COLLECTION « AERE PERENNIUS »

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ESSAIS, RÉCITS…


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    Une appréciation, toute subjective, concernant l'attrait de chacun des textes proposés figure dans les rubriques ci-dessous. Plus notre jugement (noté par une ou plusieurs croix) est favorable, plus le nombre de croix est important.

  • Auteur : Étienne de La Boétie (ou : de La Boëtie).
  • ESSAI - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++) —

    Étienne de La Boétie (Sarlat, 1530 – Germignan, 1563) fut, comme Michel Eyquem de Montaigne (château de Montaigne, 1533 – château de Montaigne, 1592), conseiller au parlement de Bordeau. Étienne de La Boétie et Michel de Montaigne se lièrent d'amitié ; d'une amitié particulièrtement vive, dont Montaigne témoignera dans « Les Essais  » son œuvre majeure. Nous vous livrons deux passages parmi les plus célèbres du chapitre de ces Essais traitant de l'amitié, et plus précisément de celle que Montaigne partageait avec La Boétie.


    MONTAIGNE. Essais. Paris : Hector Bossange, 1828. Tome Ier (de 4). 412 p. Livre I, chapitre 27 (De l'Amitié), p. 212-213 :

    «  Ie reviens a ma description de façon plus equitable et plus equable. Omninô amicitiæ, corroboratis iam confirmatisque et ingeniis et ætatibus, iudicaudæ sunt (2). Au demourant, ce que nous appelions ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu'accointances et familiaritez nouees par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos ames s'entretiennent. En l'amitié de quoy ie parle, elles se meslent et confondent l'une en l'aultre d'un meslange si universel, qu'elles effacent et ne retrouvent plus la cousture qui les a ioinctes. Si on me presse de dire pourquoy ie l'aymois, ie sens que cela ne se peult exprimer qu'en respondant « Parce que c'estoit luy ; parce que c'estoit moy ». Il y a, au delà de tout mon discours et de ce que i'en puis dire particulièrement, ie ne sçais quelle force inexplicable et fatale, mediatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous estre veus, et par des rapports que nous oyions l'un de l'aultre, qui faisoient en nostre affection plus d'effort que ne porte la raison des rapports ; ie crois par quelque ordonnance du ciel. Nous nous embrassions par nos noms : et à nostre premiere rencontre, qui feut par hazard en une grande feste et compaignie de ville, nous nous trouvasmes si prins, si cogneus, si obligez entre nous, que rien dez lors ne nous feut si proche que l'un à l'aultre. Il escrivit une satire latine excellente, qui est publiee, par laquelle il excuse et explique la précipitation de nostre intelligence si promptement parvenue à sa perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé, car nous estions touts deux hommes faicts, et luy plus de quelque annee, elle n'avoit point à perdre temps ; et n'avoit à se regler au patron des amitiez molles et regulieres, ausquelles il fault tant de précautions de longue et prealable conversation. Cette cy n'a point d'aultre idee que d'elle mesme, et ne se peult rapporter qu'à soy : ce n'est pas une speciale consideration, ny deux, ny trois, ny quatre, ny mille ; c'est ie ne sçais quelle quintessence de tout ce meslange, qui, ayant saisi toute ma volonté, l'amena se plonger et se perdre dans la sienne ; qui, ayant saisi toute sa volonté, l'amena se plonger et se perdre en la mienne, d'une faim, d'une concurrence pareille : ie dis perdre, à la vérité, ne nous reservant rien qui nous feust propre, ny qui feust ou sien ou mien. »

    [Note de bas de page n°2 figurant au bas de la p. 212 :] « (2) On ne peut juger de l'amitié qu'après que l'esprit et l'âge sont parvenus à leur maturité. Cic. De amicitiâ, c. 20. »

    MONTAIGNE. Essais. Paris : Hector Bossange, 1828. Tome Ier (de 4). 412 p. Livre I, chapitre 27 (De l'Amitié), p. 220-221 :

    « Parce que i'ay trouvé que cet ouvrage a esté depuis mis en lumiere, et à mauvaise fin, par ceulx qui cherchent à troubler et changer l'estat de nostre police, sans se soucier s'ils l'amenderont, qu'ils ont meslé à d'aultres escripts de leur farine, ie me suis dedict de le loger icy.

    « Et à fin que la memoire de l'aucteur n'en soit interessee en l'endroict de ceulx qui n'ont peu cognoistre de prez ses opinions et ses actions, ie les advise que ce subiect feut traicté par luy en son enfance par maniere d'exercitation seulement, comme subiect vulgaire et tracassé en mille endroicts des livres. Ie ne foys nul doubte qu'il ne creust ce qu'il escrivoit ; car il estoit assez conscientieux pour ne mentir pas mesme en se iouant : et sçay davantage que s'il eust eu à choisir, il eust mieulx aymé estre nay à Venise qu'à Sarlac ; et avecques raison. Mais il avoit une aultre maxime souverainement empreinte en son ame, d'obeyr et de se soubmettre tres religieusement aux loix soubs lesquelles il estoit nay. Il ne feut iamais un meilleur citoyen, ny plus affectionné au repos de son païs, ny plus ennemy des remuements et nouvelletez de son temps ; il eut bien plustost employé sa suffisance à les esteindre qu'à leur fournir de quoy les esmouvoir davantage : il avoit son esprit moulé au patron d'aultres siecles que ceulx cy. Or en eschange de cet ouvrage serieux, i'en substitueray un aultre, produict en cette mesme saison de son aage, plus gaillard et plus enioué. »


    Ainsi donc, nous l'avons pu lire ci-dessus, Montaigne avait souhaité faire de ses Essais un écrin pour La Servitude volontaire d'É. de La Boétie ; mais l'usage qu'en firent les protestants le dissuadèrent, lui, Montaigne, le carrièriste ne souhaitant pas courrir le risque de déplaire, de conduire à son terme cette première résolution.

    Maintenant il nous semble temps de nous intéresser à l'ouvrage lui-même, à La Servitude volontaire (souvent intitulé Le Contre un, ou Le Contr'un, ou encore [Le] Discours de la servitude volontaire, ou [Le] Discours sur la servitude volontaire).

    Voici ce qu'en écrivent Miguel Abensour et Marcel Gauchet dans la Présentation qu'ils font de l'ouvrage de La Boétie, présentation intitulée : Les Leçons de la servitude et leur destin d'une édition du Discours de la servitude volontaire :

    (Premier extrait de la Présentation de Miguel Abensour et Marcel Gauchet :)

    « […] N'est-ce pas une question sur notre présent que nous renvoie cette lecture ? N'est-ce pas comme un révélateur de la nouveauté de notre présent que Le Discours de la servitude volontaire, par la nouveauté étrange qu'il nous réserve, agit sur nous ? Aussi ce détour par des lectures multiples prend-il sens pour qui reconnaît en La Boétie, tel Landauer, un éclaireur hors pair, loin en avant sur ceux qui lui succéderont. Ainsi on perçoit d'où nous parle aujourd'hui La Boétie : au-delà du discours politique qui s'est constitué dans l'histoire récente du capitalisme. Il nous rejoint en ce lieu critique toujours à rouvrir depuis lequel rompre avec les illusions de tout ce qui depuis plus d'un siècle s'est donné comme le projet de la liberté. Par la remontée vers La Boétie, c'est une retraversée destructrice de l'espace du discours politique démocratique et révolutionnaire que nous entreprenons. Nous le découvrons s'épuisant sous toutes ses formes à rendre compte de la question amenée au jour par La Boétie. Dans ses multiples naïvetés, lorsqu'il croit que l'époque de la solution est arrivée, dans son aplatissement du problème, il dévoile son incapacité profonde à prendre en charge jusqu'au bout la question sociale. Le Discours exerce une fonction critique incomparable sur les propos de ceux qui s'en emparent : ils croient le tenir, il les frappe secrètement de nullité ou révèle au grand jour leurs limites.

    « Très en deçà dans le temps, La Boétie pointe pour nous un au-delà de la vérité politique.

    « La Boétie, l'anti-idéologue hors les murs : ni démocrate, ni même libertaire, La Boétie est de la race des guetteurs. Se tournant vers nous : « Est-ce vivre ? » interroge-t-il. […]. »

    (In : LA BOÉTIE, Étienne. Le Discours de la servitude volontaire – Texte établi par Pierre Léonard – et La Boétie et la question du politique – Textes de Félicité de Lammenais, Pierre Leroux, Auguste Vermorel, Gustave Landauer, Simone Weil, et de Miguel Abensour, Marcel Gauchet, Pierre Clastres et Claude Lefort. Paris : Éditions Payot & Rivages, 2002 (Payot, 1976 ; Payot & Rivages, 1993 – pour l'édition de poche). 334 p. (Petite bibliothèque Payot). P. 25.)

    (Deuxième extrait de la Présentation de Miguel Abensour et Marcel Gauchet :)

    « C'est à ce qui à propos d'un autre auteur a été salué comme « la naissance de la science politique » qu'il faut rattacher Le Discours de la servitude volontaire.

    « Le rapprochement de La Boétie avec Machiavel s'impose, en effet, comme le montre ici même Claude Lefort. L'un et l'autre, les seuls en leur siècle s'agissant proprement du politique, mais combien parlant en leur isolement, tirent radicalement les conséquences du surgissement d'une figure inédite de la domination et parlent du même coup pour l'avenir. En l'une et l'autre œuvre s'accomplit le détachement de la pensée à l'égard d'un mythique fondement de la pensée situé hors de la société.

    « Proximité encore, en la singularité délibérée — on a vainement cherché des parentés à l'œuvre de Machiavel, on n'en trouvera guère plus pour La Boétie, pour autant qu'on entreprenne de les chercher.

    « Le premier pas de la réflexion dans le Discours n'est-il pas pour éloigner la problématique communément reçue en matière de réflexion politique  ? « … je ne veux pas pour cette heure débattre cette question tant pourmenée… [qui] amènerait quant et soi toutes les disputes politiques. » La proximité ne doit pas masquer que La Boétie et Machiavel ne parlent pas du même lieu. En un sens profond, ils pensent depuis des lieux opposés : Machiavel se tient près du Prince, assume le point de vue de celui qui détient le pouvoir ; La Boétie rejoint ceux que leur position dans la société ou leur décision vouent à affronter le pouvoir, ceux qui servent et qui ont à se libérer de la servitude, ceux qui ont à abolir une servitude qui tient plus serrés encore dans sa chaîne les oppresseurs. Aussi pas de parole plus négative que celle du Discours, se déployant d'un refus, s'arrêtant sur un silence, ultime figure du refus. En La Boétie n'est-ce pas le grand antagoniste à la mesure de Machiavel qu'il s'agit de découvrir ?

    « Un signe de cette différence dans la proximité, l'exemplaire dissymétrie en même temps que l'étonnant parallélisme du destin posthume des deux œuvres. À l'une, la pleine lumière d'une glose permanente, à l'autre, la précarité souterraine d'une circulation militante. Bruyante incompréhension, d'un côté, qui rejoint l'aveuglement discret, de l'autre côté, de révolutionnaires trop hâtivement persuadés de n'avoir trouvé en La Boétie qu'une arme.
    « La Boétie, Machiavel : figures premières, exemplaires, les deux figures de notre modernité politique, figures s'éclairant l'une par l'autre. D'une part, la lucide raison d'État qui trouve son langage, de l'autre porté à l'expression l'indicible savoir qui meut les révoltes 1.

    « Confrontés à l'émergence de la question dont vivent nos sociétés : la liberté des hommes, ils restent l'un et l'autre jusqu'au bout sans illusion, pour se détourner exemplairement l'un de l'autre : Machiavel voulant penser le pouvoir avec la liberté, La Boétie s'arrêtant pour jamais dans le « grand refus » qui force à penser la liberté contre le pouvoir. »

    [Note de bas n°1 de page de la p. 25 :] « 1. N'est-ce pas Machiavel qu'il convient d'objecter du reste lorsqu'il faut répondre à l'objection qu'on ne manquera pas de nous opposer avec le Mémoire touchant l'Édit de Janvier (1562) et la pratique politique du parlementaire La Boétie ? »

    (In : LA BOÉTIE, Étienne. Le Discours de la servitude volontaire – Texte établi par Pierre Léonard – et La Boétie et la question du politique – Textes de Félicité de Lammenais, Pierre Leroux, Auguste Vermorel, Gustave Landauer, Simone Weil, et de Miguel Abensour, Marcel Gauchet, Pierre Clastres et Claude Lefort. Paris : Éditions Payot & Rivages, 2002 (Payot, 1976 ; Payot & Rivages, 1993 – pour l'édition de poche). 334 p. (Petite bibliothèque Payot). P. 42-44.)


    Nous terminerons cette introduction à La Servitude volontaire d'Étienne de La Boétie, en précisant que ce dernier, avant que de mourir prématurément, avait déjà produit d'autres œuvres et notamment, parmi celles-ci, une traduction de l'Économique de Xénophon, et en citant un court extrait de l'Avant-propos (rédigé par D. Jouaust) de l'édition (intitulée La Servitude volontaire ou Le Contr'un) de l'ouvrage que nous vous proposons sur notre site…

    « Ceci est bien le livre le plus curieux et de plus étonnant qui ait jamais paru. Rien de plus hardi, mais aussi rien de plus honnête, n'a été écrit « à l'honneur de la liberté contre les tyrans », pour employer les paroles de Montaigne. Toutes les déclamations modernes sur le même sujet n'ont rien dit de plus que ce petit traité, qu'on prendrait, dit M. Villemain, pour « un manuscrit antique trouvé dans les ruines de Rome sous la statue brisée du plus jeune des Gracques ». Les principes de la liberté et de l'égalité humaine s'y trouvent affirmés aussi hautement et aussi complètement que possible ; l'auteur va même, dans ses emportements contre les abus de l'autorité, jusqu'à en nier le principe. […] ».

    (In : LA BOËTIE, Étienne (de). La Servitude volontaire ou Le Contr'un. Réimprimé sur le manuscrit d'Henry de Mesmes par D. Jouaust. Paris : Librairie des bibliophiles, 1872. XII p. et 66 p. P. I.).


    Nous ajoutons pourtant une remarque supplémentaire destinée aux lecteurs qui souhaiteraient trouver sur le sujet abordé dans les pages de La servitude volontaire des éléments complémentaires concernant cette servitude, concernant la soumission. À ces lecteurs nous recommandons la lecture d'un ouvrage quasi incontournable sur ce thème, ouvrage souvent mentionné, parfois cité, rarement amérement critiqué, et dont voici les références : MILGRAM, Stanley. Soumission à l'Autorité. Paris : Calmann-Lévy, 1974. 268 p. (Liberté de l'Esprit) ; voici comme l'éditeur français de l'ouvrage, en sa quatrième page de couverture, présente le travail de S. Milgram :

    «  Serions-nous tous des fonctionnaires de l'horreur en puissance ? C'est là l'angoissante question que ne pourra s'empêcher de se poser chaque lecteur de Soumission à l'autorité. Le récit qu'y donne le psychosociologue américain Stanley Milgram de ses expériences effectuées en laboratoire entre 1950 et 1963 bouleverse en effet bien des idées reçues.

    «  D'une enquête apparemment banale sur l'apprentissage et la mémoire, Milgram a fait une fantastique série d'expériences, où des hommes et des femmes recevaient l'ordre d'infliger à une innocente victime des chocs électriques de plus en plus violents. Combien d'entre eux allaient faire taire leur conscience ? Combien d'entre eux allaient, en un mot, obéir ? Et jusqu'où ? Les résultats jetèrent à bas le rassurant édifice des prévisions de toutes origines, notamment celles des psychiatres, et firent naître une controverse passionnée.

    «  Car c'est l'un des dilemmes les plus importants de notre époque qui se trouve à la base de ces travaux : où finit la soumission à l'autorité, et où commence la responsabilité de l'individu ? À la lumière d'un modèle emprunté à la cybernétique, Stanley Milgram nous propose une analyse originale des processus d'obéissance et de désobéissance.

    «  Un formidable document sur le comportement humain. Un ouvrage polémique qui a enflammé l'Amérique. »

    Nous invitons à lire Stanley Milgram, mais nous suggérons également de lire un autre ouvrage, plus récent que celui de S. Milgram, et traitant d'un sujet tout aussi spécifique et très voisin en définitive : STEMMELEN, Éric. La religion des seigneurs - Histoire de l'essor du christianisme entre le Ier et le VIe siècle. Paris : Michalon, 2010. 316 p.

    Nous reproduisons ci-dessous pareillement la quatrième de couverture de l'ouvrage :

    « Les débuts du christianisme ont toujours été expliqués en suivant les sources chrétiennes, qui évoquent une vague de conversions et présentent l'essor des Églises comme un phénomène avant tout spirituel.

    « Alors même que la recherche académique a fait des progrès considérables, l'histoire sainte continue de déformer notre vision de cette époque. S'appuyant sur des travaux récents et une relecture soigneuse des sources latines et grecques, ce livre reprend à nouveaux frais une question vieille comme le monde. Comment les Églises chrétiennes, qui ne représentent guère que 5% des habitants de l'empire vers l'an 300 sont-elles devenues en un siècle une religion d'État ? De cette révolution culturelle sans précédent, que nous disent l'économie, la sociologie, la science politique ?

    « L'essor du christianisme est contemporain d'une crise profonde de l'empire romain, qui voit s'effondrer un modèle économique fondé sur l'esclavage, au moment précis où se développent des latifundia. Faute d'esclaves, comment mettre au travail des hommes libres ? Les vertus attendues d'un citoyen ne sont plus les mêmes. La religion chrétienne raconte et façonne l'homme nouveau. Travailleur, obéissant, tourné vers la famille, il est le socle sur lequel les grands propriétaires fonciers vont édifier une nouvelle économie, avant de s'emparer du pouvoir politique. Et l'empire chrétien établi par Constantin et Théodose va faire ce que font tous les empires : récrire l'histoire. »

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  • Auteur : Nicolas Machiavel (Niccolo Machiavelli).
  • ESSAI - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++) —

    In : MACHIAVEL. Le Prince (De Principatibus). Traduction de Jacques Gohory, prieur de Marcilly. Présenté par Raymond Aron. Paris : Éditions Gallimard et Librairie Générale Française, 1962 (© 1962, Raymond Aron, pour la préface). 187 p. Extrait de la Préface, p. 5 :

    « Parmi les textes qui passent pour « immortels », ce petit livre occupe une place à part et, je crois bien, unique. Rien n'interdit de le rejeter comme un « méchant essai », inspiré par un esprit de cynisme ou de scandale. Rien n'oblige à y voir un des textes majeurs de la littérature politique. Ce qui est impossible, aujourd'hui autant qu'au premier jour, c'est de l'abandonner avant de l'avoir lu jusqu'au bout, c'est de l'écarter avec indifférence. Le Prince n'a pas gardé sa jeunesse — bien des œuvres mériteraient cet éloge banal — Le Prince a gardé son pouvoir de fascination. Je le sais, mais je ne suis pas sûr de savoir pourquoi.

