; il meurt vers 528 avant n.è.), (i) Gouvernement des Lacédémoniens , (j) Lettres … sont, par exemple, intitulés par d'autres traducteurs , respectivement, (a) Les Mémorables (ou encore Entretiens mémorables de Socrate …), (b) [L'] Économique (ou encore La Mesnagerie ), (c) De l'Art équestre , (d) [L' ] Hipparque , (e) [L' ] Art de la chasse , (f) Les Helléniques , (g) [L' ] Anabase (ou encore La Retraite des dix mille ou l'expédition de Cyrus contre Artaxerxès ), (h) [La ] Cyropédie ou histoire Cyrus , (i) Constitution des Lacédémoniens (ou encore Constitution de Sparte ), (j) Correspondance …
Le lecteur souhaitant en apprendre plus, décrypter plus avant les textes de Xénophon , pourra consulter avec profit un excellent ouvrage : AZOULAY, Vincent. Xénophon et les grâces du pouvoir – De la charis au charisme . Paris : Publications de la Sorbonne, 2004. 512 p.
Ce lecteur pourra également consulter un texte d'un autre auteur, Voltaire (homme à la dent dure , et pas seulement à l'égard de Jeanne d'Arc), beaucoup moins aimable à l'égard de Xénophon que notre contemporain Vincent Azoulay, in : VOLTAIRE. Œuvres de Voltaire avec préface, notes, etc. par M. Beuchot . Tome XXXII. Dictionnaire philosophique – Tome VII. Paris : Lefèvre, Werdet et Lequien Fils, 1824. Article Xénophon, et la retraite des dix mille . Extrait (p. 500-502) :
« […] Je vois que ces héros, à peine arrivés, après tant de fatigues, sur le rivage du Pont-Euxin, pillent indifféremment amis et ennemis pour se refaire. Xénophon embarque à Héraclée sa petite troupe, et va faire un nouveau marché avec un roi de Thrace qu’il ne connaissait pas. Cet Athénien, au lieu d’aller secourir sa patrie accablée alors par les Spartiates, se vend donc encore une fois à un petit despote étranger. Il fut mal payé, je l’avoue ; et c’est une raison de plus pour conclure qu’il eût mieux fait d’aller secourir sa patrie.
« Il résulte de tout ce que nous avons remarqué, que l’Athénien Xénophon, n’étant qu’un jeune volontaire, s’enrôla sous un capitaine lacédémonien, l’un des tyrans d’Athènes, au service d’un rebelle et d’un assassin; et qu’étant devenu chef de quatorze cents hommes, il se mit aux gages d’un barbare.
« Ce qu’il y a de pis, c’est que la nécessité ne le contraignait pas à cette servitude. Il dit lui-même qu’il avait laissé en dépôt, dans le temple de la fameuse Diane d’Ephèse, une grande partie de l’or gagné au service de Cyrus.
« Remarquons qu’en recevant la paie d’un roi, il s’exposait à être condamné au supplice, si cet étranger n’était pas content de lui. Voyez ce qui est arrivé au major-général Doxat, homme né libre. Il se vendit à l’empereur Charles VI, qui lui fit couper le cou pour avoir rendu aux Turcs une place qu’il ne pouvait défendre.
« Rollin, en parlant de la retraite des dix mille, dit que « cet heureux succès remplit de mépris pour Artaxerxès les peuples de la Grèce, en leur fesant voir « que l’or, l’argent, les délices, le luxe, un nombreux sérail, fesaient tout le mérite du grand roi, etc. »
« Rollin pouvait considérer que les Grecs ne devaient pas mépriser un souverain qui avait gagné une bataille complète; qui, ayant pardonné en frère, avait vaincu en héros; qui, maître d’exterminer dix mille Grecs, les avait laissés vivre et retourner chez eux; et qui, pouvant les avoir à sa solde, avait dédaigné de s’en servir. Ajoutez que ce prince vainquit depuis les Lacédémoniens et leurs alliés, et leur imposa des lois humiliantes; ajoutez que dans une guerre contre des Scythes nommés Cadusiens, vers la mer Caspienne, il supporta, comme le moindre soldat, toutes les fatigues et tous les dangers. Il vécut et mourut plein de gloire ; il est vrai qu’il eut un sérail, mais son courage n’en fut que plus estimable. Gardons-nous des déclamations de collège.
« Si j’osais attaquer le préjugé, j’oserais préférer la retraite du maréchal de Belle-Isle 1 à celle des dix mille. Il est bloqué dans Prague par soixante mille hommes, il n’en a pas treize mille. Il prend ses mesures avec tant d’habileté qu’il sort de Prague, dans le froid le plus rigoureux, avec son armée, ses vivres, son bagage, et trente pièces de canon, sans que les assiégeants s’en doutent. Il a déjà gagné deux marches avant qu’ils s’en soient aperçus. Une armée de trente mille combattants le poursuit sans relâche l’espace de trente lieues. Il fait face partout ; il n’est jamais entamé ; il brave, tout malade qu’il est, les saisons, la disette, et les ennemis. Il ne perd que les soldats qui ne peuvent résister à la rigueur extrême de la saison. Que lui a-t-il manqué ? une plus longue course, et des éloges exagérés à la grecque. »
Note du bas de la page 502 (à propos de la retraite du maréchal de Belle-Isle ) : « 1. En 1742, voyez tome XXI, le chapitre VII du Précis du siècle de Louis XV . B. »
TACITE. La Germanie . Cet ouvrage a été expliqué littéralement, traduit en français et annoté par M. Doneaud, licencié ès lettres. Les auteurs latins expliqués d'après une méthode nouvelle par deux traductions françaises l'une littérale et juxtalinéaire présentant le mot à mot français en regard des mots latins correspondants l'autre correcte et précédée du texte latin — avec des commentaires et des notes par une société de professeurs et de latinistes . Paris : Librairie Hachette et Cie , 1898. 112 p.
LA GERMANIE. Traduction de M. Doneaud
— ESSAI - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++ )
Tacite — LA GERMANIE. Traduction de M. Doneaud. — (format PDF).
N.B. : numérisation : Internet Archive - Université d'Ottawa [University of Ottawa] ; téléchargement depuis : https://archive.org ; simplement avons-nous supprimé les quatre pages de couvertures et quleques pages de garde (muettes).
Extraits de « La Germanie » …
Extrait (chap. VIII ; p. 20) :
« VIII. On raconte que des armées déjà ébranlées et en déroute ont été ralliées par des femmes, à force de prières. Elles présentaient leur sein aux fuyards, en leur peignant les horreurs de la captivité qui les attendait, captivité qu'ils redoutent bien plus pour leurs femmes que pour eux-mêmes. Ce sentiment est tel que, pour s'assurer plus efficacement de la fidélité d'un canton, on exige aussi, dans le nombre des otages, quelques filles de distinction. Bien mieux, ils supposent aux femmes un caractère sacré, une inspiration divine, ce qui fait qu'ils ne dédaignent pas leurs avis, et ne négligent pas leurs conseils. Nous avons vu, sous Vespasien, Véléda regardée longtemps par la plus grande partie de la nation comme une divinité. Et anciennement ils rendirent un culte à Aurinia et à bien d'autres, mais non point par adulation : ils ne s'imaginaient pas faire des déesses. »
Extrait (chap. XI, XII, XIII ; p. 26, 28, 30, 32) :
« XI. Les affaires peu importantes sont réglées par les chefs ; les choses sérieuses, parla nation ; cependant dans celles-ci même, dont la décision appartient au peuple, la discussion est réservée aux chefs. Hormis des cas extraordinaires et pressants, ils s'assemblent à des jours fixes, au commencement de la nouvelle et de la pleine lune, temps qu'ils jugent le plus favorable pour traiter les affaires. Nous comptons par jours ; eux, ils comptent par nuits. Ils assignent à une certaine nuit, ils conviennent d'une nuit, la nuit leur semble marcher avant le jour. Un des inconvénients de leur liberté, c'est qu'ils n'arrivent point à la fois, pour ne pas avoir l'air d'obéir à un ordre ; de là une perte de deux ou trois jours par leur lenteur à se réunir. Lorsque l'assemblée paraît suffisamment nombreuse, ils prennent place tout armés. Les prêtres qui sont alors chargés de maintenir l'ordre commandent le silence. Ensuite le roi, ou celui des chefs que distingue le plus son âge, sa naissance, sa considération militaire, son éloquence, prend la parole, et se fait écouter plutôt par l'ascendant de la persuasion que par l'autorité du commandement. Si son avis déplaît, ils le rejettent avec des murmures ; pour approuver, ils agitent leurs framées. Cette approbation, qui s'exprime par les armes, est la plus flatteuse.
« XII. On peut aussi accuser devant ces assemblées, et y déférer les affaires criminelles. Les peines varient selon le délit : on pend à un arbre les traîtres et les transfuges ; les lâches, les efféminés et les gens déshonorés sont plongés dans la fange d'un marais, et noyés sous une claie. Cette diversité de supplices tient à l'opinion qu'il faut montrer la punition des crimes, mais cacher l'infamie. Il y a pour des fautes plus légères des peines proportionnées : les coupables sont condamnés à payer tant de chevaux, tant de bétail ; une partie de l'amende est au profit du roi ou de la cité ; l'autre, au profit de l'offensé ou de ses proches. C'est dans ces mêmes assemblées qu'on élit aussi les chefs qui rendent la justice dans les cantons et dans les bourgades. On leur donne à chacun cent compagnons tirés du peuple pour les conseiller tout à la fois et donner du poids à leurs arrêts.