    « Une première réponse vient à l'esprit. Le Prince est un livre dont la clarté apparente éblouit et dont les érudits et les simples lecteurs essaient vainement de percer le mystère. Que voulait dire Machiavel ? A qui voulait-il donner des leçons, aux rois ou aux peuples ? De quel côté se plaçait-il ? Du côté des tyrans ou du côté des républicains ? Ou ni de l'un ni de l'autre ? […] ».


    In : MACHIAVEL. Le Prince. Traduction, présentation et notes par Marie Gaille-Nikodimov. Paris : Librairie Générale Française, 2000. 192 p. (Le livre de poche – Classiques de la philosophie). Extrait de la Présentation, p. 5, 6 :

    « Lecteur, tu tiens entre tes mains un texte mille fois lu, sans cesse traduit et infiniment commenté. Solaire et clairvoyant pour les uns, diabolique et courtisan pour d'autres, il a traversé les siècles avec fracas, allant conquérir des lecteurs qui s'en considèrent les disciples, croient y voir énoncées des recettes et veulent les appliquer, qui au politique, qui au militaire, qui à la séduction amoureuse, qui à l'économie de marché. Peut-être ignores-tu que son manuscrit autographe est perdu et que la copie dédicataire parvenue à Laurent de Médicis le jeune, dont la bibliothèque des Médicis a conservé la trace jusqu'au début du XVIIe siècle, a disparu. Aussi son édition, pour être multiple, ne va pas de soi.

    « Une lettre de son auteur à un ami, Francesco Vettori, semble nous renseigner sur les circonstances de son écriture. Écarté de la Chancellerie florentine le 12 février 1513, suspecté d'avoir fomenté avec Agostino Capponi et Pierpaolo Boscoli une conjuration contre le cardinal Giuliano de' Medici, torturé et condamné à l'enfermement jusqu'à la mort, il est finalement libéré et assigné à résidence dans sa petite propriété de San Casciano. De là, le 10 décembre 1513, il écrit cette lettre où il décrit ses activités diurnes et nocturnes. Après avoir vaqué dans sa propriété, lu quelque poète auprès d'une source, discuté, joué aux cartes et au trictrac à l'auberge voisine, il rentre chez lui et se rend à son cabinet : « Sur le seuil, j'enlève mes vêtements quotidiens, couverts de boue et tout crottés, et je revêts des habits dignes de la cour d'un roi ou d'un pape ; et vêtu comme il se doit, j'entre dans les antiques cours des Anciens, où, reçu par eux avec amour, je me repais de ce mets qui solum est mien et pour lequel je naquis ; et là je n 'ai pas honte de parler avec eux et de leur demander les raisons de leurs actes ; et eux, par humanité, ils me répondent ; et pendant quatre heures de temps, je ne ressens aucun ennui, j'oublie tout tracas, je ne crains pas la pauvreté, la mort ne m'effraie pas : je me transporte tout entier en eux. Et comme Dante dit qu'il n'est pas de science sans que l'on retienne ce que l'on a compris, j'ai pour ma part noté, dans leur conversation, ce dont j'ai fait mon miel et j'ai composé un opuscule De principatibus, où je me plonge autant que je le peux dans des cogitations à ce sujet, en disputant de ce qu'est un principat, de quelles espèces ils sont, comment ils s'acquièrent, comment ils se maintiennent, pourquoi ils se perdent 1. » A partir de cette lettre, on ne peut cependant établir avec certitude que la rédaction du texte, tel que nous le lisons aujourd'hui, a occupé Machiavel seulement entre l'été 1513 et le 10 décembre de la même année. Les exégètes proposent plusieurs hypothèses concernant le temps de l'écriture et de la réécriture, qui pourrait s'étendre jusqu'en mai 1514, voire jusqu'en 1518.

    « D'autre part, la fortune nous a laissés aux prises d'une double tradition, manuscrite et éditoriale. Le texte est publié pour la première fois en 1532, cinq ans après la mort de Machiavel : d'abord à Rome (édition Blado), puis à Florence (édition Bernardo di Giunta). Pour l'établissement du texte, la tradition manuscrite, qui comporte des copies antérieures à 1532, est néanmoins essentielle, notamment parce que la tradition éditoriale se caractérise par de substantielles corrections et modifications de l'écriture machiavélienne. […] ».


    Voici un extrait (chapitre  XXII – Des ministres des princes — p.  168-170) de l'œuvre elle-même, de l'édition du texte de « Le Prince » que nous vous proposons sur notre site :

    « Ce n'est pas une chose de peu d'importance que de choisir des ministres, qui sont bons ou mauvais, suivant la sagesse du souverain. C'est par les gens qui l'entourent que l'on juge de l'esprit et de la prudence d'un prince.

    « Quand ils sont capables et fidèles, on doit toujours le croire sage pour avoir su apprécier leur capacité et gagner leur fidélité. Mais quand ils ne le sont pas, on ne peut jamais juger favorablement de lui, attendu qu'un mauvais choix est la plus grande des fautes. Tous ceux qui connaissaient Antoine da Venafro, ministre de Pandolfe Petrucci, prince de Sienne, savaient aussi que Pandolfe était un homme très prudent pour avoir pris un tel ministre.

    « Or, il y a trois sortes d'esprits : les uns entendent par eux-mêmes, les autres comprennent tout ce qu'on leur montre, et enfin, il en est qui n'entendent ni par eux, ni par autrui. Les premiers sont très excellents, les seconds sont excellents, et les derniers inutiles.

    « Il fallait donc nécessairement que si Pandolfe n'était pas du premier rang, il appartînt au second, car toutes les fois qu'un prince a l'esprit de connaître le bien et le mal que quelqu'un fait ou dit, quoique de lui-même il ne soit pas un homme de génie, il connaît les bonnes et les mauvaises actions de son ministre, et approuve les unes et blâme les autres, et son ministre, ne pouvant jamais espérer de le tromper, reste homme de bien.

    « Mais, pour connaître bien un ministre, il est un moyen infaillible. Quand tu vois que ton ministre pense plus à lui qu'à toi, et que toutes ses actions tendent à son profit, il ne sera jamais un bon ministre, et tu ne dois jamais t'y fier. Celui qui manie les affaires d'un État ne doit jamais penser à soi, mais toujours au prince, et ne jamais l'entretenir d'autre chose que de ce qui regarde son État.

    « Mais, de son côté, le prince, pour le maintenir bon, doit penser à son ministre ; il doit l'honorer, l'enrichir, captiver sa reconnaissance en lui donnant des dignités et des charges, afin que l'abondance d'honneurs et de richesses l'empêche d'en convoiter de nouvelles, et l'abondance des dignités lui fusse redouter les changements, et qu'il comprenne l'impossibilité de rester en charge sans lui.

    « Lorsque les princes et les ministres agissent de la sorte, ils pourront donc se fier l'un à l'autre ; mais quand il en est autrement, il y aura toujours du danger pour les uns et pour les autres. »

    (In : MACHIAVEL, Nicolas. Le Prince. Nouvelle traduction précédées de quelques notes sur l'auteur par C. Ferrari. Paris : Librairie de la Bibliothèque nationale, 1873 [indication en page de titre intérieure ; 1872 – 6me édition – en première de couverture]. 190 p.)


    La lecture du Prince de Machiavel se montre exigeante, et suscite nombre d'interrogations. Elle conduit continûment à se poser des questions prégnantes non seulement relativement à des temps révolus certes, mais également, surtout, à des périodes proches, aux temps présents, elle conduit à s'interroger sur le politique, hic et nunc, sur les façons contemporaines de commander, de diriger, de manager…

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  • Auteur : Thucydide.
  • ESSAI - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++) —

    « Thucydide (Thoukudidès ; naissance à Athènes vers 465 av.n.è., décès vers 395 — peut-être assassiné, peut-être à Athènes) fut un homme politique, un militaire, un homme de lettres (historien) athénien. Son élection au poste de stratège le place à la tête d'une force navale chargée d'une intervention sur la côte de Thrace (au nord de la mer Égée). Face au Spartiate Brasidas (commandant les forces de Sparte en Chalcidique et en Thrace) qui s'empara de cités alliées d'Athènes, notamment Amphipolis et Toronè. Thucydide, dirigeant la flotte athénienne basée sur l'île de Thasos (à une dizaine de kilomètres au large de la côte thrace), se montra impuissant face à l'offensive spartiate. Il fut à la suite de cela accusé de trahison. Il s'exila volontairement afin d'échapper à une « sentence de mort », ou fut frappé d'une mesure d'ostracisme (bannissement) ; sa famille y possédant une mine d'or, il passa alors une vingtaine d'année en Thrace. Thucydide, se montra un historien rigoureux, qui, pour la rédaction de ses écrits, voyagea non seulement dans le Péloponnèse mais également en Sicile et en Italie. En exposant de façon chronologique les événement qu'il relata (ceux de la Guerre du Péloponnèse qui opposa Sparte et ses alliés à Athènes et les siens), en évitant toute considération mythologique à connotation merveilleuse, toute référence à un quelconque destin, il montra comment les passions et les intérêts des hommes régissaient les faits historiques, comment la volonté de puissance se montrait déterminante en tant que principal ressort, moteur des actions humaines, comment la morale (devant régir le comportement de l'individu) et la politique (régissant le comportement des États) s'opposaient radicalement l'une à l'autre, comment l'intelligence humaine pouvait permettre de se livrer au décryptage de ces faits historiques afin de conduire à une réflexion pouvant se révéler féconde dans l'appréciation de ce que devait, pouvait, pourrait être la conduite de l'action des hommes. Son style et sa méthode influencèrent Xénophon, Polybe, Salluste et Tacite, notamment. »


    Extrait de l'ouvrage Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide :

    « XXII […] Pour ce qui est des événements de la guerre, je ne m'en suis rapporté ni aux informations du premier venu, ni même à mon opinion personnelle ; j'ai cru ne devoir rien écrire sans avoir soumis à l'investigation la plus exacte chacun des faits, tout aussi bien ce que j'avais vu moi-même que ce que je connaissais par ouï-dire. Il était difficile, d'ailleurs, de découvrir la vérité car ceux qui avaient assisté aux événements ne s'accordaient pas dans leurs rapports, et les dires des deux partis variaient suivant les inclinations personnelles et la mémoire de chacun. Peut-être aussi ces récits, dépouillés de tout merveilleux, paraîtront-ils moins agréables à la lecture ; mais il me suffira qu'ils soient jugés utiles par ceux qui voudront connaître la vérité sur le passé et préjuger les événements ou identiques, ou analogues, qui naîtront dans l'avenir du fonds commun de la nature humaine. Cet ouvrage est plutôt un bien légué à tous les siècles à venir qu'un jeu d'esprit destiné à charmer un instant l'oreille. »

    (In : THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Traduction nouvelle par Ch. Zevort. Paris : G. Charpentier, 1883. 2 tomes. 461 p. et 401 p. Tome premier, livre premier, § XXII, p. 24. — N. B. : la mise en gras d'une partie du texte est de notre fait ; cet extrait comprend la fameuse expression de Thucydide : « Ktéma eis aei » [Κτημα (τε) ες αει : « un bien légué à tous les siècles à venir » ; ou encore, cela se traduit-il souvent par : un trésor pour toujours]).

    Extrait de l'ouvrage Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide :

    « XXV. Les Athéniens qui montaient les cent vaisseaux envoyés autour du Péloponnèse avaient été rejoints par les Corcyréens, avec un contingent de cinquante navires, et par quelques autres alliés de ces contrées 1 ; leur croisière porta le ravage sur plusieurs points et en particulier à Méthone de Laconie 2, où ils firent une descente. Déjà ils attaquaient la muraille, qui était faible et dépourvue de défenseurs ; mais dans le voisinage se trouvait le Spartiate Brasidas, fils de Tellis, à la tête d'un poste de surveillance ; à cette nouvelle, il se porta avec cent hoplites au secours de la place, traversa à la course le camp des Athéniens dispersés dans la campagne et occupés au siège, et se jeta dans Méthone, sans autre perte que celle de quelques hommes tués dans la traversée du camp. Il sauva ainsi la ville et pour cet acte d'audace il obtint le premier, dans cette guerre, les honneurs de l'éloge public à Sparte. […]. »

    (In : THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Traduction nouvelle par Ch. Zevort. Paris : G. Charpentier, 1852. 2 tomes. 461 p. et 401 p. Tome premier, p. 161 — Livre II, chap. XXV).

    N. B. : nous ne reproduisons pas ici les notes de bas de page du texte cité.

    Extrait de l'ouvrage Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide :

    « […]. Les alliés d'Athènes, ayant mandé ceux des Athéniens qui avaient le commandement, leur déclarèrent qu'ils feraient la paix, et qu'ils participeraient au traité ; sur le consentement de ces chefs, ils firent un accommodement, et les vaisseaux des Athéniens partirent ensuite de Sicile. Au retour des généraux à Athènes, les Athéniens condamnèrent à l'exil Pythodoros et Sophocles, et firent payer une amende au troisième général Eurymédon, sur le motif que, pouvant subjuguer la Sicile, ils s'étaient retirés, gagnés par des présents. C'est ainsi que, se fiant au bonheur présent, ils prétendaient que rien ne leur résistât, mais qu'avec de grands ou de faibles moyens on devait également exécuter ce qui était possible, de même que ce qui était impraticable. Des succès inattendus dans la plupart de leurs entreprises en étaient la cause, par la force qu'ils donnaient à leurs espérances. »

    (In : THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Traduction française par Ambr. Firmin Didot – Avec des observations, par M. de Brussy et Amb. Firmin Didot. Tome second, contenant les livres 3 et 4. Paris : Firmin Didot Frères, 1833. 506 p. P. 281 — livre IV, chap. 65. N. B. : la mise en gras d'une partie du texte ci-dessus est de notre fait.)

    Extrait de l'ouvrage Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide :

    « J'ai traversé toute cette guerre, dans un âge où l'intelligence a toute sa force, et j'ai appliqué ma pensée à en connaître exactement les circonstances. Exilé de ma patrie pendant vingt ans, après mon expédition d'Amphipolis, témoin des événements chez les deux peuples, et surtout auprès des Péloponnésiens, à cause de mon exil, j'ai pu en prendre à loisir une plus exacte connaissance. Je vais donc raconter les différends qui s'élevèrent après les dix ans de guerre, la rupture de la trêve et les hostilités qui suivirent. »

    (In : THUCYDIDE. Histoire de la guerre du Péloponnèse. Traduction nouvelle par Ch. Zevort. Paris ; G. Charpentier, 1883. 2 tomes. 461 p. et 401 p. Tome second, p. 26 — livre V, chap. XXVI).


    « Avant que de refermer cet ouvrage, invitons les managers à méditer des propos prêtés par Thucydide au roi Archidamos631 et aux représentants des Athéniens lors de l'Assemblée des Lacédémoniens relativement à la décision de déclarer la guerre aux Athéniens. Ce roi incite les Lacédémoniens à réfléchir longuement une décision qui « engage tant de monde et d'argent, tant de cités et tant de gloire », qui peut avoir de graves conséquences dont ils « auront à assumer la plus grande part des responsabilités »632 ; il convient donc d'évaluer ces conséquences avant d'agir, d'envisager d'autres voies.

    « Préalablement, les Athéniens ont conseillé aux Lacédémoniens de prendre « le temps de délibérer, car l'affaire est d'importance »633 ; habituellement les négociations s'engagent lorsque beaucoup de mal a été fait par la guerre, là, alors, ces Athéniens encouragent les Lacédémoniens à entamer les négociations avant que de souffrir. Ainsi donc invitons-nous les managers, comme Archidamos les Lacédémoniens, à toujours considérer les avantages et les inconvénients d'une décision, d'une action, d'en discuter avec leurs managés, à toujours réfléchir avant que d'agir. »

    Les notes de bas de page correspondant au texte cité ci-dessus sont :

    « 631 « Successeur de son grand-père, Léotychidas, Archidamos régna de 476 à 427. » à Sparte. THUCYDIDE. La guerre du Péloponnèse. Préfacé par Pierre Vidal-Naquet, présenté, traduit et annoté par Denis Roussel. Paris ; Gallimard, coll. Folio classique, 2000 (1re éd. . 1964), p. 707.

    « 632 THUCYDIDE. La guerre du Péloponnèse. Préfacé par Pierre Vidal-Naquet, présenté, traduit et annoté par Denis Roussel. Paris ; Gallimard, coll. Folio classique, 2000 (1re éd. . 1964), p. 87, livre 1, II, 83.

    « 633 THUCYDIDE. La guerre du Péloponnèse. Préfacé par Pierre Vidal-Naquet, présenté, traduit et annoté par Denis Roussel. Paris : Gallimard, coll. Folio classique, 2000 (1re éd. 1964), p. 84, livre 1, II, 78. »


    Suivent ici quelques précisions concernant certains des grands hommes ayant vécu à l'époque de Thucydide.

    « Périclès : vers 495 – 429 av.n.è. ; Socrate : v. 470 – 399 av.n.è. ; Thucydide : v. 465 – v. 395 av.n.è. ; Xénophon : v. 430 – v. 355 av.n.è. ; Aristote : 384 – 322 av.n.è.

    « N. B. : quelques points de repères : Socrate eut pour disciples Xénophon et Platon (Platon : v. 428 – v. 347 av.n.è.) ; Platon eut pour disciple Aristote. Xénophon terminera, dans ses Helléniques, le récit de la Guerre du Péloponnèse laissé inachevé par Thucydide. »


    Pour achever notre présentation de l'ouvrage de Thucydide nous citons la fin de la préface que Pierre Vidal-Naquet consacre à La Guerre du Péloponnèse dans une édition d'une traduction de l'œuvre en question par Denis Roussel (THUCYDIDE. La Guerre du Péloponnèse. Texte présenté, traduit et annoté par Denis Roussel. Préface de Pierre Vidal-Naquet. Paris : Gallimard, 2009 — © 2000, pour la préface et la bibliographie : © 1964, pour l'introduction, la traduction et le dossier. 900 p. [Folio classique]. P. 30) :

    « Denis Roussel a dit quelques mots forts justes sur la destinée posthume de Thucydide 1. Elle a par ailleurs été étudiée à fond en ce qui concerne l'historiographie allemande du XIXe et du XXe siècle. Je n'ajouterai qu'un mot, concernant la Trame. Plutarque avait dominé la génération des hommes de la Révolution 2. En 1795, après Thermidor, un érudit, Pierre-Charles Lévesque, publia une nouvelle traduction de Thucydide, avec cette justification ; « Thucydide est, de tous les historiens, celui qui doit être le plus étudié dans les pays où tous les citoyens peuvent avoir un jour quelque part au gouvernement. Un membre très éclairé du Parlement d'Angleterre disait qu'il ne pouvait s'agjter aucune question sur laquelle on ne trouvât des lumières dans Thucydide. »

    « Les politiques doivent-ils, encore aujourd'hui, lire Thucydide ? Je ne puis que donner mon sentiment personnel ; on ne sort pas indemne d'une telle lecture, de celle de Thucydide pas plus que de celle de Machiavel 3. »

    Les notes de bas de page du texte cité sont reproduites ci-après :

    « 1. Ci-dessous, p. 685.

    « 2. Cf. F. Tessitore éd., Tucidide nella storiografia moderna, Morano, Naples, 1994.

    « 3. Je ne suis pas le premier, on s'en doute, à faire ce rapprochement. Voir par exemple F. Nietzsche, « Ce que je dois aux anciens », in Crépuscule des idoles, Œuvres philosophiques complètes, VIII, Gallimard, Paris, 1990, p. 147-148. Je dois cette ultime référence à Chrysanthi Avlami. »

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  • Auteur : Xénophon.
  • ESSAI - PHILOSOPHIE - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++) —

    Extrait de l'« Apologie de Socrate » (chap. I — tome 1, p. 197-199 ; nous ne reproduisons pas ici ni les appels de notes ni les notes de bas de pages relatifs au texte cité) :

    « Parmi les faits qui concernent Socrate, il en est un qui me parut digne d’être transmis à la mémoire : c’est, lorsqu’il eut été mis en jugement, sa détermination au sujet de son apologie et de sa mort. D’autres, il est vrai, ont écrit sur ce fait, et tous ont bien rendu la noble fierté de son langage, ce qui prouve qu’en cette circonstance Socrate parla bien ainsi. Mais comment dès lors Socrate était convaincu que pour lui la mort était préférable, c’est ce qu’ils n’ont point fait voir clairement ; de sorte qu’il y a quelque déraison dans la hauteur de ses paroles.

    « Hermogène cependant, flis d’Hipponicus et ami de Socrate, a donné sur celui-ci des détails qui montrent que la hauteur de ses discours s’accordait parfaitement avec celle de ses idées. En effet, il racontait que, le voyant discourir sur toutes sortes de sujets entièrement étrangers à son procès, il lui avait dit : « Ne devrais-tu pas pourtant, Socrate, songer à ton apologie ? » que Socrate lui avait d’abord répondu : « Ne te semble-t-il pas que je m’en suis occupé toute ma vie ? » A quoi Hermogène lui a demandé de quelle manière : « En vivant sans commettre la moindre injustice, ce qui est, à mes yeux, le plus beau moyen de me préparer une défense. » Hermogène lui ayant dit encore : « Ne vois-tu pas que les tribunaux d’Athènes, choqués parla défense, ont souvent fait périr des innocents, et souvent absous des coupables dont le langage avait ému leur pitié ou flatté leurs oreilles ? — Mais, par Jupiter ! dit Socrate, deux fois déjà j’ai essayé de préparer une apologie, et mon démon s’y est opposé. » Alors Hermogène lui ayant dit que son langage était étonnant : « Pourquoi t’étonner, avait répondu Socrate, si la divinité juge qu’il est plus avantageux pour moi de quitter la vie de ce moment même ? Ne sais-tu pas que jusqu’à présent il n’y a pas d’homme à qui je le cède pour avoir mieux vécu ? Car je sens bien, ce qui est la pensée la plus douce, que j’ai vécu toute ma vie dans la piété et dans la justice; en sorte qu’éprouvant une vive admiration pour moi-même, j’ai trouvé que tous ceux qui étaient en commerce avec moi avaient la même opinion sur mon compte. Mais à présent, si j’avance en âge, je sais qu’il faudra nécessairement payer mon tribut à la vieillesse; ma vue s’affaiblira, j’entendrai moins bien, mon intelligence et j’oublierai plus vite ce que j’aurai appris. Si je m’aperçois de cette perte de mes facultés, et que je me déplaise à moi-même, comment pourrai-je encore trouver du plaisir à vivre? Peut-être, continua-t-il, est-ce par bienveillance que le dieu m’accorde, comme don spécial, de terminer ma vie non-seulement à l’époque la plus convenable, mais de la manière la moins pénible. Car si je suis condamné aujourd’hui, il est certain qu’il me sera permis de la finir par l’espèce de mort que les hommes qui se sont occupés de cette question estiment la plus facile, celle qui gêne le moins les amis et leur cause le plus de regrets du mort. En effet, lorsqu’on ne laisse aucune image pénible et désagréable dans l’esprit des assistants, quand on s’éteint le corps plein de santé et l’âme tout entière à la tendresse, comment ne serait-on pas un objet de regrets ?

    « C’est donc avec raison que les dieux m’ont détourné de la préparation de mon discours, quand vous croyiez, tous que je devais par tous les moyens chercher des échappatoires : car, si je l’avais fait, il est certain que j’aurais dû me résoudre, au lieu d’en finir dès ce moment avec la vie, à mourir tourmenté des maladies ou par la vieillesse sur laquelle viennent fondre toutes les infirmités, et cela sans aucun adoucissement. Par Jupiter ! Hermogène, je n’y songerai même pas ; mais si, en exposant librement tous les avantages que je crois tenir des dieux et des hommes, ainsi que l’opinion que j’ai de moi-même, je dois offenser les juges, j’aimerai mieux mourir que de mendier servilement la vie et de me faire octroyer une existence plus affreuse que la mort. »


    Extrait de « Expédition de Cyrus et retraite des dix mille » (livre IV, chap. VII, — tome 2, p. 100, 101 ; célèbre passage de l'Anabase, nous contant comment les mercenaires grecs parviennent en vue du Pont-Euxin ; nous ne reproduisons pas ici ni l'appel de la note ni la note de bas de page relative au texte cité) :

    « On arrive le cinquième jour à la montagne sacrée. Cette montagne se nomme Théchès. Quand les premiers eurent gravi jusqu’au sommet et aperçu la mer, ce furent de grands cris. En les entendant, Xénophon et l’arrière-garde s’imaginent que l’avant-garde est attaquée par de nouveaux ennemis : car la était poursuivie par les gens dont on avait brûlé le pays. L’arrière-garde en tue quelques-uns et en fait d’autres prisonniers après avoir tendu une embuscade. On leur prend une vingtaine de boucliers d’osier, recouverts d’un cuir de bœuf cru avec ses poils.

    « Cependant les cris augmentent à mesure que l’on approche : de nouveaux soldats se joignent incessamment, au pas de course, à ceux qui crient: plus le nombre croît, plus les cris redoublent, et il semble à Xénophon qu’il se passe là quelque chose d’extraordinaire. Il monte à cheval, prend avec lui Lycius et les cavaliers, et accourt à l’aide. Mais aussitôt ils entendent les soldats crier : Mer! Mer! et se féliciter les uns les autres.

    « Alors tout le monde accourt, arrière-garde, équipages, chevaux. Arrivés tous au sommet de la montagne, on s’embrasse, soldats, stratèges et lochages, les yeux en larmes. Et tout à coup, sans qu’on sache de qui vient l’ordre, les soldats apportent des pierres et élèvent un grand tertre. […]. »

    Extrait de « Expédition de Cyrus et retraite des dix mille » (livre VII, chap. VIII, note de bas de page n°1 — tome 2, p. 190 ; il s'agit ici du texte de la dernière note de bas de page de la traduction par Eugène Talbot de l'Anabase) :

    « 1. « Là se termine la retraite des Dix mille. En 15 mois et en 215 étapes, ils avaient parcouru, tant à l’aller qu’au retour, 5800 kilomètres. Cette marche victorieuse à travers tout l’empire prouvait l’inconcevable faiblesse des Perses : révélation dangereuse, qui ne sera pas perdue pour Agésilas, et Alexandre. » V. DURUY. »


    Extrait de « Cyropédie ou éducation de Cyrus » (livre Ier, chap. Ier — tome 2, p. 191, 192) :

    « Une pensée nous venait un jour à l'esprit : c'est le grand nombre de démocraties renversées par des gens qui préféraient tout autre gouvernement à la démocratie, puis le nombre de monarchies et d'oligarchies détruites par des factions démocratiques, enfin le nombre d'hommes qui, voulant exercer la tyrannie, ont été renversés en un clin d'œil, tandis que d'autres, pour s'être maintenus quelque temps, sont admirés comme gens prudents et chanceux. Nous réfléchissions aussi que, dans les maisons privées, composées, les unes d'une foule de domestiques, les autres d'un personnel peu nombreux, il se trouve des maîtres qui ne sauraient se faire obéir même de ce petit nombre. Nous songions encore que les bouviers commandent auï boeufs, les palefreniers aux chevaux, et qu'enfin tous ceux qu'on appelle pasteurs sont considérés comme les chefs de ces animaux qu'ils surveillent. Or, il nous semblait voir que ces troupeaux obéissent plus volontiers à ceux qui les conduisent, que les hommes à ceux qui les gouvernent. Car les troupeaux vont où les pasteurs les mènent, paissent dans les endroits où on les lâche, s'abstiennent de ceux dont on les écarte, et laissent les pasteurs user de ce qu'ils rapportent absolument comme ils l'entendent. En effet, nous n'avons jamais appris qu'aucun troupeau se soit révolté contre le pasteur, ou pour ne point obéir, ou pour ne pas leur permettre d'user du produit qu'il leur donne. Il y a plus, les troupeaux sont moins faciles à tous les étrangers qu'à ceux qui les gouvernent et qui en tirent profit. Les hommes, au contraire, conspirent de préférence contre ceux qu'ils voient entreprendre de les gouverner.

    « Ces réflexions nous conduisaient à conclure qu'il est facile à quiconque est né homme de gouverner toute espèce d'animaux, plutôt que des hommes. Mais quand nous eûmes considéré que jadis Cyrus le Perse eut sous sa domination une immense quantité d'hommes qui lui obéirent, une immense quantité de villes et une quantité immense de nations, nous fûmes obligé de changer d'avis et de reconnaître que ce n'est point une œuvre impossible, ni même difficile, de gouverner les hommes, quand on s'y prend avec adresse. En effet, nous savons que des hommes se sont empressés d'obéir à Cyrus, bien qu'éloignés de lui d'une marche d'un grand nombre de journées et même de mois, quelques-uns ne l'ayant jamais vu, et d'autres sachant qu'ils ne le verraient jamais : et cependant ils voulaient être ses sujets. Aussi laissa-t-il bien loin derrière lui les autres rois qui ont hérité du pouvoir paternel ou qui ont acquis par eux-mêmes leur empire. […]. »



    Les ouvrages de Xénophon se trouvent traduits sous des intitulés différents.

    Les textes intitulés par Eugène Talbot dans sa traduction des œuvres de Xénophon, (a) Mémoires sur Socrate, (b) De l'Économie, (c) De l'Équitation, (d) Le Commandant de cavalerie, (e) De la Chasse, (f) Histoire grecque, (g) Expédition de Cyrus et retraite des dix mille (N. B. : il s'agit là de Cyrus le Jeune ; en révolte contre le Grand Roi son frère Artaxerxès II Mnémon, il est tué lors de la bataille de Cunaxa en 401 avant n. è.), (h) Cyropédie ou éducation de Cyrus (N. B. : il s'agit là de Cyrus II le Grand, fondateur de l'empire perse achéménide ; il meurt vers 528 avant n. è.), (i) Gouvernement des Lacédémoniens, (j) Lettressont, par exemple, intitulés par d'autres traducteurs, respectivement, (a) Les Mémorables (ou encore Entretiens mémorables de Socrate…), (b) [L'] Économique (ou encore La Mesnagerie), (c) De l'Art équestre, (d) [L'] Hipparque, (e) [L'] Art de la chasse, (f) Les Helléniques, (g) [L'] Anabase (ou encore La Retraite des dix mille ou L'Expédition de Cyrus contre Artaxerxès), (h) [La] Cyropédie ou Histoire de Cyrus, (i) Constitution des Lacédémoniens (ou encore Constitution de Sparte), (j) Correspondance


    Le lecteur souhaitant en apprendre plus, décrypter plus avant les textes de Xénophon, pourra consulter avec profit un excellent ouvrage : AZOULAY, Vincent. Xénophon et les grâces du pouvoir – De la charis au charisme. Paris : Publications de la Sorbonne, 2004. 512 p.

    Ce lecteur pourra également consulter un texte d'un autre auteur, Voltaire (homme à la dent dure, et pas seulement à l'égard de Jeanne d'Arc), beaucoup moins aimable à l'égard de Xénophon que notre contemporain Vincent Azoulay, in : VOLTAIRE. Œuvres de Voltaire avec préface, notes, etc. par M. Beuchot. Tome XXXII. Dictionnaire philosophique – Tome VII. Paris : Lefèvre, Werdet et Lequien Fils, 1824. Article Xénophon, et la retraite des dix mille. Extrait (p. 500-502) :

    « […] Je vois que ces héros, à peine arrivés, après tant de fatigues, sur le rivage du Pont-Euxin, pillent indifféremment amis et ennemis pour se refaire. Xénophon embarque à Héraclée sa petite troupe, et va faire un nouveau marché avec un roi de Thrace qu’il ne connaissait pas. Cet Athénien, au lieu d’aller secourir sa patrie accablée alors par les Spartiates, se vend donc encore une fois à un petit despote étranger. Il fut mal payé, je l’avoue ; et c’est une raison de plus pour conclure qu’il eût mieux fait d’aller secourir sa patrie.

    « Il résulte de tout ce que nous avons remarqué, que l’Athénien Xénophon, n’étant qu’un jeune volontaire, s’enrôla sous un capitaine lacédémonien, l’un des tyrans d’Athènes, au service d’un rebelle et d’un assassin; et qu’étant devenu chef de quatorze cents hommes, il se mit aux gages d’un barbare.

    « Ce qu’il y a de pis, c’est que la nécessité ne le contraignait pas à cette servitude. Il dit lui-même qu’il avait laissé en dépôt, dans le temple de la fameuse Diane d’Ephèse, une grande partie de l’or gagné au service de Cyrus.

    « Remarquons qu’en recevant la paie d’un roi, il s’exposait à être condamné au supplice, si cet étranger n’était pas content de lui. Voyez ce qui est arrivé au major-général Doxat, homme né libre. Il se vendit à l’empereur Charles VI, qui lui fit couper le cou pour avoir rendu aux Turcs une place qu’il ne pouvait défendre.

    « Rollin, en parlant de la retraite des dix mille, dit que « cet heureux succès remplit de mépris pour Artaxerxès les peuples de la Grèce, en leur fesant voir « que l’or, l’argent, les délices, le luxe, un nombreux sérail, fesaient tout le mérite du grand roi, etc. »

    « Rollin pouvait considérer que les Grecs ne devaient pas mépriser un souverain qui avait gagné une bataille complète ; qui, ayant pardonné en frère, avait vaincu en héros; qui, maître d’exterminer dix mille Grecs, les avait laissés vivre et retourner chez eux ; et qui, pouvant les avoir à sa solde, avait dédaigné de s’en servir. Ajoutez que ce prince vainquit depuis les Lacédémoniens et leurs alliés, et leur imposa des lois humiliantes ; ajoutez que dans une guerre contre des Scythes nommés Cadusiens, vers la mer Caspienne, il supporta, comme le moindre soldat, toutes les fatigues et tous les dangers. Il vécut et mourut plein de gloire ; il est vrai qu’il eut un sérail, mais son courage n’en fut que plus estimable. Gardons-nous des déclamations de collège.

    « Si j’osais attaquer le préjugé, j’oserais préférer la retraite du maréchal de Belle-Isle 1 à celle des dix mille. Il est bloqué dans Prague par soixante mille hommes, il n’en a pas treize mille. Il prend ses mesures avec tant d’habileté qu’il sort de Prague, dans le froid le plus rigoureux, avec son armée, ses vivres, son bagage, et trente pièces de canon, sans que les assiégeants s’en doutent. Il a déjà gagné deux marches avant qu’ils s’en soient aperçus. Une armée de trente mille combattants le poursuit sans relâche l’espace de trente lieues. Il fait face partout ; il n’est jamais entamé ; il brave, tout malade qu’il est, les saisons, la disette, et les ennemis. Il ne perd que les soldats qui ne peuvent résister à la rigueur extrême de la saison. Que lui a-t-il manqué ? une plus longue course, et des éloges exagérés à la grecque. »

    Note du bas de la page 502 (à propos de la retraite du maréchal de Belle-Isle:

    « 1. En 1742, voyez tome XXI, le chapitre VII du Précis du siècle de Louis XV. B. »

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  • Auteur : Tacite (Publius Cornelius Tacitus).
  • N. B. : numérisation : Internet Archive - Université d'Ottawa [University of Ottawa] ; téléchargement depuis : archive.org ; simplement avons-nous supprimé les quatre pages de couvertures et quelques pages de garde (muettes).

    ESSAI - HISTOIRE - POLITIQUE — (+++++) —

    Extraits de « La Germanie »

    Extrait (chap. VIII ; p. 20) :

    « VIII. On raconte que des armées déjà ébranlées et en déroute ont été ralliées par des femmes, à force de prières. Elles présentaient leur sein aux fuyards, en leur peignant les horreurs de la captivité qui les attendait, captivité qu'ils redoutent bien plus pour leurs femmes que pour eux-mêmes. Ce sentiment est tel que, pour s'assurer plus efficacement de la fidélité d'un canton, on exige aussi, dans le nombre des otages, quelques filles de distinction. Bien mieux, ils supposent aux femmes un caractère sacré, une inspiration divine, ce qui fait qu'ils ne dédaignent pas leurs avis, et ne négligent pas leurs conseils. Nous avons vu, sous Vespasien, Véléda regardée longtemps par la plus grande partie de la nation comme une divinité. Et anciennement ils rendirent un culte à Aurinia et à bien d'autres, mais non point par adulation : ils ne s'imaginaient pas faire des déesses. »

    Extrait (chap. XI, XII, XIII ; p. 26, 28, 30, 32) :

    « XI. Les affaires peu importantes sont réglées par les chefs ; les choses sérieuses, parla nation ; cependant dans celles-ci même, dont la décision appartient au peuple, la discussion est réservée aux chefs. Hormis des cas extraordinaires et pressants, ils s'assemblent à des jours fixes, au commencement de la nouvelle et de la pleine lune, temps qu'ils jugent le plus favorable pour traiter les affaires. Nous comptons par jours ; eux, ils comptent par nuits. Ils assignent à une certaine nuit, ils conviennent d'une nuit, la nuit leur semble marcher avant le jour. Un des inconvénients de leur liberté, c'est qu'ils n'arrivent point à la fois, pour ne pas avoir l'air d'obéir à un ordre ; de là une perte de deux ou trois jours par leur lenteur à se réunir. Lorsque l'assemblée paraît suffisamment nombreuse, ils prennent place tout armés. Les prêtres qui sont alors chargés de maintenir l'ordre commandent le silence. Ensuite le roi, ou celui des chefs que distingue le plus son âge, sa naissance, sa considération militaire, son éloquence, prend la parole, et se fait écouter plutôt par l'ascendant de la persuasion que par l'autorité du commandement. Si son avis déplaît, ils le rejettent avec des murmures ; pour approuver, ils agitent leurs framées. Cette approbation, qui s'exprime par les armes, est la plus flatteuse.