« XIII. Ils ne traitent aucune affaire publique ou privée sans être armés. Mais nul ne peut porter les armes avant que la cité ne l'en ait jugé capable. En ce cas, c'est dans l'assemblée même que l'un des chefs, le père ou un parent, décore le jeune homme du bouclier et de la framée ; c'est leur robe virile, c'est le premier honneur décerné à la jeunesse ; jusque là, ils n'étaient que membres de la famille, ils deviennent membres de l'État. Une très-haute naissance, ou les services signalés des ancêtres, donnent le rang de chef même à des adolescents. Les autres s'engagent au service de guerriers plus âgés, et qui ont fait depuis longtemps leurs preuves ; et il n'y a point de honte à être parmi les compagnons. Il y a même des distinctions attachées à ce rang, et que les chefs auxquels ils s'adjoignent leur décernent ; et il existe une grande émulation entre ceux-là, d'une part, pour obtenir le premier rang auprès de leur chef ; entre ceux-ci, de l'autre, pour avoir le plus de compagnons et les plus braves. On n'a de considération, on n'a de pouvoir qu'autant que l'on est sans cesse entouré d'une troupe de jeunes gens nombreuse et choisie ; c'est un honneur en temps de paix, c'est une défense pour la guerre. Et ce n'est pas seulement dans la nation, c'est jusque chez les peuples voisins que se répand ce bruit glorieux, qu'un chef est le premier par le nombre et le courage de ses compagnons. On le recherche par des ambassades ; on le comble de présents ; le plus souvent sa renommée seule termine les guerres. »
Voici un extrait d'un autre ouvrage… Extrait de la Préface p. XII-XIV de : TACITE. ŒUVRES COMPLÈTES DE TACITE . Traduction de Dureau de Lamalle. Nouvelle édition. Revue avec le plus grand soin par M. Charpentier, inspecteur honoraire de l'académie de Paris, agrégé de la Faculté des Lettres. Paris : Garnier Frères, libraires-éditeurs, S.D. (dépôt légal : 1900). Tome premier. 590 p. Préface, p. XII-XIV :
« […]
« La Germanie suivit de près la Vie d'Agricola : Tacite l'écrivit dans le cours de l'année 98. Quel but s'est-il proposé en la composant ? a-t-il, comme le pense J. J. Rousseau, en peignant les mœurs simples, les vertus natives des Germains, voulu se distraire du spectacle affligeant de la corruption romaine, et, en apparence occupé de la Germanie, est-il vrai qu'il ne perde jamais Rome de vue ? En un mot cet ouvrage est-il un document historique, ou une satire à l'adresse des Romains. Sans doute, en peignant la Germanie, Tacite n'oublie pas Rome ; mais ce contraste s'offre à lui naturellement : il ne le cherche pas. Une pensée plus haute, un dessein plus patriotique, guidait la plume de l'écrivain. Pendant tout le règne de Domitien, et en dépit ou plutôt à cause des faux triomphes de ce prince, les Germains avaient insulté la puissance romaine. Domitien mort, rien n'importait donc plus que de pourvoir à la sûreté des frontières et de rappeler les barbares au respect du nom romain. Aussi ce fut le premier soin de Trajan, qui, pour mieux contenir ces peuples, ne se hâta pas, même après la mort de Nerva, qu'il apprit à Cologne, de retourner en Italie. Cette absence du nouvel empereur, impatiemment attendu à Rome, y faisait beaucoup parler les Romains. La pensée de Tacite n'en dut-elle pas être éveillée et son attention portée de ce côté-là ? Qu'on me permette une autre conjecture, qui, si elle était fondée, expliquerait comment cette idée de faire connaître les Germains a dû naturellement venir à Tacite. A la mort d'Agricola, Tacite, nous l'avons dit, était depuis plusieurs années absent de Rome et de l'Italie ; pour quel motif et pour quelle fonction ? on l'ignore : nous avons supposé qu'il était quelque part propréteur ; mais ce n'est là qu'une hypothèse. Toujours est-il que, propréteur, ou simple voyageur, il put visiter les peuplades germaniques. Si on a cru devoir conclure de l'exactitude des détails stratégiques qu'il donne, exactitude plus d'une fois en défaut cependant, qu'il avait passé par les camps,ne serait-il pas aussi naturel de conclure de la fidélité avec laquelle il décrit le sol, les mœurs, les lois des diverses nations de la Germanie, qu'il l'a parcourue et soigneusement étudiée ? Quelle vérité, en effet, et quelle vigueur de pinceau ! les tableaux qu'il en a tracés sont vrais et vivants aujourd'hui encore. « Tacite, dit Rousseau, a mieux décrit les Germains de son temps qu'aucun écrivain n'a décrit les Allemands d'aujourd'hui ; et, comme dans les poèmes d'Homère on reconnaît sous la Grèce moderne la Grèce antique, ainsi dans la Germanie on retrouve l'Allemagne de nos jours. » Et nous aussi, nous nous y reconnaissons ; là en effet sont la plupart de nos origines : la féodalité et la chevalerie, l'honneur déjà et le culte de la femme ; nous y apercevons cette Velléda « qui, on l'a très-bien dit, n'était qu'un nom chez Tacite et est devenue une figure vivante sous l'évocation et au coup de baguette de Chateaubriand.» Ajoutons pour dernier trait ce mot de Montesquieu : « C'est l'ouvrage d'un homme qui abrège tout parce qu'il voit tout. » »