    « XII. On peut aussi accuser devant ces assemblées, et y déférer les affaires criminelles. Les peines varient selon le délit : on pend à un arbre les traîtres et les transfuges ; les lâches, les efféminés et les gens déshonorés sont plongés dans la fange d'un marais, et noyés sous une claie. Cette diversité de supplices tient à l'opinion qu'il faut montrer la punition des crimes, mais cacher l'infamie. Il y a pour des fautes plus légères des peines proportionnées : les coupables sont condamnés à payer tant de chevaux, tant de bétail ; une partie de l'amende est au profit du roi ou de la cité ; l'autre, au profit de l'offensé ou de ses proches. C'est dans ces mêmes assemblées qu'on élit aussi les chefs qui rendent la justice dans les cantons et dans les bourgades. On leur donne à chacun cent compagnons tirés du peuple pour les conseiller tout à la fois et donner du poids à leurs arrêts.

    « XIII. Ils ne traitent aucune affaire publique ou privée sans être armés. Mais nul ne peut porter les armes avant que la cité ne l'en ait jugé capable. En ce cas, c'est dans l'assemblée même que l'un des chefs, le père ou un parent, décore le jeune homme du bouclier et de la framée ; c'est leur robe virile, c'est le premier honneur décerné à la jeunesse ; jusque là, ils n'étaient que membres de la famille, ils deviennent membres de l'État. Une très-haute naissance, ou les services signalés des ancêtres, donnent le rang de chef même à des adolescents. Les autres s'engagent au service de guerriers plus âgés, et qui ont fait depuis longtemps leurs preuves ; et il n'y a point de honte à être parmi les compagnons. Il y a même des distinctions attachées à ce rang, et que les chefs auxquels ils s'adjoignent leur décernent ; et il existe une grande émulation entre ceux-là, d'une part, pour obtenir le premier rang auprès de leur chef ; entre ceux-ci, de l'autre, pour avoir le plus de compagnons et les plus braves. On n'a de considération, on n'a de pouvoir qu'autant que l'on est sans cesse entouré d'une troupe de jeunes gens nombreuse et choisie ; c'est un honneur en temps de paix, c'est une défense pour la guerre. Et ce n'est pas seulement dans la nation, c'est jusque chez les peuples voisins que se répand ce bruit glorieux, qu'un chef est le premier par le nombre et le courage de ses compagnons. On le recherche par des ambassades ; on le comble de présents ; le plus souvent sa renommée seule termine les guerres. »


    Voici un extrait d'un autre ouvrage… Extrait de la Préface p. XII-XIV de : TACITE. ŒUVRES COMPLÈTES DE TACITE. Traduction de Dureau de Lamalle. Nouvelle édition. Revue avec le plus grand soin par M. Charpentier, inspecteur honoraire de l'académie de Paris, agrégé de la Faculté des Lettres. Paris : Garnier Frères, libraires-éditeurs, S.D. (dépôt légal : 1900). Tome premier. 590 p. Préface, p. XII-XIV :

    « […]

    « La Germanie suivit de près la Vie d'Agricola : Tacite l'écrivit dans le cours de l'année 98. Quel but s'est-il proposé en la composant ? a-t-il, comme le pense J. J. Rousseau, en peignant les mœurs simples, les vertus natives des Germains, voulu se distraire du spectacle affligeant de la corruption romaine, et, en apparence occupé de la Germanie, est-il vrai qu'il ne perde jamais Rome de vue ? En un mot cet ouvrage est-il un document historique, ou une satire à l'adresse des Romains. Sans doute, en peignant la Germanie, Tacite n'oublie pas Rome ; mais ce contraste s'offre à lui naturellement : il ne le cherche pas. Une pensée plus haute, un dessein plus patriotique, guidait la plume de l'écrivain. Pendant tout le règne de Domitien, et en dépit ou plutôt à cause des faux triomphes de ce prince, les Germains avaient insulté la puissance romaine. Domitien mort, rien n'importait donc plus que de pourvoir à la sûreté des frontières et de rappeler les barbares au respect du nom romain. Aussi ce fut le premier soin de Trajan, qui, pour mieux contenir ces peuples, ne se hâta pas, même après la mort de Nerva, qu'il apprit à Cologne, de retourner en Italie. Cette absence du nouvel empereur, impatiemment attendu à Rome, y faisait beaucoup parler les Romains. La pensée de Tacite n'en dut-elle pas être éveillée et son attention portée de ce côté-là ? Qu'on me permette une autre conjecture, qui, si elle était fondée, expliquerait comment cette idée de faire connaître les Germains a dû naturellement venir à Tacite. A la mort d'Agricola, Tacite, nous l'avons dit, était depuis plusieurs années absent de Rome et de l'Italie ; pour quel motif et pour quelle fonction ? on l'ignore : nous avons supposé qu'il était quelque part propréteur ; mais ce n'est là qu'une hypothèse. Toujours est-il que, propréteur, ou simple voyageur, il put visiter les peuplades germaniques. Si on a cru devoir conclure de l'exactitude des détails stratégiques qu'il donne, exactitude plus d'une fois en défaut cependant, qu'il avait passé par les camps,ne serait-il pas aussi naturel de conclure de la fidélité avec laquelle il décrit le sol, les mœurs, les lois des diverses nations de la Germanie, qu'il l'a parcourue et soigneusement étudiée ? Quelle vérité, en effet, et quelle vigueur de pinceau ! les tableaux qu'il en a tracés sont vrais et vivants aujourd'hui encore. « Tacite, dit Rousseau, a mieux décrit les Germains de son temps qu'aucun écrivain n'a décrit les Allemands d'aujourd'hui ; et, comme dans les poèmes d'Homère on reconnaît sous la Grèce moderne la Grèce antique, ainsi dans la Germanie on retrouve l'Allemagne de nos jours. » Et nous aussi, nous nous y reconnaissons ; là en effet sont la plupart de nos origines : la féodalité et la chevalerie, l'honneur déjà et le culte de la femme ; nous y apercevons cette Velléda « qui, on l'a très-bien dit, n'était qu'un nom chez Tacite et est devenue une figure vivante sous l'évocation et au coup de baguette de Chateaubriand.» Ajoutons pour dernier trait ce mot de Montesquieu : « C'est l'ouvrage d'un homme qui abrège tout parce qu'il voit tout. » »


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  • Auteur : Apollonios (ou Apollonius) de Rhodes.
  • N. B. : numérisation : Internet Archive - University of California ; conservation : University of California ; téléchargement depuis : archive.org.

    HISTOIRE - LÉGENDE - MYTHES — (+++++) —

    Extraits de l'ouvrage (Les Argonautiques)…

    Extrait n° 1 — Chant premier – Vers 1-22 :

    « C'est après avoir commencé par t'invoquer, ô Phoibos, que je rappellerai les exploits de ces héros d'autrefois qui, sur l'ordre du roi Pélias, firent voguer vers le détroit qui ouvre le Pont et au travers des roches Cyanées, à la conquête de la toison d'or, le navire Argo, muni de bancs nombreux de rameurs.

    « Car voici l'oracle que Pélias avait entendu : un jour, un destin terrible lui serait réservé par le fait d'un homme qu'il aurait vu sortir du milieu de la foule, chaussé d'un seul brodequin ; il serait victime des desseins de cet homme. Peu de temps après, et suivant cet oracle véridique, Jason traversait à pied le courant de l'Anauros, que les tempêtes de l'hiver avaient grossi. Il put sauver de la bourbe l'un de ses brodequins, mais l'autre resta au fond, retenu dans le sol que recouvraient les eaux débordées. Sans s'en inquiéter, il vint auprès de Pélias, pour prendre part à un festin que le roi offrait au père Poséidon et aux autres dieux ; quant à Héra Pélasgienne, il ne s'en souciait pas. Dès que Pélias vit Jason, il pensa à l'oracle : alors il prépara au héros le travail d'une navigation pleine de dangers, dans l'espoir que, soit sur la mer, soit parmi les hommes étrangers, il perdrait toute chance de retour.

    « Quant au navire, les anciens aèdes chantent qu'il fut construit par Argos, sur les conseils d'Athéné. Pour moi, je vais dire la race et le nom des héros, leurs voyages sur la mer immense, toutes leurs actions dans leurs courses errantes. Que les Muses soient les inspiratrices de mon chant ! »

    Extrait n° 2 — Chant premier – Vers 234-316 :

    « Lorsque tout eut été préparé par les esclaves, tout ce dont il faut munir l'intérieur d'un navire, quand la nécessité pousse les hommes à faire un voyage sur mer, alors ils traversèrent la ville, allant à leur vaisseau, là où le rivage est connu sous le nom de Pagases Magnésiennes. Autour d'eux, de tous côtés, des citoyens empressés accouraient en foule. Mais ils brillaient comme des astres éclatants au milieu des nuages ; et chacun se disait, en contemplant les héros en armes qui se hâtaient : « Ô roi Zeus, quel est le dessein de Pélias ? Où lance-t-il, loin de la terre Panachéenne, une telle réunion de héros ? Ils seront capables, sans doute, de dévaster avec la flamme funeste les demeures d'Aiétès, le jour même où il aura refusé de leur livrer la toison de son plein gré. Mais un long voyage est inévitable : rude est la peine pour ceux qui partent ! »

    « Ainsi parlèrent les hommes çà et là dans la ville ; et les femmes levaient les mains au ciel, demandant aux dieux, dans de nombreuses prières, de leur accorder l'accomplissement heureux du retour. Et, en pleurant, elles s'adressaient l'une à l'autre ces paroles de lamentation : — « Misérable Alcimédé, le malheur, quoique tardif, est aussi venu pour toi. Tu n'as pu mener jusqu'au bout une vie fortunée. Aison a, lui aussi, un sort bien pénible. Qu'il eût mieux valu pour lui d'être enveloppé dans des bandelettes sépulcrales et enseveli sous la terre, encore ignorant de cette mauvaise expédition ! Plût au ciel que Phrixos, lui aussi, quand périt la vierge Hellé, eût été englouti avec le bélier dans les flots sombres ! Mais non : ce bélier, monstre funeste, fit entendre les accents d'une voix humaine, pour causer ensuite à Alcimédé des soucis et des douleurs sans nombre ! »

    « Elles parlaient ainsi, alors qu'ils s'éloignaient pour partir. Déjà les serviteurs et les femmes servantes s'empressaient en grand nombre. La mère tenait son fils embrassé ; une douleur aiguë pénétrait toutes les femmes ; et, avec elles, le père, que la désastreuse vieillesse faisait rester enfoncé dans son lit, au point que la forme de son corps était seule visible, le père gémissait. Alors Jason adoucit leurs angoisses par ses exhortations et ordonna aux serviteurs de prendre ses armes de guerre ; ils le faisaient, silencieux et tête basse. Comme elle avait jeté tout d'abord les bras autour du cou de son fils, ainsi la mère restait attachée à lui, pleurant abondamment : telle une jeune fille, seule avec sa nourrice aux cheveux blancs, la tient embrassée tendrement et gémit : car elle n'a plus de parents qui s'intéressent à elle ; mais elle traîne une vie lourde sous la domination d'une marâtre, qui vient précisément de l'accabler d'outrages ; elle gémit, mais son coeur est serré par la peine, et elle ne peut exhaler autant de sanglots qu'elle le voudrait. C'est ainsi qu'Alcimédé pleurait abondamment en tenant son fils embrassé. Et elle dit ces paroles inspirées par son angoisse : « Plût au ciel qu'en ce jour où j'ai entendu — malheureuse que je suis ! — le roi Pélias prononcer l'ordre funeste, j'eusse aussitôt rendu l'âme et oublié les soucis de la vie. Car c'est toi qui m'aurais ensevelie de tes mains chéries, ô mon enfant ! Seul devoir que j'eusse encore à espérer de toi : dans tout le reste, en effet, je savoure la récompense des soins que j'ai pris pour t'élever. Mais voici que, vénérable jusqu'à présent aux femmes d'Achaïe, je vais, comme une esclave, être laissée dans le palais vide, malheureuse qui me consumerai à te regretter, toi par qui j'ai eu précédemment tant de gloire et d'honneur, toi seul à cause de qui j'ai délié ma ceinture pour la première et dernière fois : car la déesse Eiléithyia m'a absolument envié les accouchements nombreux. Malheur à moi ! Jamais, même en songe, je n'aurais pensé que la fuite de Phrixos dût être pour moi la cause d'un tel malheur ! »

    « C'est ainsi qu'elle se lamentait en gémissant, et les femmes servantes qui se tenaient auprès d'elle poussaient des cris : alors il s'adressa à sa mère, la consolant par des paroles douces comme du miel : « Ô ma mère, ne me pénètre pas ainsi d'une tristesse funeste ! Certes, tu ne me défendras pas du malheur par tes larmes. Tu ne pourrais qu'ajouter une nouvelle souffrance à nos souffrances. Car les dieux distribuent des maux imprévus aux mortels. Le sort qu'ils nous envoient, quoique profondément affligée, aie la force de le supporter. Sois confiante dans notre alliance avec Athéné, dans les oracles aussi, puisque Phoibos a donné des réponses favorables, et enfin dans l'aide que les chefs me prêteront. Et maintenant, reste calme à la maison au milieu de tes servantes, de peur d'être un oiseau de mauvais augure pour le navire. Je vais m'y rendre, et mes compagnons et mes esclaves me feront escorte dans ma marche. »

    « Il dit, et se hâta de sortir de la maison. Tel, hors de son temple, que l'encens parfume, s'avance Apollon dans la divine Délos, dans Claros, dans Delphes Pythienne ou, dans la vaste Lycie, au bord des eaux du Xanthos, tel il marcha à travers la foule du peuple. Un grand cri s'éleva : tous à la fois lui adressaient leurs encouragements. Alors se précipita à sa rencontre la vieille Iphias, prêtresse d'Artémis, protectrice de la ville, et elle baisa sa main droite, mais malgré tout son désir, elle ne put lui rien dire, car la foule qui s'empressait la devança. On la laissait en arrière, écartée du chemin, comme une vieille qu'elle était, par des gens plus jeunes. Mais lui fut entraîné très loin d'elle. »

    Extrait n° 3 — Chant premier – Vers 519-579 :

    « Mais lorsque l'éclatante Èos commença à regarder de ses yeux brillants les sommets élevés du Pélion, alors que, sous l'action du vent, les calmes promontoires étaient arrosés par la mer agitée, alors Tiphys se réveilla ; il ordonna aussitôt à ses compagnons de monter dans le navire et d'ajuster les rames.

    « Tout à coup, un bruit terrible fit retentir le port de Pagases, et Argo elle-même, enfant du Pélion,qui avait hâte de prendre la mer. Car dans le navire une poutre divine avait été enfoncée, qu'Athéné avait tirée d'un chêne de Dodone pour l'adapter au milieu de l'étrave.

    « Les héros montèrent vers les bancs, l'un après l'autre, à la file, pour se mettre chacun à la place où il avait été fixé d'avance qu'ils devaient ramer ; ils s'assirent en bon ordre, ayant chacun auprès de lui ses propres objets d'équipement. Au milieu s'installèrent Ancaios et le robuste Héraclès, qui plaça près de lui sa massue, et sous ses pieds la quille fut inondée par en bas. Déjà on retirait les câbles et on versait sur les flots les libations de vin pur. Mais Jason détourna en pleurant les yeux de la terre de la patrie.

    « Quant à ses compagnons, tels des jeunes hommes qui ont institué un choeur de danse en l'honneur de Phoibos, soit à Pytho, soit à Ortygie, ou auprès des eaux de l'Isménos, se tiennent autour de l'autel et, au son de la phorminx, frappent le sol en cadence de leurs pieds rapides : tels, au son de la cithare d'Orphée, ils frappaient de leurs rames l'eau impétueuse de la mer ; les vagues bruyantes grandissaient, et, des deux côtés, l'écume jaillissait de la mer sombre, qui gémissait terriblement sous les efforts puissants des robustes rameurs. Et, au soleil, tout l'armement du navire en marche brillait comme la flamme ; et toujours la suite du long sillage blanchissait, comme un sentier de traverse que l'on aperçoit au milieu d'une plaine verte.

    « Ce jour-là, du haut du ciel, toutes les divinités regardaient le navire et la force des hommes demi-dieux qui, pleins de courage, naviguaient alors sur les flots. Aux sommets de la montagne, les Nymphes du Pélion se tenaient, saisies d'étonnement à la vue de l'oeuvre d'Athéné Tritonide, et des héros eux-mêmes dont les mains faisaient mouvoir les rames. Des hauteurs du mont, Chiron Phillyride descendit vers la mer : ses pieds se mouillaient dans les vagues qui se brisaient en blanchissant d'écume ; sa forte main leur faisait de nombreux signes d'encouragement, et, par ses cris, il souhaita à ceux qui partaient un retour exempt de soucis. Auprès de lui, sa femme, qui portait dans ses bras Achille Péléide, le présentait à son père chéri.

    « Mais eux, une fois qu'ils furent sortis du rivage circulaire qui enferme le port, grâce à la sagesse et à l'intelligence du prudent Agniade Tiphys, qui tenait avec habileté dans ses mains le gouvernail bien poli, afin de diriger sûrement le navire, alors ils dressèrent le mât immense sur la poutre transversale où on l'assujettit, et le fixèrent à des cordes tendues des deux côtés. Puis, ils déployèrent la voile après l'avoir tirée jusqu'à la partie supérieure du mât. Le vent se lança sur elle en sifflant ; les cordages étaient déjà fixés chacun à sa place, autour des vergues, par des anneaux faits en bois bien poli, quand ils dépassèrent tranquillement le long cap Tisée. Le fils d'Oiagros leur disait sur la phorminx, dans un chant harmonieux, les louanges de la gardienne des vaisseaux, fille d'un père illustre, Artémis, qui veillait sur ces hauteurs qui dominent la mer, protectrice aussi de la terre d'Iolcos. Les poissons cependant, s'élevant au dessus de la surface de la mer profonde, les petits au milieu des monstres énormes, suivaient en bondissant les routes humides. Telle parfois, sur les traces d'un maître rustique, va une longue suite de brebis qui rentrent au bercail bien rassasiées d'herbes : le berger marche devant, en modulant harmonieusement sur sa syrinx perçante une mélodie pastorale ; tels les poissons suivaient, et le vent en poupe qui frappait toujours la voile à coups pressés entraînait le navire. »


    HISTOIRE - LÉGENDE - MYTHES — (+++) —

    N. B. à propos de notre édition de « Les Argonautiques » — reproduction de l'« AVERTISSEMENT » :

    « Cette édition de « Les Argonautiques » reprend le texte de l'édition qui en fut réalisée par G. Gounouilhou et J. Rouam & Cie en 1892 (Apollonios de Rhodes. Les Argonautiques. Traduction française — Suivie de notes critiques, mythologiques, géographiques et historiques et de deux index des noms propres — par H. de La Ville de Mirmont — Maître de conférence à la faculté des lettres de Bordeaux. Bordeaux : G. Gounouilhou ; Paris : J. Rouam & Cie ; 1892. XXX p. et 479 p.) ; toutefois dans la présente édition nous ne reproduisons ni les Notes [Notes critiques, mythologiques, géographiques et historiques] ni les deux index des noms propres (I. — Noms qui se trouvent dans le texte et dans les notes ; II. — Noms mythologiques, historiques et géographiques qui ne se trouvent que dans les notes) de l'édition nous servant de modèle, édition dont nous ne reproduisons que les exergues, la Préface et la traduction elle-même du texte d'Apollonios de Rhodes. »


    Galère antique. Fig. 1. Les Navires. P. 18. PUF. Que sais-je ? 1950

    L'illustration de ce paragraphe est extraite de :
    THOMAZI, Auguste – Capitaine de vaisseau – Membre de L'Académie de Marine.
    Les Navires. Paris : Presses universitaires de France, 1950. 127 p.
    (Collection : « Que sais-je ? »).
    L'illustration se trouve à la page 18,
    et est légendée ainsi : « Fig. 1. — Galère antique ».
    (L'auteur de l'illustration n'est pas identifié).