Nous avions eu, voici quelques temps déjà, l'occasion d'entendre une interview d'un ancien ministre de l'Éducation nationale (et de la Jeunesse, et de la Recherche), qui fut professeur de philosophie, s'épancher auprès d'un journaliste relativement au fait d'avoir expliqué à de jeunes interlocuteurs que la situation de la femme ici, que la démocratie, ici, en occident, en France, relevaient de l'ordre du « miracle ». Quant à nous, nous osons penser qu'il ne s'agit pas là d'un miracle , de miracles , en ces occurrences, mais bien d'un héritage , d'héritages ! indo-européens… Pour quelques plus amples précisions en la matière nous vous renvoyons à la lecture de l'un des ouvrages d'une autre de nos collection (Felix qui potuit rerum cognoscere causas ), à savoir : BAUDRY, Marie-Josèphe. CARRAUD, Patrick Émile. Aux Origines de la formation des fonctions de commandement, de management – Aux Sources essentielles des structures hiérarchiques de la civilisation – Concises ou circonstanciées considérations historiques relatives au commandement, au management des hommes au cours des âges, depuis les origines à la chute de l'empire romain, à la naissance de l'europe ; mais aussi, incidemment, au cours d'époques plus récentes, au cours des temps contemporains . Fondettes : Carraud-Baudry, 2012. A4 : 468 p. ; A5 : 618 p. (livre numérique – PDF) ; cf. tout spécialement les chapitres V (§ 2, 2.1, 2.2, 4, 4.2), VII (§ 1, 1.2, 1.3, 1.5, 1.7, 2, 2.3, 2.3.1, 2.3.2), IX .
APOLLONIOS DE RHODES. Les Argonautiques . Traduction française par H. de La Ville de Mirmont. Fondettes : Carraud-Baudry, 2015. A5 : 276 p. (Livre numérique - PDF).
LES ARGONAUTIQUES. Traduction par H. de La Ville de Mirmont
— HISTOIRE - LÉGENDE - MYTHES — (+++++ )
APOLLONIUS DE RHODES. Jason et Médée . Gravures de Méaulle. Traduction et notices de A. Pons. Paris : A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1882. 119 p.
JASON ET MÉDÉE. Traduction et notices de A. Pons
— HISTOIRE - LÉGENDE - MYTHES — (+++ )
Apollonius de Rhodes — JASON ET MÉDÉE. Traduction et notices de A. Pons. — (format PDF).
N.B. :
Jason et Médée : il ne s'agit pas d'une traduction intégrale du texte d'Apollonios de Rhodes (Les Argonautiques ), mais d'une traduction fragmentaire, concernant les chants III et IV seulement ; voici la justification du traducteur, qui rédige un court résumé des chants précédents (pages 13 et 14 de l'introduction — intitulée Apollonius de Rhodes — de l'ouvrage) :
« Afin de donner le chef-d'œuvre au complet, mais sans rien d'accessoire, nous avons dû ne prendre le texte grec qu'au moment où l'action s'engage dans toute sa vivacité. Quelques détails préliminaires suffiront à mettre le lecteur au courant de la situation et de l'état des personnages.
« Des amours de Neptune avec une nymphe naquit le bélier parlant dont la toison était d'or. Neptune en fit présent au roi de Béotie Adamas, Le fils de ce prince, Phrixus, persécuté par Ino, sa marâtre, partit sur ce bélier avec sa sœur Hellé, qui se noya, en traversant le détroit ou bras de mer appelé depuis lors Hellespont . Phrixus aborda donc seul avec son bélier sur les côtes de la Colchide, où il fut accueilli par le roi Eétès, dont il épousa la fille Chalciope. Plus tard, Pélias, roi de Jolcos, en Thessalie, craignant, d'après un présage, que Jason, son neveu, ne le détrônât, lui imposa la mission d'aller reconquérir ce précieux trésor et le fit partir avec cinquante jeunes gens sur le navire Argo. Après de nombreuses aventures, les Argonautes eurent la bonne fortune de rencontrer les fils de Chalciope et de Phrixus, qui avaient fait naufrage en allant en Grèce. Ils les sauvèrent et abordèrent avec eux à l'embouchure du Phase, non loin d'Æa (Colchos), capitale de la Colchide. Au moment où notre récit commence, Chalciope, dans la crainte que ses fils ne soient devenus suspects au roi, leur grand-père, depuis leur rencontre avec les étrangers, fait cause commune avec ceuxci et cherche à intéresser en leur faveur sa plus jeune sœur Médée, habile autant que Circé, leur aînée, dans Tart des enchantements. On comprend que la jeune fille consente à sauver des neveux de son âge et qu'elle aime comme des frères. Le désir de leur être utile va l'engager dans le parti des Grecs et colorer d'abord à ses yeux les démarches hardies que lui inspirera son amour pour Jason. »
Voici un extrait d'un ouvrage rapportant comment un universitaire procéda à la reconstruction d'une galère de l'âge du bronze et se lança sur les mers dans la reconstitution du périple de Jason et des Argonautes…
« C'est le roi Péléas qui les envoya. Il avait reçu un oracle qui lui prédisait un sort affreux — la mort par suite des machinations de l'homme qu'il verrait venir de la ville avec un pied nu… La prophétie se confirma bientôt. Jason, en traversant l'Anavros pendant une crue d'hiver, perdit une de ses sandales qui resta dans le lit de la rivière bouillonnante, mais sauva l'autre de la vase, et se présenta peu après au roi. À peine Péléas le vit-il, qu'il songea à l'oracle et décida de l'envoyer dans une périlleuse aventure au-delà des mers. Il espérait qu'au large ou dans les pays étrangers, il surviendrait à Jason tant de mésaventures qu'il ne reverrait jamais sa ville natale.
« Ainsi commence la première légende de voyage de la littérature occidentale : l'épopée de Jason et des Argonautes partis à la conquête de la Toison d'Or. Elle retrace l'aventure d'une grande galère, montée par des héros de la Grèce antique, partie vers un pays lointain en direction de l'est. Là, dans les branches d'un chêne, non loin d'un fleuve, se trouvait une Toison sacrée, en or, gardée par un immense serpent. Si les héros parvenaient à rapporter la Toison en Grèce, le prince Jason, l'homme à une seule sandale, reprendrait à son demi-oncle, l'usurpateur Péléas, le trône dont il était l'héritier légitime. Au cours de leur voyage, raconte la légende, nos héros rencontrent plus d'une aventure : ils accostent dans une île peuplée uniquement de femmes, qui désirent faire d'eux leurs maris ; un chef de tribu barbare les provoque en un combat singulier, dont le perdant mourra sous les coups ; les redoutables Sympligades — les Roches-qui-se-heurtent — leur barrent le passage et ils n'évitent le naufrage que d'un cheveu. Un prophète aveugle, tourmenté par des démons femelles ailés, leur donne des indications précieuses, et quand les Argonautes atteignent enfin le pays lointain, la fille du roi, la princesse Médée, s'éprend de Jason d'un tel amour fou qu'elle trahit sa famille, aide Jason à voler la Toison et s'enfuit avec lui vers la Grèce.
« Une légende aussi romanesque ne pouvait que traverser les siècles. Homère rapporte que c'était déjà un « conte sur les lèvres de tous les hommes » quand il a entrepris de composer l'Odyssée. Les plus grands poètes grecs, Euripide, Eschyle et Sophocle, s'en sont inspirés dans leurs tragédies. Au troisième siècle avant notre ère, Apollonios de Rhodes, alors directeur de la grande bibliothèque d'Alexandrie, a écrit la version la plus complète qui ait survécu : « Poussé par le dieu du chant, je m'élance, pour commémorer les héros d'autrefois qui ont conduit la bonne nef Argo à travers les détroits, dans la mer Noire et entre les Sympligades à la conquête de la Toison d'Or. »
« Vingt-deux siècles plus tard, mes compagnons et moi-même nous sommes élancés, nous aussi, pour commémorer ces héros d'autrefois, mais d'une manière différente. Apollonios avait accompagné les Argonautes en poésie, nous espérions les suivre dans la réalité. Nous sommes donc partis à la rame sur la réplique d'une galère de l'époque de Jason, bateau à vingt avirons d'un type datant de trois mille ans, en quête de notre propre Toison d'Or : les faits réels qui sous-tendent la légende des Argonautes. Notre guide ? Un exemplaire des Argonautiques d'Apollonios, enveloppé dans plusieurs couches de plastique pour le protéger de la pluie et de l'embrun, à bord d'une embarcation non pontée… Les pessimistes avaient calculé, que sauf vents favorables en chemin, il nous faudrait souquer plus d'un million de coups d'aviron par homme avant d'atteindre notre but.