    HISTOIRE - LÉGENDE - MYTHES — (++++) —

    N. B. à propos de l'ouvrage intitulé « Jason et Médée » :

    Il ne s'agit pas d'une traduction intégrale du texte d'Apollonios de Rhodes (« Les Argonautiques »), mais d'une traduction fragmentaire, concernant les chants III et IV seulement ; voici la justification du traducteur (A. Pons), qui rédige un court résumé des chants précédents (pages 13 et 14 de l'introduction [intitulée Apollonius de Rhodes] de l'ouvrage) :

    « Afin de donner le chef-d'œuvre au complet, mais sans rien d'accessoire, nous avons dû ne prendre le texte grec qu'au moment où l'action s'engage dans toute sa vivacité. Quelques détails préliminaires suffiront à mettre le lecteur au courant de la situation et de l'état des personnages.

    « Des amours de Neptune avec une nymphe naquit le bélier parlant dont la toison était d'or. Neptune en fit présent au roi de Béotie Adamas, Le fils de ce prince, Phrixus, persécuté par Ino, sa marâtre, partit sur ce bélier avec sa sœur Hellé, qui se noya, en traversant le détroit ou bras de mer appelé depuis lors Hellespont. Phrixus aborda donc seul avec son bélier sur les côtes de la Colchide, où il fut accueilli par le roi Eétès, dont il épousa la fille Chalciope. Plus tard, Pélias, roi de Jolcos, en Thessalie, craignant, d'après un présage, que Jason, son neveu, ne le détrônât, lui imposa la mission d'aller reconquérir ce précieux trésor et le fit partir avec cinquante jeunes gens sur le navire Argo. Après de nombreuses aventures, les Argonautes eurent la bonne fortune de rencontrer les fils de Chalciope et de Phrixus, qui avaient fait naufrage en allant en Grèce. Ils les sauvèrent et abordèrent avec eux à l'embouchure du Phase, non loin d'Æa (Colchos), capitale de la Colchide. Au moment où notre récit commence, Chalciope, dans la crainte que ses fils ne soient devenus suspects au roi, leur grand-père, depuis leur rencontre avec les étrangers, fait cause commune avec ceuxci et cherche à intéresser en leur faveur sa plus jeune sœur Médée, habile autant que Circé, leur aînée, dans Tart des enchantements. On comprend que la jeune fille consente à sauver des neveux de son âge et qu'elle aime comme des frères. Le désir de leur être utile va l'engager dans le parti des Grecs et colorer d'abord à ses yeux les démarches hardies que lui inspirera son amour pour Jason. »

    Deux extraits de l'ouvrage (Jason et Médée)…

    Extrait n° 1 — Notice bibliographique p. 109, 110 :

    « Longtemps avant qu'Apollonius composât son poème, l'expédition des Argonautes, ainsi que la passion de Médée, qui en est le nœud essentiel, servaient de thème aux poètes. Simonide, un des premiers, fît, sur le rapt de la fameuse toison, une chanson que les Athéniens aimaient à répéter en chœur dans leurs festins. La tradition populaire brodait là-dessus mille enjolivements, se jouait à son gré de ces œuvres lointaines et leur donnait des formes bizarres, comme le vent fait des nuages. Chacun prenait dans un sujet si riche l'épisode qui convenait le mieux à son talent. Laissons de côté les Argonautiques, faussement attribuées à Orphée, description insipide de voyages entremêlés d'aventures mythologiques. C'est sans nul doute un pastiche d'Apollonius, dû à quelque versificateur obscur des premiers temps de l'ère chrétienne. Mais, aux beaux siècles de la littérature grecque, Eschyle, dans les Nourrices de Bacchus, avait mis en scène lu rajeunissement d'Eson. La quatrième pythique de Pindare renferme un admirable développement où se trouvent en germe les épopées et les drames futurs. Peu après, Carcanus composa une Médée, malheureusement perdue où il réhabilitait la magicienne que nous sommes trop habitués a voir d'aprés le portrait affreux qu'en trace Euripide, S'il faut en croire certains historiens, celui-ci aurait inventé son horrible mégère, a l'instigation des Corinthiens qui, ayant tué jadis à coups de pierres les enfants de Jason, donnèreut cinq talents à Euripide pour qu'il attribuât ce meurtre à leur mère.

    « Quoi qu'il en soit, la version du tragique grec a pris la place de la vérité et c'est d'elle que se sont inspirés tous ceux qui depuis lors ont traité le même sujet. »

    Extrait n° 2 — Introduction (intitulée Apollonius de Rhodes) p. 8, 9 :

    « Dans l'antiquité le poème des Argonautiques jouissait d'une grande réputation. Quintilien et Longin en parlent avec éloge. Un savant poète du siècle d'Auguste, un ami d'Horace et d'Ovide, Varron d'Atace, en fit une traduction latine dont il nous reste quelques vers. Valérius Flaccus en a donné plus tard une imitation suivie et développée dont nous possédons encore huit livres. Mais son plus beau titre de gloire est d'avoir servi de modèle à Virgile lui-même. Les flammes immortelles de Didon se sont allumées à la torche de Médée. Pour parler plus simplement, le IVe livre de l'Énéide est tiré tout entier, ou à peu près, d'Apollonius, Les réminiscences y jaillissent à chaque pas, surtout dans la peinture des préludes du drame amoureux. Cela est évident, n'en déplaise à Jules Scaliger qui traite d'impudents ceux qui osent avancer une telle assertion. L'œuvre grecque méritait donc de vivre dans la mémoire des hommes à côté du chef-d'œuvre latin qu'elle a inspiré. Cependant on ne peut nier que si l'un est perpétuellement à la bouche ou dans le cœur de tout ce qui a du sentiment et du goût, l'autre est moins en vue. « On n'a pas assez rendu justice, dit un éminent critique, à la Médée d'Apollonius, frappée d'une sorte de défaveur et d'oubli, et comme entourée d'une ombre funeste. » Vous diriez vraiment que le bûcher de Didon empêche de voir le navire Argo emportant, au sortir du Phase, Mèdée glorieusement assise à la poupe, près de son amant, sur la merveilleuse toison. »


    Voici un extrait d'un ouvrage rapportant comment un universitaire procéda à la reconstruction d'une galère de l'âge du bronze et se lança sur les mers dans la reconstitution du périple de Jason et des Argonautes

    « C'est le roi Péléas qui les envoya. Il avait reçu un oracle qui lui prédisait un sort affreux — la mort par suite des machinations de l'homme qu'il verrait venir de la ville avec un pied nu… La prophétie se confirma bientôt. Jason, en traversant l'Anavros pendant une crue d'hiver, perdit une de ses sandales qui resta dans le lit de la rivière bouillonnante, mais sauva l'autre de la vase, et se présenta peu après au roi. À peine Péléas le vit-il, qu'il songea à l'oracle et décida de l'envoyer dans une périlleuse aventure au-delà des mers. Il espérait qu'au large ou dans les pays étrangers, il surviendrait à Jason tant de mésaventures qu'il ne reverrait jamais sa ville natale.

    « Ainsi commence la première légende de voyage de la littérature occidentale : l'épopée de Jason et des Argonautes partis à la conquête de la Toison d'Or. Elle retrace l'aventure d'une grande galère, montée par des héros de la Grèce antique, partie vers un pays lointain en direction de l'est. Là, dans les branches d'un chêne, non loin d'un fleuve, se trouvait une Toison sacrée, en or, gardée par un immense serpent. Si les héros parvenaient à rapporter la Toison en Grèce, le prince Jason, l'homme à une seule sandale, reprendrait à son demi-oncle, l'usurpateur Péléas, le trône dont il était l'héritier légitime. Au cours de leur voyage, raconte la légende, nos héros rencontrent plus d'une aventure : ils accostent dans une île peuplée uniquement de femmes, qui désirent faire d'eux leurs maris ; un chef de tribu barbare les provoque en un combat singulier, dont le perdant mourra sous les coups ; les redoutables Sympligades — les Roches-qui-se-heurtent — leur barrent le passage et ils n'évitent le naufrage que d'un cheveu. Un prophète aveugle, tourmenté par des démons femelles ailés, leur donne des indications précieuses, et quand les Argonautes atteignent enfin le pays lointain, la fille du roi, la princesse Médée, s'éprend de Jason d'un tel amour fou qu'elle trahit sa famille, aide Jason à voler la Toison et s'enfuit avec lui vers la Grèce.

    « Une légende aussi romanesque ne pouvait que traverser les siècles. Homère rapporte que c'était déjà un « conte sur les lèvres de tous les hommes » quand il a entrepris de composer l'Odyssée. Les plus grands poètes grecs, Euripide, Eschyle et Sophocle, s'en sont inspirés dans leurs tragédies. Au troisième siècle avant notre ère, Apollonios de Rhodes, alors directeur de la grande bibliothèque d'Alexandrie, a écrit la version la plus complète qui ait survécu : « Poussé par le dieu du chant, je m'élance, pour commémorer les héros d'autrefois qui ont conduit la bonne nef Argo à travers les détroits, dans la mer Noire et entre les Sympligades à la conquête de la Toison d'Or. »

    « Vingt-deux siècles plus tard, mes compagnons et moi-même nous sommes élancés, nous aussi, pour commémorer ces héros d'autrefois, mais d'une manière différente. Apollonios avait accompagné les Argonautes en poésie, nous espérions les suivre dans la réalité. Nous sommes donc partis à la rame sur la réplique d'une galère de l'époque de Jason, bateau à vingt avirons d'un type datant de trois mille ans, en quête de notre propre Toison d'Or : les faits réels qui sous-tendent la légende des Argonautes. Notre guide ? Un exemplaire des Argonautiques d'Apollonios, enveloppé dans plusieurs couches de plastique pour le protéger de la pluie et de l'embrun, à bord d'une embarcation non pontée… Les pessimistes avaient calculé, que sauf vents favorables en chemin, il nous faudrait souquer plus d'un million de coups d'aviron par homme avant d'atteindre notre but.

    « Notre galère, le nouvel Argo, était un ravissement pour les yeux. Les recherches, les plans et la construction avaient exigé de nous trois longues années d'efforts, mais ses lignes élégantes nous récompensaient maintenant de chaque minute passée. Avec ses cinquante-quatre pieds (16,50 m) de long, du bout de sa curieuse étrave en forme de museau jusqu'à la gracieuse pointe de sa queue relevée, il ressemblait plus à un animal marin qu'à un bateau. De chaque côté, les avirons se relevaient puis s'abaissaient comme les pattes d'un insecte géant rampant sur la surface calme des flots bleu foncé de la Grèce. Deux yeux peints lançaient des regards malveillants vers l'avant, au-dessus de l'étrange nez de l'étrave, et tout au bout de cette espèce de bélier, une sorte de poignée fixée pour se hisser à bord respirait comme une narine et ronflait chaque fois que l'eau bouillonnante s'engageait dans l'espace vide. »

    (In : SEVERIN, Tim. Le Voyage de Jason – La Conquête de la Toison d'Or. Traduit de l'anglais par Françoise et Guy Casaril. Dessins par Trondur Patursson. Avec 77 illustrations en couleur. Paris : Albin Michel, 1987. 328 p. P. 13-15).


    Un autre extrait, d'un autre ouvrage relativement récent, nous apportera de façon condensée quelques autres éléments sur le périple des Argonautes :

    « Argo

    « Navire construit dans la ville d'Argos, sur le golfe d'Argolide (Péloponnèse, Grèce) et qui servit à l'expédition des Argonautes.

    « Partis de Iolcos en Thessalie, aujourd'hui probablement Volos, ils arrivèrent en Colchide, à l'extrémité est de la mer Noire (Pont-Euxin) 3 aux pieds du Caucase, après avoir parcouru environ 900 milles marins, en passant par l'île de Lemnos et le détroit du Bosphore.

    « L'érudit bénédictin dom Augustin Calmet (1672-1757) place cet événement en 1269 av. J.-C.

    « Le voyage des Argonautes, de nos jours simple navigation de cabotage, a été embelli par des poèmes, comme celui d'Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques, les légendes et la mythologie. En fait, il situe la période d'expansion des Hellènes en Méditerranée, à une époque où toute navigation était une aventure.

    « L'itinéraire de retour de l'ARGO non seulement varie considérablement suivant les auteurs anciens, mais encore s'allonge dans toutes les directions, le récit se maintenant au rythme des découvertes de nouveaux rivages. Revenu en Grèce, le navire pieusement conservé fut consacré à Athéna, déesse de la sagesse, et à Poséidon, dieu de la mer (Minerve et Neptune des Romains).

    « Exposé dans un temple et à la portée du public, il subit du fait des pèlerins amateurs de souvenirs, de nombreuses mutilations aussitôt réparées, mais la répétition de ces prélèvements et restaurations aboutit, au bout de quelques centaines d'années, à un nouveau navire, toujours l'ARGO en apparence, mais ne possédant plus aucune pièce de sa construction d'origine. « C'est le vaisseau ARGO », a longtemps été un proverbe pour désigner une chose qui, telle le couteau de Jeannot dont on a changé plusieurs fois la lame et le manche, a conservé son nom bien que toutes les parties qui la composaient aient été enlevées et remplacées.

    « Dans l'ouvrage de M. Jal, Archéologie navale, on trouve, à propos de l'ARGO, le passage suivant concernant son ancre :

    « Arrien, dans son Périple du Pont-Euxin, raconte que, dans le temple d'une déesse du Phase, on lui montra l'ancre du navire ARGO; que cette ancre était en fer et que cette circonstance, autant que la ressemblance de l'instrument qu'on lui montrait avec les ancres dont se servaient les Grecs contemporains d'Arrien (deuxième siècle de l'ère chrétienne), la lui faisaient regarder comme postérieure à l'expédition des Argonautes. Il ajoute que, dans le même temple, on voyait de très vieux fragments d'une ancre de pierre qui, plus vraisemblablement, était l'ancre du navire ARGO 1. »

    « MYTHOLOGIE

    « L'expédition des Argonautes en Colchide avait pour but la conquête de la Toison d'Or. C'était celle du bélier volant qui emporta Phrixos et sa sœur Hellé fuyant les persécutions de leurs parents. Hellé tomba à la mer et se noya, donnant son nom à l'Hellespont (Dardanelles). Phrixos fit don de la peau du bélier au roi de Colchide. Jason, fils et petit-fils des fondateurs d'Iolcos, faisant valoir ses droits à la royauté, son oncle Pélias, usurpateur, l'envoya à la conquête de la Toison d'Or, lui promettant de lui rendre le royaume s'il la rapportait.

    « Après de nombreuses aventures et après avoir tué le dragon qui la gardait, Jason finit par s'en emparer et revint accompagné de la magicienne Médée, fille du roi. Parmi ses compagnons, les Argonautes, dont le nombre se montait à une cinquantaine, se trouvaient : Tiphys le pilote, Nauplios le navigateur, Héraklès (Hercule), Hylas, Castor et Pollux, fils de Zeus, Oïlé, Télamon, Pelée, père d'Achille, Thésée, Philoctète, Orphée, chargé de charmer les bêtes féroces avec sa lyre, le centaure Chiron qui avait élevé Jason, Lyncée doué d'une vue perçante, Péryclyménos et Euphémos, ce dernier pouvant marcher sur les flots. »

    [Note n° 3 du bas de la page 16 :]

    « 3. Pontes Euxinos, mer hospitalière. »

    [Note n° 1 du bas de la page 17 :]

    « 1. Jal, t. I, p. 104. »

    (In : GRUSS, Robert. Sillages disparus. Vingt dessins à la plume de Pierre Joubert, cinquante-deux photographies, six schémas. Paris : Éditions Maritime et d'Outre-Mer, 1969. 174 p. P. 16-18 (rubrique Argo).

    N. B. :

    Références d'une édition de l'ouvrage mentionné dans la note n° 1 de la page 17 : JAL, A. Archéologie navale. Paris : Arthus Bertrand, 1840. 2 tomes (tome premier : 490 p., tome second : 671 p.).


    Robert Gruss, dans Sillages disparus, citant A. Jal, évoque le témoignage d'Arrien (v. 85 – v. 150) ; voici une traduction de ce témoignage d'Arrien :

    « À l'entrée du Phase, à gauche, est une statue de la déesse du Phase ; à sa pose on la prendrait pour Rhéa ; elle a des cymbales dans les mains, des lions sous son trône, et elle est assise comme l'est dans le temple de Cybèle à Athènes la statue de Phidias. On montre en cet endroit une ancre du vaisseau Argo ; mais comme elle est de fer, elle ne me paraît pas ancienne. Sa grandeur cependant n'est pas celle des ancres d'aujourd'hui, et sa forme a quelque chose d'étrange ; néanmoins elle me semble d'une date plus récente. On montrait encore d'anciens morceaux d'une autre ancre de pierre ; et il est plus probable que ceux-là sont les débris de l'ancre de l'Argo. Il n'y avait là, du reste, aucun autre monument de l'histoire fabuleuse de Jason. »

    (In : ARRIEN. Le Périple de la Mer Noire. Thèse présentée à la Faculté des Lettres de Paris par Henry Chotard. Paris : Imprimerie de W. Remquet et Cie, 1860. 240 p. P. 21-22 (traduction du Périple de la p. 15 à la p. 223)).


    On trouvera chez Edith Hamilton certaines considérations littéraires auxquelles il n'est pas fait allusion plus haut :

    « 7. La conquête de la Toison d'Or

    « C'est le titre d'un long poème, très populaire aux temps classiques ; il est dû à un poète du IIIe siècle, Apollonius de Rhodes, qui relate toute l'histoire de cette expédition à l'exception de l'épisode concernant Jason et Pélias ; j'ai emprunté celui-ci à Pindare, auquel il fournit le thème de l'une de ses odes les plus célèbres, écrite dans la première partie du Ve siècle. Apollonius termine son œuvre par la relation du retour des héros en Grèce. J'ai ajouté le récit de ce que Jason et Médée accomplirent dans ce pays, récit que j'ai pris à Euripide, poète tragique grec du Ve siècle, qui en a fait le sujet de l'une de ses meilleures œuvres.