« Notre galère, le nouvel Argo, était un ravissement pour les yeux. Les recherches, les plans et la construction avaient exigé de nous trois longues années d'efforts, mais ses lignes élégantes nous récompensaient maintenant de chaque minute passée. Avec ses cinquante-quatre pieds (16,50 m) de long, du bout de sa curieuse étrave en forme de museau jusqu'à la gracieuse pointe de sa queue relevée, il ressemblait plus à un animal marin qu'à un bateau. De chaque côté, les avirons se relevaient puis s'abaissaient comme les pattes d'un insecte géant rampant sur la surface calme des flots bleu foncé de la Grèce. Deux yeux peints lançaient des regards malveillants vers l'avant, au-dessus de l'étrange nez de l'étrave, et tout au bout de cette espèce de bélier, une sorte de poignée fixée pour se hisser à bord respirait comme une narine et ronflait chaque fois que l'eau bouillonnante s'engageait dans l'espace vide. » (In : SEVERIN, Tim. Le Voyage de Jason – La Conquête de la Toison d'Or . Traduit de l'anglais par Françoise et Guy Casaril. Paris : Albin Michel, 1987. 328 p. P. 13-15).
Un autre extrait, d'un autre ouvrage relativement récent, nous apportera de façon condensée quelques autres éléments sur le périple des Argonautes :
« Argo
« Navire construit dans la ville d'Argos, sur le golfe d'Argolide (Péloponnèse, Grèce) et qui servit à l'expédition des Argonautes.
« Partis de Iolcos en Thessalie, aujourd'hui probablement Volos, ils arrivèrent en Colchide, à l'extrémité est de la mer Noire (Pont-Euxin) 3 aux pieds du Caucase, après avoir parcouru environ 900 milles marins, en passant par l'île de Lemnos et le détroit du Bosphore.
« L'érudit bénédictin dom Augustin Calmet (1672-1757) place cet événement en 1269 av. J.-C.
« Le voyage des Argonautes, de nos jours simple navigation de cabotage, a été embelli par des poèmes, comme celui d'Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques , les légendes et la mythologie. En fait, il situe la période d'expansion des Hellènes en Méditerranée, à une époque où toute navigation était une aventure.
« L'itinéraire de retour de l'ARGO non seulement varie considérablement suivant les auteurs anciens, mais encore s'allonge dans toutes les directions, le récit se maintenant au rythme des découvertes de nouveaux rivages. Revenu en Grèce, le navire pieusement conservé fut consacré à Athéna, déesse de la sagesse, et à Poséidon, dieu de la mer (Minerve et Neptune des Romains).
« Exposé dans un temple et à la portée du public, il subit du fait des pèlerins amateurs de souvenirs, de nombreuses mutilations aussitôt réparées, mais la répétition de ces prélèvements et restaurations aboutit, au bout de quelques centaines d'années, à un nouveau navire, toujours l'ARGO en apparence, mais ne possédant plus aucune pièce de sa construction d'origine. « C'est le vaisseau ARGO », a longtemps été un proverbe pour désigner une chose qui, telle le couteau de Jeannot dont on a changé plusieurs fois la lame et le manche, a conservé son nom bien que toutes les parties qui la composaient aient été enlevées et remplacées.
« Dans l'ouvrage de M. Jal, Archéologie navale , on trouve, à propos de l'ARGO, le passage suivant concernant son ancre :
« Arrien, dans son Périple du Pont-Euxin, raconte que, dans le temple d'une déesse du Phase, on lui montra l'ancre du navire ARGO; que cette ancre était en fer et que cette circonstance, autant que la ressemblance de l'instrument qu'on lui montrait avec les ancres dont se servaient les Grecs contemporains d'Arrien (deuxième siècle de l'ère chrétienne), la lui faisaient regarder comme postérieure à l'expédition des Argonautes. Il ajoute que, dans le même temple, on voyait de très vieux fragments d'une ancre de pierre qui, plus vraisemblablement, était l'ancre du navire ARGO 1 . »
« MYTHOLOGIE
« L'expédition des Argonautes en Colchide avait pour but la conquête de la Toison d'Or. C'était celle du bélier volant qui emporta Phrixos et sa sœur Hellé fuyant les persécutions de leurs parents. Hellé tomba à la mer et se noya, donnant son nom à l'Hellespont (Dardanelles). Phrixos fit don de la peau du bélier au roi de Colchide. Jason, fils et petit-fils des fondateurs d'Iolcos, faisant valoir ses droits à la royauté, son oncle Pélias, usurpateur, l'envoya à la conquête de la Toison d'Or, lui promettant de lui rendre le royaume s'il la rapportait.
« Après de nombreuses aventures et après avoir tué le dragon qui la gardait, Jason finit par s'en emparer et revint accompagné de la magicienne Médée, fille du roi. Parmi ses compagnons, les Argonautes, dont le nombre se montait à une cinquantaine, se trouvaient : Tiphys le pilote, Nauplios le navigateur, Héraklès (Hercule), Hylas, Castor et Pollux, fils de Zeus, Oïlé, Télamon, Pelée, père d'Achille, Thésée, Philoctète, Orphée, chargé de charmer les bêtes féroces avec sa lyre, le centaure Chiron qui avait élevé Jason, Lyncée doué d'une vue perçante, Péryclyménos et Euphémos, ce dernier pouvant marcher sur les flots. » (In : GRUSS, Robert. Sillages disparus . Vingt dessins à la plume de Pierre Joubert, cinquante-deux photographies, six schémas. Paris : Éditions Maritime et d'Outre-Mer, 1969. 174 p. P. 16-18 (rubrique Argo ).