    « Ces trois écrivains sont très différents les uns des autres. Aucune paraphrase en prose ne saurait donner une idée de la manière de Pindare : à peine pourrait-elle, peut-être, nous faire entrevoir son don particulier pour la description alerte et minutieuse.

    « Apollonius fera revivre le souvenir de Virgile chez les lecteurs de l'Enéide. La différence entre la Médée d'Euripide, l'héroïne d'Apollonius et la Didon de Virgile donne la mesure de ce qu'était alors la tragédie grecque.

    « Le chef de l'expédition de la Toison d'Or fut le premier héros qui, en Europe, entreprit un long voyage. Il est censé avoir précédé d'une génération le voyageur grec le plus fameux, le héros de l'Odyssée. Il s'agit, bien entendu, d'un voyage par mer. »

    (In : HAMILTON, Edith. La Mythologie – Ses Dieux, ses héros, ses légendes. Verviers : Gérard & Cie, 1962. (Marabout Université). 415 p. P. 136 (Deuxième partie : Récits d'amour et d'aventure ; chapitre : 7. La Conquête de la Toison d'Or).


    Le lecteur dont la curiosité se sera vue éveillée par les considérations qui précèdent, où par la lecture des Argonautiques, le lecteur curieux de la navigation dans l'Antiquité, consultera utilement, éventuellement, quelques autres ouvrages :

    — CALMET, Augustin (Dom). Dictionnaire historique, archéologique, philologique, chronologique, géographique et littéral de la Bible. Quatrième édition revue, corrigée, complétée et actualisée par M. l'abbé A. F. James ; publiée par M. l'abbé Migne. Paris : Ateliers catholiques du Petit-Montrouge. 4 tomes dans cette édition (Jason est évoqué dans le cours du tome deuxième; 1846 : 1288 colonnes – 2 colonnes par page).

    — CARTAULT, A. La Trière athénienne – Étude d'archéologie navale. Paris Ernest Thorin, 1881. XXVI et 260 p.

    — DUMAS, Frédéric. Épaves antiques – Introduction à l'archéologie sous-marine méditerranéenne. Préface de Michel Mollat. Paris : G.-P. Maisonneuve et Larose, 1964. 188 p. (et planches de 52 photographies).

    — FOUGERON, Romain. Archéologie navale expérimentale – Synthèse des reconstructions de navires méditerranéens antiques. Mémoire, deuxième année de Master (UFR 03 — Histoire de l'art – Archéologie - Sciences humaines et sociales, Archéologie, Archéologie des périodes historiques (ED 112)), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Paris : 2014. 93 p.

    — MEIRAT, Jean. Marines antiques de la Méditerranée. Paris : Fayard, 1964. 204 p. (Résurrection du passé).

    — JAL, A. Archéologie navale. Paris : Arthus Bertrand, 1840. 2 tomes (tome premier : 490 p., tome second : 671 p.).

    — JAL, Auguste. La Flotte de César ; le ΞΥΣΤΟΝ ΝΑΥΜΧΟΝ d'Homère ; Virgilus nauticus : études sur la marine antique. Paris : Firmin Didot Frères, Fils et Cie, 1861. 430 p.

    — LANDSTRÖM, Björn. Histoire du voilier – Du bateau en papyrus au trois-mâts gréé carré. Traduction française d'après l'édition anglaise par Robert Latour. Paris : Albin Michel, 1969. 185 p.


    Médée sur son char.

    « Médée, ayant donc tiré du coffret l'herbe magique, la mit à la ceinture odorante qui serrait son beau sein, et, sortant à la porte, elle monta sur le char rapide. Avec elle montèrent de chaque côté deux suivantes. Elle-même prit les rênes, et tenant le fouet de la main droite, elle conduisait à travers la ville. Les autres suivantes, s'attachant derrière à la caisse du char, couraient le long de la large voie et relevaient en courant leur fine tunique jusqu'à la blancheur du genou. […] »

    L'illustration de ce paragraphe est extraite de :
    APOLLONIUS DE RHODES. Jason et Médée.
    Gravures de Méaulle. Traduction et notices de A. Pons.
    Paris : A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1882. 119 p.
    La gravure représente Médée sur un char,
    et se trouve à la p. 59 de l'ouvrage
    (le texte utilisé en guise de légende
    se trouve quant à lui à la p. 61).

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  • Auteur : Homère.
  • ILIADE

    ET

    ODYSSÉE

    PRÉSENTATION GÉNÉRALE


    « L’Histoire a gardé les noms des trois Jeunes Florentins, B. et N. Nerili et J. AcciaJuoli, qui donnèrent à Démétrios Chalcocondylas les moyens de faire imprimer en 1488 le premier Homère qu’ait publié la Renaissance : aux vieux errements des copistes byzantins ils avaient voulu substituer les procédés nouveaux de la presse.

    « C’est grâce à ces trois mécènes de Florence qu’Homère fut adopté par l’occident, puis par tous les peuples de race blanche, et qu’il est devenu le poète mondial, l’ancêtre et le modèle de toute poésie.

    « Vous avez voulu, à votre tour, que tous nos arts et toutes nos industries du livre fussent mis a son service pour un hommage dont il n ’avait pas encore rencontre le pareil.

    « L’antiquité, qui lui avait consacré des temples, lui offrait parfois quelque sacrifice, comme à l’un des dieux, mais comme à l’un des moindres. Smyrne elle-même, qui le proclamait le plus glorieux de ses enfants, ne lui apporta jamais ni les cent hécatombes, de cent brebis chacune, ni les couronnes et parures éclatantes dont votre piété l’honore aujourd’hui.

    « Vous n ’avez rien épargné pour le montrer aux lecteurs du XXe siècle, non plus seulement tel qu’il pouvait paraître à ses admirateurs d’hier et d’autrefois, mais tel que nous l’ont révélé les découvertes merveilleuses dont les cinquante années dernières nous ont fait la surprise dans le double domaine de l ’archéologie et de la philologie.

    « Par la vertu de ces trouvailles, nous pouvons nous flatter aujourd’hui de connaître Homère, son âge, son art et ses héros mieux que ne les ont jamais connus les plus grands lettrés de l ’antiquité et des temps modernes, même les Virgile de Rome, les Aristarque et les Apollonios d’Alexandrie, les Aristote et les Platon d’Athènes.

    « Grâce à elles, nous pouvons corriger surtout les idées étranges qui prévalurent au long du XIXe siècle sur l’existence du poète, sur sa part dans les ouvrages qui portent son nom, et sur la vérité des récits ou l’exactitude des descriptions que nous présentent l’Iliade et l’Odyssée.

    « Tout a changé, depuis cinquante ans, dans la connaissance que nous pouvons avoir des temps et des poèmes homériques. En aucun chapitre peut-être des recherches scientifiques et des études littéraires, les hypothèses, théories et affirmations du XIXe siècle ne semblent aujourd’hui plus périmées, plus contraires à la vérité ou à la vraisemblance.

    « Les fouilles des archéologues dans les îles et sur les rivages de la mer Égée ont ouvert devant nos yeux plusieurs dizaines de siècles, antérieurs aux dates qui semblaient les plus lointaines, les plus fabuleuses de la tradition grecque et latine : la première olympiade (776 avant J.-C.) et la fondation de rome (753 avant J.-C.) semblaient naguère les plus fines pointes de l’aube européenne ou comme les deux seuils de l’histoire classique ; telle relique crétoise du musée de Candie nous reporte aujourd 'hui au XXXe siècle avant notre ère.

    « Pendant que les archéologues exploraient, tant à Troie qu’a Mycènes et à Tirynthe, les manoirs de Priam, d’Agamemnon et des autres nobles « fils d’Achéens », pendant qu’ils retrouvaient à Cnossos, à Phaistos, à Mallia, « la Crète de Minos et de Pasiphaé,

    « Les décombres des vieux bourgs égyptiens rendaient à nos philologues les manuscrits en fibres végétales, les papyri, sur lesquels les sujets des Ptolémées, après la conquête de l’Égypte par Alexandre, avaient lu les vers du poète durant les dix générations qui ont précédé l’ère chrétienne : jusqu’en 1860, nous ne connaissions Homère que par des manuscrits de Byzance sur parchemin, et le plus vieux ne remontait pas plus haut que le Xe siècle après J.-C. — donc au temps de nos premiers Capétiens — ; tels de nos papyri actuels remontent à la fin du quatrième siècle avant notre ère et nous apportent un Homère antérieur de quelque douze ou treize cents ans à celui que Byzance nous avait légué.

    « Les conséquences de ces découvertes ont dépassé toute prévision : il est impossible désormais d’éditer, de traduire et d’illustrer l’Iliade et l’Odyssée ainsi qu’on le faisait il y a soixante ans encore. Un demi-siècle après les premières découvertes de l’archéologie crétoise, égéenne et mycénienne, trente ou quarante années après la première mise en valeur des papyri homériques, il vous a semble qu’une traduction de l’Odyssée serait inutile et, des la publication, désuète, si elle ne procédait pas directement, ostensiblement, de ces documents nouveaux.

    « En cette édition, […], les quarante années de mon travail homérique ont trouvé la plus magnifique des récompenses : en vous témoignant ma profonde gratitude, je voudrais légitimer à vos yeux quelques-unes des nouveautés apparentes ou réelles qui, dans le texte et dans l’illustration, risqueraient à première rencontre de déconcerter les habitudes de nos contemporains les plus cultivés. »

    « 8 juin 1930.

    « VICTOR BÉRARD »

    (In : Homère. L’Odyssée. Traduction de Victor Bérard. Illustrations et décors de François-Louis Schmied. Paris : La Compagnie des Bibliophiles de l’Automobile-club de France. 4 tomes. Tome I (1930) : LVIII p. (« Lettre » et « Préface ») et 116 p. Tome II (1931) : 170 p. Tome III (1932) : 176 p. Tome IV (1933) : XX p. (« Introduction » au tome IV : « En marge de l’Odyssée ») et 165 p. Tome I, « Lettre », p. XIII-XVI).


    « Depuis quelque vingt siècles, tout l’Occident, puis toute l’Europe, enfin tout le monde blanc ont adopté, révéré le texte homérique dans la structure et la teneur que nous avons héritées des Romains. Mais ce texte, Rome ne l’avait pas reçu des grands et vrais hellènes d’Athènes, de Sparte, de Cnios ou de Milet ; elle le tenait des « petits Grecs » de l’asiatique Pergame et de l’égyptienne Alexandrie.

    « Nous lisons encore aujourd’hui l’Homère que lisait et qu’imitait Virgile, mais non pas celui qu’ont connu et admiré les Athéniens de Solon, les Doriens de Lycurgue, les Ioniens de Thales et les Éoliens de Sapho. Notre Homère en deux poèmes massifs et continus de XXIV « chants » chacun, ne date que des éditeurs du IIIe siècle avant notre ère.

    « Ce sont les Critiques d’Alexandrie, Zénodote (mort vers 260), Aristophane de Byzance (vivant vers 250) et le fameux Aristarque (né vers 215), puis les Grammairiens de Pergame qui ont définitivement aménagé et constitué les deux blocs unitaires des poésies homériques : « geste » d’Achille ou d’Ilion, sous le nom d’Iliade, et « geste » d’Ulysse, sous le nom d’Odyssée. Ce sont les Alexandrins qui ont tranché dans chacun de ces recueils les XXIV chapitres qu’à grand tort, nous appelons « chants ». Et ce sont les gens de Pergame qui ont admis dans leur texte officiel les 15.693 vers de notre Iliade et les 12.110 vers de notre Odyssée, alors que plusieurs milliers de ces vers étaient de « bâtardise » certaine ou d’authenticité douteuse. »

    « Avant les Alexandrins, durant les cinq siècles (800-300) qui séparent la mort d’Homère et la mort d’Alexandre, de nombreuses modifications et altérations avaient été apportées déjà à la structure et à la teneur des poésies homériques. Les trois drames épiques, que leurs auteurs avaient composés en pièces indépendantes, pour des représentations séparées, VOYAGE DE TÉLÉMAQUE, RÉCITS CHEZ ALKINOOS, et VENGEANCE D’ULYSSE, avaient été réunis, aboutés, amalgamés en une sorte de roman continu, qui avait été muni, en tête, d’une Ouverture et, en queue, d’un Finale postiches. »

    « Cette bâtisse, comme disaient les Anciens, date, semble-t-il, du sixième siècle avant notre ère […]. »

    (In : Homère. L’Odyssée. Traduction de Victor Bérard. Illustrations et décors de François-Louis Schmied. Paris : La Compagnie des Bibliophiles de l’Automobile-club de France. 4 tomes. Tome I (1930) : LVIII p. (« Lettre » et « Préface ») et 116 p. Tome II (1931) : 170 p. Tome III (1932) : 176 p.. Tome IV (1933) : XX p. (« Introduction » au tome IV : « En marge de l’Odyssée ») et 165 p. Tome IV, « INTRODUCTION AU TOME IV » intitulée « En Marge de l’Odyssée », pages I à III).


    N. B. : numérisation : Gallica-BNF ; conservation : Bibliothèque nationale de France ; téléchargement depuis : gallica.bnf.fr. N. B. : fichier lu par nos soins au moyen d'ABBYY FineReader…

    HISTOIRE - LÉGENDE - MYTHES — (+++++) —

    Extraits (N. B. : dans la traduction de Leconte de Lisle le mot Rhapsodie est employé pour signifier ce qui habituellement se voit rendu par le mot Chant) :

    Extrait n° 1 (p. 1-2 [RHAPSÔDIE I]) :

    « Chante, Déesse, du Pèlèiade Akhilleus la colère désastreuse, qui de maux infinis accabla les Akhaiens, et précipita chez Aidès tant de fortes âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux carnassiers. Et le dessein de Zeus s’accomplissait ainsi, depuis qu’une querelle avait divisé l’Atréide, roi des hommes, et le divin Akhilleus.

    « Qui d’entre les Dieux les jeta dans cette dissension ? Le fils de Zeus et de Lèto. Irrité contre le Roi, il suscita dans l’armée un mal mortel, et les peuples périssaient, parce que l’Atréide avait couvert d’opprobre Khrysès le sacrificateur. Et celui-ci était venu vers les nefs rapides des Akhaiens pour racheter sa fille ; et, portant le prix infini de l’affranchissement, et, dans ses mains, les bandelettes de l’Archer Apollon, suspendues au sceptre d’or, il conjura tous les Akhaiens, et surtout les deux Atréides, princes des peuples :

    « — Atréides, et vous, Akhaiens aux belles knèmides, que les Dieux qui habitent les demeures olympiennes vous donnent de détruire la ville de Priamos et de vous en retourner heureusement ; mais rendez-moi ma fille bien-aimée et recevez le prix de l’affranchissement, si vous révérez le fils de Zeus, l’Archer Apollon.

    « Et tous les Akhaiens, par des rumeurs favorables, voulaient qu’on respectât le sacrificateur et qu’on reçut le prix splendide ; mais cela ne plut point à l’âme de l’Atréide Agamemnon, et il le chassa outrageusement, et il lui dit cette parole violente :

    « — Prends garde, vieillard, que je te rencontre auprès des nefs creuses, soit que tu t’y attardes, soit que tu reviennes, de peur que le sceptre et les bandelettes du Dieu ne te protègent plus. Je n’affranchirai point ta fille. La vieillesse l’atteindra, en ma demeure, dans Argos, loin de sa patrie, tissant la toile et partageant mon lit. Mais, va ! ne m’irrite point, afin de t’en retourner sauf. »

    Extrait n° 2 (p. 33-35 [RHAPSÔDIE II]) :

    « […]

    « Comme les multitudes ailées des oies, des grues ou des cygnes au long cou, dans les prairies d’Asios, sur les bords du Kaystrios, volent ça et la, agitant leurs ailes joyeuses, et se devançant les uns les autres avec des cris dont la prairie résonne, de meme les innombrables tribus Akhaiennes roulaient en torrents dans la plaine du Skamandros, loin des nefs et des tentes ; et, sous leurs pieds et ceux des chevaux, la terre mugissait terriblement. Et ils s’arrêtèrent dans la plaine fleurie du Skamandros, par milliers, tels que les feuilles et les fleurs du printemps. Aussi nombreux que les tourbillons infinis de mouches qui bourdonnent autour de l’étable, dans la saison printanière, quand le lait abondant blanchit les vases, les Akhaiens chevelus s’arrêtaient dans la plaine en face des Troiens, et désirant les détruire. Comme les bergers reconnaissent aisément leurs immenses troupeaux de chèvres confondus dans les pâturages, ainsi les chefs rangeaient leurs hommes. Et le grand roi Agamemnon était au milieu d’eux, semblable par les yeux et la tête à Zeus qui se réjouit de la foudre, par la stature à Arès, et par l’ampleur de la poitrine a Poseidaôn. Comme un taureau l’emporte sur le reste du troupeau et s’élève au-dessus des génisses qui l’environnent, de même Zeus, en ce jour, faisait resplendir l’Atréide entre d’innombrables héros.

    « Et maintenant, Muses, qui habitez les demeures Olympiennes, vous qui êtes Déesses, et présentes a tout, et qui savez toutes choses, tandis que nous ne savons rien et n’entendons seulement qu’un bruit de gloire, dites les Rois et les princes des Danaens. Car je ne pourrais nommer ni décrire la multitude, même ayant dix langues, dix bouches, une voix infatigable et une poitrine d’airain, si les Muses Olympiades, filles de Zeus tempétueux, ne me rappellent ceux qui vinrent sous Ilios. Je dirai donc les chefs et toutes les nefs.

    « Pènéléôs et Lèitos, et Arkésilaos, et Prothoènôr, et Klonios commandaient aux Boiôtiens. Et c’étaient ceux qui habitaient Hyriè et la pierreuse Aulis, et Skhoinos, et Skôlos, et les nombreuses collines d’Etéôn, et Thespéia, et Graia, et la grande Mikalèsos ; et ceux qui habitaient autour de Harma et d’Eilésios et d’Erythra ; et ceux qui habitaient Eléôn et Hilè, et Pétéôn, Okaliè et Médéôn bien bâtie, Kôpa et Eutrèsis et Thisbè abondante en colombes ; et ceux qui habitaient Korônéia et Haliartos aux grandes prairies ; et ceux qui habitaient Plataia ; et ceux qui vivaient dans Glissa ; et ceux qui habitaient la cité bien bâtie de Hypothèba, et la sainte Onkhestos, bois sacre de Poseidaôn ; et ceux qui habitaient Arnè qui abonde en raisin, et Midéia, et la sainte Nissa, et la ville frontière Anthèdôn. Et ils étaient venus sur cinquante nefs, et chacune portait cent vingt jeunes Boiôtiens.

    « Et ceux qui habitaient Asplèdôn et Orkhomènos de Mynias étaient commandés par Askalaphos et Ialménos, fils d’Arès. Et Astyokhè Azéide les avait enfantés dans la demeure d’Aktôr ; le puissant Arès ayant surpris la vierge innocente dans les chambres hautes. Et ils étaient venus sur trente nefs creuses.

    « Et Skhédios et Epistrophos, fils du magnanime Iphitos Naubolide, commandaient aux Phôkèens. Et c’étaient ceux qui habitaient Kiparissos et la pierreuse Pythôn et la sainte Krissa, et Daulis et Panopè ; et ceux qui habitaient autour d’Anémôréia et de Hyampolis ; et ceux qui habitaient auprès du divin fleuve Kèphisos et qui possédaient Lilaia, à la source du Kèphisos. Et ils étaient venus sur quarante nefs noires, et leurs chefs les rangèrent à la gauche des Boiôtiens.

    « Et l’agile Aias Oilèide commandait aux Lokriens. Il était beaucoup moins grand qu’Aias Télamônien, et sa cuirasse était de lin ; mais, par la lance, il excellait entre les Panhellènes et les Akhaiens. Et il commandait à ceux qui habitaient Kynos et Kalliaros, et Bèssa et Scarphè, et l’heureuse Augéia, et Tarphè, et Thronios, auprès du Boagrios. Et tous ces Lokriens, qui habitaient au delà de la sainte Euboiè, étaient venus sur quarante nefs noires. »

    « […] »

    Extrait n° 3 (p. 113-116 [RHAPSÔDIE VI]) :

    « […]

    « Ayant ainsi parlé, Hektôr au casque mouvant sortit et parvint bientot à ses demeures, et il n’y trouva point Andromakhè aux bras blancs, car elle était sortie avec son fils et une servante au beau péplos, et elle se tenait sur la tour, pleurant et gémissant. Hektôr, n’ayant point trouvé dans ses demeures sa femme irréprochable, s’arrêta sur le seuil et parla ainsi aux servantes :

    « — Venez, servantes, et dites-moi la vérité. Ou est allée, hors des demeures, Andromakhe aux bras blancs ? Est-ce chez mes sœurs, ou chez mes belles-sœurs au beau péplos, ou dans le temple d’Athènè avec les autres Troiennes qui apaisent la puissante Déesse à la belle chevelure ? Et la vigilante Intendante lui répondit :

    « — Hektôr, puisque tu veux que nous disions la vérité, elle n’est point allée chez tes sœurs, ni chez tes belles sœurs au beau péplos, ni dans le temple d’Athènè avec les autres Troiennes qui apaisent la puissante Déesse à la belle chevelure ; mais elle est au faîte de la vaste tour d’Ilios, ayant appris une grande victoire des Akhaiens sur les Troiens. Et, pleine d’égarement, elle s’est hâtée de courir aux murailles, et la nourrice, auprès d’elle, portait l’enfant.

    « Et la femme intendante parla ainsi. Hektôr, étant sorti de ses demeures, reprit son chemin à travers les rues magnifiquement construites et populeuses, et, traversant la grande Ville, il arriva aux portes Skaies par ou il devait sortir dans la plaine. Et sa femme, qui lui apporta une riche dot, accourut au-devant de lui, Andromakhè, fille du magnanime Eétiôn qui habita sous le Plakos couvert de forêts, dans Thèbè Hypoplakienne, et qui commanda aux Kilikiens. Et sa fille était la femme de Hektôr au casque d’airain. Et quand elle vint au-devant de lui, une servante l’accompagnait qui portait sur le sein son jeune fils, petit enfant encore, le Hektoréide bien-aimé, semblable à une belle étoile. Hektôr le nommait Skamandrios, mais les autres Troiens Astyanax, parce que Hektôr seul protégeait Troiè. Et il sourit en regardant son fils en silence ; mais Andromakhè, se tenant auprès de lui en pleurant, prit sa main et lui parla ainsi :

    « — Malheureux, ton courage te perdra ; et tu n’as pitie ni de ton fils enfant, ni de moi, misérable, qui serai bientôt ta veuve, car les Akhaiens te tueront en se ruant tous contre toi. Il vaudrait mieux pour moi, après t’avoir perdu, subir la sépulture, car rien ne me consolera quand tu auras accompli ta destinée, et il ne me restera que mes douleurs. Je n’ai plus ni mon père ni ma mère vénérable. Le divin Akhilleus tua mon père, quand il saccagea la ville populeuse des Kilikiens, Thèbè aux portes hautes. Il tua Eétiôn, mais il ne le dépouilla point, par un respect pieux, il le brûla avec ses belles armes et il lui éleva un tombeau, et les Nymphes Orestiades, filles de Zeus tempétueux, plantèrent des ormes autour. J’avais sept freres dans nos demeures ; et tous descendirent en un jour chez Aides, car le divin Akhilleus aux pieds rapides les tua tous, auprès de leurs bœufs aux pieds lents et de leurs blanches brebis. Et il emmena, avec les autres dépouilles, ma mère qui régnait sous le Plakos plante d’arbres, et il l’affranchit bientôt pour une grande rançon ; mais Artémis qui se réjouit de ses flaches la perça dans nos demeures. Hektôr ! Tu es pour moi un père, une mère vénérable, un frère et un époux plein de jeunesse ! Aie pitié ! Reste sur cette tour ; ne fais point ton fils orphelin et ta femme veuve. Réunis l’armée auprès de ce figuier sauvage ou l’accès de la Ville est le plus facile. Déjà, trois fois, les plus courageux des Akhaiens ont tenté cet assaut, les deux Aias, l’illustre Idoméneus, les Atréides et le brave fils de Tydeus, soit par le conseil d’un divinateur, soit par le seul élan de leur courage.

    « Et le grand Hektôr au casque mouvant lui répondit :

    « — Certes, femme, ces inquiétudes me possèdent aussi, mais je redouterais cruellement les Troiens et les Troiennes aux longs péplos traînant, si, comme un lâche, je fuyais le combat. Et mon cœur ne me pousse point à fuir, car j’ai appris a être toujours audacieux et a combattre, parm les premiers, pour la gloire de mon père et pour la mienne. Je sais, dans mon esprit et dans mon cœur, qu’un jour viendra ou la sainte Troiè périra, et Priamos, et le brave peuple de Primaux. Mais ni le malheur futur des Troiens ni celui de Hékabè elle-même, du roi Priamos et de mes frênes courageux qui tomberont en foule sous les guerriers ennemis, ne m’afflige autant que le tien, quand un Akhaien cuirassé d’airain te ravira la liberté et t’emmènera pleurante ! Et tu tisseras la toile de l’Étranger, et tu porteras de force l’eau de Messèis et de Hypéréiè, car la dure nécessité le voudra. Et, sans doute, quelqu’un dira, te voyant répandre des larmes : — Celle-ci est la femme de Hektôr qui était le plus brave des Troiens dompteurs de chevaux quand il combattait autour de Troie. — Quelqu’un dira cela, et tu seras déchirée d’une grande douleur, en songeant à cet époux que tu auras perdu, et qui, seul, pourrait finir ta servitude. Mais que la lourde terre me recouvre mort, avant que j’entende tes cris et que je te voie arracher d’ici !

    « Ayant ainsi parlé, l’illustre Hektôr lendit les mains vers son fils, mais l’enfant se rejeta en arrière dans le sein de la nourrice à la belle ceinture, épouvanté à l’aspect de son père bien-aimé, et de l’airain et de la queue de cheval qui s’agitait terriblement sur le cône du casque. Et le père bien-aimé sourit et la mère vénérable aussi. Et l’illustre Hektôr ôta son casque et le déposa resplendissant sur la terre. Et il baisa son fils bien-aimé, et, le berçant dans ses bras, il supplia Zeus et les autres Dieux :

    « — Zeus, et vous, Dieux, faites que mon fils s’illustre comme moi parmi les Troiens, qu’il soit plein de force et qu’il règne puissamment dans Troiè ! Qu’on dise un jour, le voyant revenir du combat : Celui-ci est plus brave que son père ! Qu’ayant tué le guerrier ennemi, il rapporte de sanglantes dépouilles, et que le cœur de sa mère en soit réjoui !

    « Ayant ainsi parlé, il déposa son enfant entre les bras de sa femme bien-aimée, qui le reçut sur son sein parfume, en pleurant et en souriant ; et le guerrier, voyant cela, la caressa de la main et lui dit :

    « — Malheureuse, ne te désespère point a cause de moi. Aucun guerrier ne m’enverra chez Aides contre ma destinée, et nul homme vivant ne peut fuir sa destinée, lâche ou brave. Mais retourne dans tes demeures, prends soin de tes travaux, de la toile et de la quenouille, et mets tes servantes a leur tache. Le souci de la guerre appartient a tous les guerriers qui sont nés dans Ilios, et surtout a moi.

    « Ayant ainsi parle, l’illustre Hektôr reprit son casque à flottante queue de cheval. Et l’Épouse bien-aimée retourna vers ses demeures, regardant en arrière et versant des larmes. Et aussitôt qu’elle fut arrivée aux demeures du tueur d’hommes Hektôr, elle y trouva ses nombreuses servantes en proie à une grande douleur. Et celles-ci pleuraient, dans ses demeures, Hektôr encore vivant, ne pensant pas qu’il revint jamais plus du combat, ayant échappé aux mains guerrières des Akhaiens. »

    « […] »


    N. B. : numérisation : Gallica-BNF ; conservation : Bibliothèque nationale de France ; téléchargement depuis : gallica.bnf.fr. N. B. : fichier lu par nos soins au moyen d'ABBYY FineReader…

    HISTOIRE - LÉGENDE - MYTHES — (+++++) —

    Extraits (N. B. : dans la traduction de Leconte de Lisle le mot Rhapsodie est employé pour signifier ce qui habituellement se voit rendu par le mot Chant) :

    Extrait n° 1 (p. 1-2 [RHAPSÔDIE I]) :

    « Dis-Moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu’il eut renverse la citadelle sacrée de Troie. Et il vit les cites de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son cœur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir ; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les bœufs de Hélios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l’heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus.

    « Tous ceux qui avaient évité la noire mort, échappés de la guerre et de la mer, étaient rentrés dans leurs demeures ; mais Odysseus restait seul, loin de son pays et de sa femme, et la vénérable Nymphe Kalypsô, la très-noble Déesse, le retenait dans ses grottes creuses, le désirant pour mari. Et quand le temps vint, après le déroulement des années, ou les Dieux voulurent qu’il revît sa demeure en Ithakè, même alors il devait subir des combats au milieu des siens. Et tous les Dieux le prenaient en pitié, excepte Poseidaôn, qui était toujours irrité contre le divin Odysseus, jusqu’a ce qu’il fut rentré dans son pays. »

    Extrait n° 2 (p. 144-146 [RHAPSÔDIE X]) :

    « […]. Et nous naviguions de là, tristes dans le cœur ; et l’âme de mes compagnons était accablée par la fatigue cruelle des avirons, car le retour ne nous semblait plus possible, a cause de notre démence. Et nous naviguâmes ainsi six jours et six nuits. Et, le septieme jour, nous arrivâmes a la haute ville de Lamos, dans la Laistrygoniè Télépyle. La, le pasteur qui rentre appelle le pasteur qui sort en l’entendant. Là, le pasteur qui ne dort pas gagne un salaire double, en menant paître les bœufs d’abord, et, ensuite, les troupeaux aux blanches laines, tant les chemins du jour sont proches des chemins de la nuit. Et nous abordâmes le port illustre entoure d’un haut rocher. El, des deux cotes, les rivages escarpes se rencontraient, ne laissant qu’une entrée étroite. Et mes compagnons conduisirent la toutes les nefs égales, et ils les amarrèrent, les unes auprès des autres, au fond du port, ou jamais le flot ne se soulevait, ni peu, ni beaucoup, et ou il y avait une constante tranquillité. Et, moi seul, je retins ma nef noire en dehors, et je l’amarrai aux pointes du rocher. Puis, je montai sur le faîte des écueils, et je ne vis ni les travaux des bœufs, ni ceux des hommes, et je ne vis que de la fumée qui s’élevait de terre. Alors, je choisis deux de mes compagnons et un héraut, et je les envoyai pour savoir quels hommes nourris de pain habitaient cette terre. Et ils partirent, prenant un large chemin par ou les chars portaient à la Ville le bois des hautes montagnes. Et ils rencontrèrent devant la Ville, allant chercher de l’eau, une jeune vierge, fille du robuste Laistrygôn Antiphatès. Et elle descendait à la fontaine limpide d’Artakiè. Et c’est là qu’on puisait de l’eau pour la Ville. S’approchant d’elle, ils lui demandèrent quel était le roi qui commandait à ces peuples ; et elle leur montra aussitôt la haute demeure de son père. Étant entrés dans l’illustre demeure, ils y trouvèrent une femme haute comme une montagne, et ils en furent épouvantés. Mais elle appela aussitôt de l’agora l’illustre Antiphatès, son mari, qui leur prépara une lugubre destinée, car il saisit un de mes compagnons pour le dévorer. Et les deux autres, precipitant leur fuite, revinrent aux nefs. Alors, Antiphatès poussa des clameurs par la Ville, et les robustes Laistrygones, l’ayant entendu, se ruaient de toutes parts, innombrables, et pareils, non à des hommes, mais a des géants. Et ils lançaient de lourdes pierres arrachées au rocher, et un horrible retentissement s’éleva d’hommes mourants et de nefs écrasées. Et les Laistrygones transperçaient les hommes comme des poissons, et ils emportaient ces tristes mets. Pendant qu’ils les tuaient ainsi dans l’intérieur du port, je tirai de la gaine mon épée aiguë et je coupai les câbles de ma nef noire, et, aussitôt, j’ordonnai à mes compagnons de se courber sur les avirons, afin de fuir notre perte. Et tous ensemble se courbèrent sur les avirons, craignant la mort. Ainsi ma nef gagna la pleine mer ; évitant les lourdes pierres ; mais toutes les autres périrent en ce lieu.

    « Et nous naviguions loin de là, tristes dans le cœur d’avoir perdu tous nos chers compagnons, bien que joyeux d’avoir évité la mort. […]. »

    Extrait n° 3 (p. 243-246 [RHAPSÔDIE XVI]) :

    « Il parla ainsi, excitant le porcher qui attacha ses sandales à ses pieds et partit pour la Ville. Mais le porcher Eumaios ne cacha point son départ a Athènè, et celle-ci apparut, semblable a une femme belle, grande et habile aux beaux ouvrages. Et elle s’arrêta sur le seuil de l’étable, étant visible seulement a Odysseus ; et Tèlémakhos ne la vit pas, car les Dieux ne se manifestent point à tous les hommes. Et Odysseus et les chiens la virent, et les chiens n’aboyèrent point, mais ils s’enfuirent en gémissant au fond de 1’étable. Alors Athènè fit un signe avec ses sourcils, et le divin Odysseus le comprit, et, sortant, il se rendit au dela du grand mur de l’étable ; et il s’arrêta devant Athènè, qui lui dit :

    « — Divin Laertiade, subtil Odysseus, parle maintenant à ton fils et ne lui cache rien, afin de préparer le carnage et la mort des Prétendants et d’aller à la Ville. Je ne serai pas longtemps loin de vous et j’ai hâte de combattre.

    « Athènè parla ainsi, et elle le frappa de sa baguette d’or. Et elle le couvrit des beaux vêtements qu’il portait auparavant, et elle le grandit et le rajeunit ; et ses joues devinrent plus brillantes, et sa barbe devint noire. Et Athènè, ayant fait cela, disparut.

    « Alors Odysseus rentra dans l’étable, et son cher fils resta stupéfait devant lui ; et il détourna les yeux, craignant que ce fut un Dieu, et il lui dit ces paroles ailées :

    « — Étranger, tu m’apparais tout autre que tu étais auparavant ; tu as d’autres vêtements et ton corps n’est plus le même. Si tu es un des Dieux qui habitent le large Ouranos, apaise-toi. Nous l’offrirons de riches sacrifices et nous te ferons des présents d’or. Épargne-nous.

    « Et le patient et divin Odysseus lui répondit :

    « — Je ne suis point un des Dieux. Pourquoi me compares – tu aux Dieux ? Je suis ton pere, pour qui tu soupires et pour qui lu as subi de nombreuses douleurs et les outrages des hommes.

    Ayant ainsi parlé, il embrassa son fils, et ses larmes coulèrent de ses joues sur la terre, car il les avait retenues jusque-la. Mais Tèlémakhos, ne pouvant croire que ce fut son pere, lui dit de nouveau :

    « — Tu n’es pas mon père Odysseus, mais un Dieu qui me trompe, afin que je soupire et que je gémisse davantage. Jamais un homme mortel ne pourrait, dans son esprit, accomplir de telles choses, si un Dieu, survenant, ne le faisait, aisément, et comme il le veut, paraître jeune ou vieux. Certes, tu étais vieux, il y a peu de temps, et vêtu misérablement, et voici que tu es semblable aux Dieux qui habitent le large Ouranos.

    « Et le sage Odysseus lui répondit :

    « — Tèlémakhos, il n’est pas bien a toi, devant ton cher père, d’être tellement surpris et de rester stupéfait. Jamais plus un autre Odysseus ne reviendra ici. C’est moi qui suis Odysseus et qui ai souffert des maux innombrables, et qui reviens, après vingt années, dans la terre de la patrie. C’est la dévastatrice Athènaiè qui a fait ce prodige. Elle me fait apparaître tel qu’il lui plaît, car elle le peut. Tantôt elle me rend semblable a un mendiant, tantot a un homme jeune ayant de beaux vêtements sur son corps ; car il est facile aux Dieux qui habitent le large Ouranos de glorifier un homme mortel ou de le rendre misérable.

    Ayant ainsi parle, il s’assit. Alors Tèlémakhos embrassa son brave père en versant des larmes. Et le désir de pleurer les saisit tous les deux, et ils pleuraient abondamment, comme les aigles aux cris stridents, ou les vautours aux serres recourbées, quand les pâtres leur ont enlevé leurs petits avant qu’ils pussent voler. Ainsi, sous leurs sourcils, ils versaient des larmes. Et, avant qu’ils eussent cesse de pleurer, la lumière de Hèlios fut tombée, si Tèlémakhos n’eut dit aussitôt a son père :

    « — Père, quels marins t’ont conduit sur leur nef dans Ithakè ? Quels sont-ils ? Car je ne per.se pas que tu sois venu ici a pied.

    « Et le patient et divin Odysseus lui répondit :

    « — Mon enfant, je te dirai la vérité. Les illustres marins Phaiakiens m’ont amené, car ils ont coutume de reconduire tous les hommes qui viennent chez eux. M’ayant amené, à travers la mer, dormant sur leur nef rapide, ils m’ont déposé sur la terre d’Ithakè ; et ils m’ont donné en abondance des présents splendides, de l’airain, de l’or et de beaux vêtements. Par le conseil des Dieux toutes ces choses sont déposées dans une caverne ; et je suis venu ici, averti par Athènè, afin que nous délibérions sur le carnage de nos ennemis. Dis-moi donc le nombre des Prétendants, pour que je sache combien d’hommes braves ils sont ; et je verrai, dans mon cœur irréprochable, si nous devons les combattre seuls, ou si nous chercherons un autre appui. »

    Extrait n° 4 (p. 261-263 [RHAPSÔDIE XVII]) :

    « Alors, Odysseus et le divin porcher, étant arrives, s’arrêtèrent ; et le son de la kithare creuse vint jusqu’à eux, car Phèmios commençait à chanter au milieu des Prétendants. Et Odysseus, ayant pris la main du porcher, lui dit :

    « — Eumaios, certes, voici les belles demeures d’Odysseus. Elles sont faciles à reconnaître au milieu de toutes les autres, tant elles en sont différentes. La cour est ornée de murs et de pieux, et les portes a deux battants sont solides. Aucun homme ne pourrait les forcer. Je comprends que beaucoup d’hommes prennent la leur repas, car l’odeur s’en élève, et la kithare résonne, elle dont les Dieux ont fait le charme des repas.