N.B. 1 :
Note n° 3 du bas de la page 16 :
« 3. Pontes Euxinos, mer hospitalière . »
Note n° 1 du bas de la page 17 :
« 1. Jal , t. I, p. 104. »
N.B. 2 :
Références d'une édition de l'ouvrage mentionné dans la note n° 1 de la page 17 : JAL, A. Archéologie navale . Paris : Arthus Bertrand, 1840. 2 tomes (tome premier : 490 p., tome second : 671 p.).
Robert Gruss, dans Sillages disparus , citant A. Jal , évoque le témoignage d'Arrien (v. 85 – v. 150); voici une traduction de ce témoignage d'Arrien :
« À l'entrée du Phase, à gauche, est une statue de la déesse du Phase; à sa pose on la prendrait pour Rhéa ; elle a des cymbales dans les mains, des lions sous son trône, et elle est assise comme l'est dans le temple de Cybèle à Athènes la statue de Phidias. On montre en cet endroit une ancre du vaisseau Argo; mais comme elle est de fer, elle ne me paraît pas ancienne. Sa grandeur cependant n'est pas celle des ancres d'aujourd'hui, et sa forme a quelque chose d'étrange; néanmoins elle me semble d'une date plus récente. On montrait encore d'anciens morceaux d'une autre ancre de pierre; et il est plus probable que ceux-là sont les débris de l'ancre de l'Argo. Il n'y avait là, du reste, aucun autre monument de l'histoire fabuleuse de Jason. » (In : ARRIEN. Le Périple de la Mer Noire . Thèse présentée à la Faculté des Lettres de Paris par Henry Chotard. Paris : Imprimerie de W. Remquet et Cie , 1860. 240 p. P. 21-22 (traduction du Périple de la p. 15 à la p. 223)).
On trouvera chez Edith Hamilton (HAMILTON, Edith. La Mythologie – Ses Dieux, ses héros, ses légendes . Verviers : Gérard & Cie , 1962. (Marabout Université). 415 p. P. 136 (Deuxième partie : Récits d'amour et d'aventure; chapitre : 7. La Conquête de la Toison d'Or )), certaines considérations littéraires auxquelles il n'est pas fait allusion plus haut :
« 7. La conquête de la Toison d'Or
« C'est le titre d'un long poème, très populaire aux temps classiques ; il est dû à un poète du IIIe siècle, Apollonius de Rhodes, qui relate toute l'histoire de cette expédition à l'exception de l'épisode concernant Jason et Pélias ; j'ai emprunté celui-ci à Pindare, auquel il fournit le thème de l'une de ses odes les plus célèbres, écrite dans la première partie du Ve siècle. Apollonius termine son œuvre par la relation du retour des héros en Grèce. J'ai ajouté le récit de ce que Jason et Médée accomplirent dans ce pays, récit que j'ai pris à Euripide, poète tragique grec du Ve siècle, qui en a fait le sujet de l'une de ses meilleures œuvres .
« Ces trois écrivains sont très différents les uns des autres. Aucune paraphrase en prose ne saurait donner une idée de la manière de Pindare : à peine pourrait-elle, peut-être, nous faire entrevoir son don particulier pour la description alerte et minutieuse .
« Apollonius fera revivre le souvenir de Virgile chez les lecteurs de l'Enéide. La différence entre la Médée d'Euripide, l'héroïne d'Apollonius et la Didon de Virgile donne la mesure de ce qu'était alors la tragédie grecque .
« Le chef de l'expédition de la Toison d'Or fut le premier héros qui, en Europe, entreprit un long voyage. Il est censé avoir précédé d'une génération le voyageur grec le plus fameux, le héros de l'Odyssée. Il s'agit, bien entendu, d'un voyage par mer. »
Nous vous proposons de lire ci-après deux extraits de l'ouvrage Jason et Médée dont vous pouvez trouver plus haut les références.
Extrait n° 1 — Notice bibliographique p. 109, 110 :
« Longtemps avant qu'Apollonius composât son poème, l'expédition des Argonautes, ainsi que la passion de Médée, qui en est le nœud essentiel, servaient de thème aux poètes. Simonide, un des premiers, fît, sur le rapt de la fameuse toison, une chanson que les Athéniens aimaient à répéter en chœur dans leurs festins. La tradition populaire brodait là-dessus mille enjolivements, se jouait à son gré de ces œuvres lointaines et leur donnait des formes bizarres, comme le vent fait des nuages. Chacun prenait dans un sujet si riche l'épisode qui convenait le mieux à son talent. Laissons de côté les Argonautiques , faussement attribuées à Orphée, description insipide de voyages entremêlés d'aventures mythologiques. C'est sans nul doute un pastiche d'Apollonius, dû à quelque versificateur obscur des premiers temps de l'ère chrétienne. Mais, aux beaux siècles de la littérature grecque, Eschyle, dans les Nourrices de Bacchus , avait mis en scène lu rajeunissement d'Eson. La quatrième pythique de Pindare renferme un admirable développement où se trouvent en germe les épopées et les drames futurs. Peu après, Carcanus composa une Médée , malheureusement perdue où il réhabilitait la magicienne que nous sommes trop habitués a voir d'aprés le portrait affreux qu'en trace Euripide, S'il faut en croire certains historiens, celui-ci aurait inventé son horrible mégère, a l'instigation des Corinthiens qui, ayant tué jadis à coups de pierres les enfants de Jason, donnèreut cinq talents à Euripide pour qu'il attribuât ce meurtre à leur mère.
« Quoi qu'il en soit, la version du tragique grec a pris la place de la vérité et c'est d'elle que se sont inspirés tous ceux qui depuis lors ont traité le même sujet. »
Extrait n° 2 — Introduction (intitulée Apollonius de Rhodes ) p. 8, 9 :
« Dans l'antiquité le poème des Argonautiques jouissait d'une grande réputation. Quintilien et Longin en parlent avec éloge. Un savant poète du siècle d'Auguste, un ami d'Horace et d'Ovide, Varron d'Atace, en fit une traduction latine dont il nous reste quelques vers. Valérius Flaccus en a donné plus tard une imitation suivie et développée dont nous possédons encore huit livres. Mais son plus beau titre de gloire est d'avoir servi de modèle à Virgile lui-même. Les flammes immortelles de Didon se sont allumées à la torche de Médée. Pour parler plus simplement, le IVe livre de l'Énéide est tiré tout entier, ou à peu près, d'Apollonius, Les réminiscences y jaillissent à chaque pas, surtout dans la peinture des préludes du drame amoureux. Cela est évident, n'en déplaise à Jules Scaliger qui traite d'impudents ceux qui osent avancer une telle assertion. L'œuvre grecque méritait donc de vivre dans la mémoire des hommes à côté du chef-d'œuvre latin qu'elle a inspiré. Cependant on ne peut nier que si l'un est perpétuellement à la bouche ou dans le cœur de tout ce qui a du sentiment et du goût, l'autre est moins en vue. « On n'a pas assez rendu justice, dit un éminent critique, à la Médée d'Apollonius, frappée d'une sorte de défaveur et d'oubli, et comme entourée d'une ombre funeste. » Vous diriez vraiment que le bûcher de Didon empêche de voir le navire Argo emportant, au sortir du Phase, Mèdée glorieusement assise à la poupe, près de son amant, sur la merveilleuse toison. »
Le lecteur dont la curiosité se sera vue éveillée par les considérations qui précèdent, où par la lecture des Argonautiques, le lecteur curieux de la navigation dans l'Antiquité, consultera utilement, éventuellement, quelques autres ouvrages :
— CALMET, Augustin (Dom). Dictionnaire historique, archéologique, philologique, chronologique, géographique et littéral de la Bible . Quatrième édition revue, corrigée, complétée et actualisée par M. l'abbé A. F. James; publiée par M. l'abbé Migne. Paris : Ateliers catholiques du Petit-Montrouge. 4 tomes dans cette édition (Jason est évoqué dans le cours du tome deuxième; 1846 : 1288 colonnes – 2 colonnes par page).
— CARTAULT, A. La Trière athénienne – Étude d'archéologie navale . Paris Ernest Thorin, 1881. XXVI et 260 p.
— DUMAS, Frédéric. Épaves antiques – Introduction à l'archéologie sous-marine méditerranéenne . Préface de Michel Mollat. Paris : G.-P. Maisonneuve et Larose, 1964. 188 p. (et planches de 52 photographies).
— FOUGERON, Romain. Archéologie navale expérimentale – Synthèse des reconstructions de navires méditerranéens antiques . Mémoire, deuxième année de Master (UFR 03 — Histoire de l'art – Archéologie - Sciences humaines et sociales, Archéologie, Archéologie des périodes historiques (ED 112)), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Paris, 2014. 93 p.
— MEIRAT, Jean. Marines antiques de la Méditerranée . Paris : Fayard, 1964. 204 p. (Résurrection du passé).
— JAL, A. Archéologie navale . Paris : Arthus Bertrand, 1840. 2 tomes (tome premier : 490 p., tome second : 671 p.).
— JAL, Auguste. La Flotte de César ; le ΞΥΣΤΟΝ ΝΑΥΜΧΟΝ d'Homère ; Virgilus nauticus : études sur la marine antique . Paris : Firmin Didot Frères, Fils et Cie , 1861. 430 p.
— LANDSTRÖM, Björn. Histoire du voilier – Du bateau en papyrus au trois-mâts gréé carré . Traduction française d'après l'édition anglaise par Robert Latour. Paris : Albin Michel, 1969. 185 p.