    « Et le porcher Eumaios lui répondit :

    « — Tu as tout compris aisément, car tu es très-intelligent ; mais délibérons sur ce qu’il faut faire. Ou tu entreras le premier dans les riches demeures, au milieu des Prétendants, et je resterai ici ; ou, si tu veux rester, j’irai devant. Mais ne tarde pas dehors, de peur qu’on te frappe et qu’on te chasse. Je t’engage à te décider.

    « Et le patient et divin Odysseus lui répondit :

    « — Je sais, je comprends, et je ferai avec intelligence ce que tu dis. Va devant, et je resterai ici. J’ai l’habitude des blessures, et mon ame est patiente sous les coups, car j’ai subi bien des maux sur la mer et dans la guerre. Advienne que pourra. Il ne m’est point possible de cacher la faim cruelle qui ronge mon ventre et qui fait souffrir tant de maux aux hommes, et qui pousse sur la mer indomptée les nefs a bancs de rameurs-pour apporter le malheur aux ennemis.

    « Et ils se parlaient ainsi, et un chien, qui était couche la, leva la tête et dressa les oreilles. C’était Argos, le chien du malheureux Odysseus qui l’avait nourri lui-même autrefois, et qui n’en jouit pas, étant parti pour la sainte Ilios. Les jeunes hommes l’avaient autrefois conduit a la chasse des chèvres sauvages, des cerfs et des lièvres ; et, maintenant, en l’absence de son maître, il gisait, délaissé, sur l’amas de fumier de mulets et de bœufs qui était devant les portes, et y restait jusqu’à ce que les serviteurs d’Odysseus l’eussent emporté pour engraisser son grand verger. Et le chien Argos gisait la, ronge de vermine. Et, aussitôt, il reconnut Odysseus qui approchait, et il remua la queue et dressa les oreilles ; mais il ne put pas aller au-devant de son maître, qui, l’ayant vu, essuya une larme, en se cachant aisément d’Eumaios. Et, aussitôt, il demanda a celui-ci :

    « — Eumaios, voici une chose prodigieuse. Ce chien gisant sur ce fumier a un beau corps. Je ne sais si, avec cette beauté, il a été rapide à la course, ou si c’est un de ces chiens que les hommes nourrissent à leur table et que les Rois élèvent à cause de leur beauté.

    « Et le porcher Eumaios lui répondit :

    « — C’est le chien d’un homme mort au loin. S’il était encore, par les formes et les qualités, tel qu’Odysseus le laissa en allant à Troiè, tu admirerais sa rapidité et sa force. Aucune bête fauve qu’il avait aperçue ne lui échappait dans les profondeurs des bois, et il était doué d’un flair excellent. Maintenant les maux l’accablent. Son maître est mort loin de sa patrie, et les servantes négligentes ne le soignent point. Les serviteurs, auxquels leurs maîtres ne commandent plus, ne veulent plus agir avec justice, car le retentissant Zeus ôte à l’homme la moitié de sa vertu, quand il le soumet à la servitude.

    « Ayant ainsi parlé, il entra dans la riche demeure, qu’il traversa pour se rendre au milieu des illustres Prétendants. Et, aussitôt, la Kèr de la noire mort saisit Argos comme il venait de revoir Odysseus après la vingtième année. »

    Extrait n° 4 (p. 318-330 [RHAPSÔDIE XXI]) :

    « Alors, la Déesse Athènè aux yeux clairs inspira à la fille d’Ikarios, à la prudente Pènélopéia, d’apporter aux Prétendants l’arc et le fer brillant, pour l’épreuve qui, dans les demeures d’Odysseus, devait être le commencement du carnage. Elle gravit la longue échelle de la maison, tenant à la main la belle clef recourbée, d’airain et à poignée d’ivoire ; et elle se hâta de monter avec ses servantes dans la chambre haute ou étaient renfermées les trésors du Roi, l’airain, l’or et le fer difficile à travailler. Là, se trouvaient l’arc recourbé, le carquois porte-flèches et les flèches terribles qui le remplissaient. lphitos Eurythide, de Lakédaimôn, semblable aux Immortels, les avait donnés à Odysseus, l’ayant rencontré a Messènè, dans la demeure du brave Orsilokhos, ou Odysseus était venu pour une réclamation de tout le peuple qui l’en avait charge. […]. »

    [P. 319 :]

    « Et quand la noble femme fut arrivée à la chambre haute, elle monta sur le seuil de chêne qu’autrefois un ouvrier habile avait poli et ajuste au cordeau, et auquel il avait adapte des battants et de brillantes portes. Elle détacha aussitôt la courroie de l’anneau, fit entrer la clef et ouvrit les verrous. Et, semblables à un taureau qui mugit en paissant dans un pré, les belles portes résonnèrent, frappées par la clef, et s’ouvrirent aussitôt.

    « Et Pènélopéia monta sur le haut plancher ou étaient les coffres qui renfermaient les vêtements parfumés, et elle détacha du clou l’arc et le carquois brillant. Et, s’asseyant là, elle le posa sur ses genoux, et elle pleura amèrement. Et, après s’être rassasiée de larmes et de deuil, elle se hâta d’aller a la grande salle, vers les Prétendants insolents, tenant à la main l’arc recourbé et le carquois porte-flèches et les flèches terribles qui le remplissaient. Et les servantes portaient le coffre ou étaient le fer et l’airain des jeux du Roi.

    « Et la noble femme, étant arrivée auprès des Prétendants, s’arrêta sur le seuil de la belle salle, un voile léger sur ses joues et deux servantes à ses cotés. Et, aussitôt, elle parla aux Prétendants et elle leur dit :

    « — Écoutez-moi, illustres Prétendants qui, pour manger et boire sans cesse, avez envahi la maison d’un homme absent depuis longtemps, et qui dévorez ses richesses, sans autre prétexte que celui de m’épouser. Voici, ô Prétendants, l’épreuve qui vous est proposée. Je vous apporte le grand arc du divin Odysseus. Celui qui, de ses mains, tendra le plus facilement cet arc et lancera une flèche a travers les douze haches, je le suivrai, et il me conduira loin de cette demeure qui a vu ma jeunesse, qui est belle et pleine d’abondance, et dont je me souviendrai, je pense, même dans mes songes.

    « Elle parla ainsi et elle ordonna au porcher Eumaios de porter aux Prétendants l’arc et le fer brillant. Et Eumaios les prit en pleurant et les porta ; et le Bouvier pleura aussi en voyant l’arc du Roi. […] »

    « […]. »

    [P. 328 :]

    « Et, alors, le prudent Tèlémakhos lui répondit :

    « — Ma mère, aucun des Akhaiens ne peut m’empêcher de donner ou de refuser cet arc à qui je voudrai, ni aucun de ceux qui dominent dans l’âpre Ithakè ou qui habitent Elis ou paissent les chevaux. Aucun d’entre eux ne m’arrêtera si je veux donner cet arc à mon hôte. Mais rentre dans ta chambre haute et prends souci de tes travaux, de la toile et du fuseau. Ordonne aux servantes de reprendre leur tâche. Tout le reste regarde les hommes, et surtout moi qui commande dans cette demeure.

    « Et Pènélopéia, surprise, rentra dans la maison, songeant en son ame aux paroles prudentes de son fils. Puis, étant montée dans la chambre haute, avec ses servantes, elle pleura son cher mari Odysseus jusqu’a ce que Athènè aux yeux clairs eut répandu le doux sommeil sur ses paupières.

    « Alors le divin porcher prit l’arc recourbé et l’emporta. Et les Prétendants firent un grand tumulte dans la salle, et l’un de ces jeunes hommes insolents dit :

    « — Où portes-tu cet arc, immonde porcher ? vagabond ! Bientôt les chiens rapides que tu nourris te mangeront au milieu de tes porcs, loin des hommes, si Apollon et les autres Dieux immortels nous sont propices.

    « Ils parlèrent ainsi, et Eumaios déposa l’arc la où il était, plein de crainte, parce qu’ils le menaçaient en foule dans la demeure. Mais, d’un autre coté, Tèlémakhos cria en le menaçant :

    « — Père ! porte promptement l’arc plus loin, et n’obéis pas à tout le monde, de peur que, bien que plus jeune que toi, je te chasse à coups de pierres vers tes champs, car je suis le plus fort. Plût aux Dieux que je fusse aussi supérieur par la force de mes bras aux Prétendants qui sont ici ! car je les chasserais aussitôt honteusement de ma demeure ou ils commettent des actions mauvaises.

    « Il parla ainsi, et tous les Prétendants se mirent à rire de lui et cessèrent d’être irrités. Et le porcher, traversant la salle, emporta l’arc et le remit aux mains du subtil Odysseus.

    « Et aussitôt il appela la nourrice Eurykleia :

    « — Tèlémakhos t’ordonne, ô prudente Eurykléia, de fermer les portes solides de la maison. Si quelqu’un des nôtres entend, de la cour, des gémissements ou du tumulte, qu’il y reste et s’occupe tranquillement de son travail.

    « Il parla ainsi, et sa parole ne fut point vaine, et Eurykleia ferma les portes de la belle demeure. Et Philoitios, sautant dehors, ferma aussi les portes de la cour. Et il y avait, sous le portique, un câble d’écorce de nef à bancs de rameurs, et il en lia les portes. Puis, rentrant dans la salle, il s’assit sur le siège qu’il avait quitté, et il regarda Odysseus. Mais celui-ci, tournant l’arc de tous cotés, examinait ça et la si les vers n’avaient point rongé la corne en l’absence du maître. Et les Prétendants se disaient les uns aux autres en le regardant :

    « — Certes, celui-ci est un admirateur ou un voleur d’arcs. Peut-être en a-t-il de semblables dans sa demeure, ou veut-il en faire ? Comme ce vagabond plein de mauvais desseins le retourne entre ses mains !

    « Et l’un de ces jeunes hommes insolents dit aussi :

    « — Plût aux Dieux que cet arc lui portât malheur, aussi sûrement qu’il ne pourra le tendre !

    « Ainsi parlaient les Prétendants ; mais le subtil Odysseus, ayant examiné le grand arc, le tendit aussi aisément qu’un homme, habile à jouer de la kithare et à chanter, tend, à l’aide d’une cheville, une nouvelle corde faite de l’intestin tordu d’une brebis. Ce fut ainsi qu’Odysseus, tenant le grand arc, tendit aisément de la main droite le nerf, qui résonna comme le cri de l’hirondelle. Et une amère douleur saisit les Prétendants, et ils changèrent tous de couleur, et Zeus, manifestant un signe, tonna fortement, et le patient et divin Odysseus se réjouit de ce que le fils du subtil Kronos lui eût envoyé ce signe. Et il saisit une flèche rapide qui, retirée du carquois, était posée sur la table, tandis que toutes les autres étaient restées dans le carquois creux jusqu’à ce que les Akhaiens les eussent essayées. Puis, saisissant la poignée de l’arc, il tira le nerf sans quitter son siège ; et visant le but, il lança la flèche, lourde d’airain, qui ne s’écarta point et traversa tous les anneaux des haches. Alors, il dit à Tèlémakhos :

    « — Tèlémakhos, l’Étranger assis dans tes demeures ne te fait pas honte. Je ne me suis point écarté du but, et je ne me suis point longtemps fatigué a tendre cet arc. Ma vigueur est encore entière, et les Prétendants ne me mépriseront plus. Mais voici l’heure pour les Akhaiens de préparer le repas pendant qu’il fait encore jour ; puis ils se charmeront des sons de la kithare et du chant, qui sont les ornements des repas.

    « Il parla ainsi et fit un signe avec ses sourcils, et Tèlémakhos, le cher fils du divin Odysseus, ceignit une épée aiguë, saisit une lance, et, armé de l’airain splendide, se plaça auprès du siège d’Odysseus. »


    N. B. : numérisation : e-rara.ch - Bibliothèque de Genève ; conservation : Bibliothèque de Genève ; téléchargement depuis : e-rara.ch.

    HISTOIRE - LÉGENDE - MYTHES — (+++) —

    Traduction-adaptation de l’Odyssée sous forme d’un exercice de style résultant d’un nouveau concept.

    Les illustrations de cette édition se révèlent empreintes d’une « grande raideur » et semblent particulièrement puériles.

    Un bel ouvrage « de luxe  », aux couleurs vives et franches, de l’un de ces types de livres que, peut-être, l’on aurait aimé offrir, mais pas nécessairement s’offrir !

    Le lecteur pourra se montrer surpris également par le choix typographique retenu d’imprimer tout l’ouvrage en caractères majuscules (en dotant de plus les lettres « I » et « J » de leur point de lettres minuscules !)… Certes les Anciens écrivaient le grec en majuscules (l'on n'eut recours aux minuscules que fort tardivement, au Moyen-Âge). Mais, il s’agissait de donner une traduction-adaptation en français… Par cela la lecture de l’ouvrage se trouve rendue souvent inutilement fatigante.

    Pour ce qui concerne, dans cette page, la présentation de l'ouvrage, et la pésentation de l'Iliade et de l'Odyssée nous avons pris le parti de transcrire les textes de Victor Bérard que nous citons, en minuscules afin d'en faciliter l'abord.

    Il convient toutefois de reconnaître que les « Lettre » et « Préface » du tome I, et « Introduction » du tome IV, se révèlent instructives.


    Voici un long extrait de l'« INTRODUCTION AU TOME IV » intitulée « En Marge de l’Odyssée » (pages II à XX), de la traduction de Victor Bérard de L’Odyssée.

    « Avant les Alexandrins, durant les cinq siècles (800-300) qui séparent la mort d’Homère et la mort d’Alexandre, de nombreuses modifications et altérations avaient été apportées déjà à la structure et à la teneur des poésies homériques. Les trois drames épiques, que leurs auteurs avaient composés en pièces indépendantes, pour des représentations séparées, VOYAGE DE TÉLÉMAQUE, RÉCITS CHEZ ALKINOOS, et VENGEANCE D’ULYSSE, avaient été réunis, aboutés, amalgamés en une sorte de roman continu, qui avait été muni, en tête, d’une Ouverture et, en queue, d’un Finale postiches. »

    « Cette bâtisse, comme disaient les Anciens, date, semble-t-il, du sixième siècle avant notre ère : c’est l’ordonnance générale que j'ai reproduite dans les trois premiers volumes de cette édition ; mais je me suis efforcé d’y rétablir chacune des pièces et scènes originales, en son autonomie et sa continuité, et j’en ai fait disparaître les apports récents, vers « « superflus » et vers ou épisodes « bâtards », comme disaient les Alexandrins. »

    « Je réunis en ce dernier volume les plus longs et les plus remarquables de ces apports hétérogènes. Il est possible parfois d’en entrevoir l’origine et la date. Il est difficile, néanmoins, de les classer chronologiquement. Il est facile de signaler les invraisemblances, les anachronismes et les bévues, qui permettent de les reconnaître et de les expulser du texte authentique.

    « Quand, au long des IIIe et IVe siècles avant notre ère, Zénodote, Aristophane de Byzance et Aristarque entreprirent d’établir le texte définitif des deux poésies, leur érudition curieuse disposa de tous les moyens de comparaison, de vérification et de choix entre les divers manuscrits que pouvait leur fournir le monde grec.

    « Les Ptolémées avaient réuni, dans leur bibliothèque royale, soit les originaux, soit les copies de toutes les éditions du poète : exemplaires du commerce et des particuliers, collation des homérisants antérieurs, textes officiels que les villes et peuples avaient adoptés pour leurs écoles ou leurs représentations publiques, athénienne, argolique, chypriote, crétoise, marseillaise, etc., car Marseille, à l ’exemple d’Athènes, possédait son Homère, dont les anciens nous ont conservé quelques variantes ou particularités.

    « Les Alexandrins constatèrent aussitôt entre ces Homères les divergences les plus grandes. Les éditions de toutes qualités, mais surtout les copies commerciales, « communes », « vulgaires » ou « démocratiques », disaient-ils, différaient t entre elles moins par le texte que par le nombre des vers et des épisodes : si nous en jugeons par les manuscrits sur papyrus récemment retrouvés, la longueur des poésies pouvait, aux IVe et IIIe siècles, varier du simple au quadruple, dans certaines parties.

    « Une comparaison soigneuse persuada les Alexandrins qu’au texte authentique, deux sortes d’additions avaient été faites : des vers qu ’ils appelaient « surnuméraires » ou « superflus », et des vers ou épisodes adultérins, « bâtards », disaient-ils. « Les « superflus » étaient des vers authentiquement homériques, mais inutilement ou même sottement répétés en des places ou ils n’avaient que faire, quand ils n’y faisaient pas tache ou scandale.

    « Les « bâtards » étaient des inventions créées de toute pièce ou faites de pièces et de morceaux ; en ces œuvres de faussaires, apparaissait la marque et parfois la date de l’ouvrier, irrégularités orthographiques, verbales et grammaticales, inexactitudes historiques, chronologiques ou légendaires, incompatibilités et contradictions avec le reste des poésies, etc.

    « Les Alexandrins n’expulsaient de leur texte homérique que ceux des « superflus » ou des « bâtards » dont la sottise ou la maladresse était trop choquante et dont l’intrusion ne pouvait pas être niée. Ils conservaient la plupart des autres intrus, même ceux qu’'ils jugeaient des plus douteux, des plus indésirables, même ceux que les meilleures des éditions officielles ne portaient pas.

    « Ils les condamnaient, néanmoins, et les notaient en marge de signes d ’infamie : la « broche » simple, obel, dénonçait les bâtards : la « broche à l ’étoile », obel astérisque, dénonçait les superflus. Dans leurs mémoires et commentaires, ils proposaient la « mise de côté » des uns et des autres ; mais, dans leurs éditions, ils n’allaient que jusqu’a la mise à la broche.

    « Il est probable que ce choix des Alexandrins se serait imposé aux lecteurs anciens et modernes, si les homérisants de Pergame n’étaient pas survenus. Rivaux des Ptolémées, les Attales fondent au milieu du IIIe siècle leur bibliothèque de Pergame, et leur université, si l’on peut dire, fournit bientôt de professeurs l’Asie mineure, Rome et tout l’Occident. Ses homérisants prennent le contre-pied des Alexandrins : ils admettent dans leur Homère la plupart des vers bâtards ou superflus qu’il a plu aux générations antérieures ou qu’il plaît aux générations nouvelles d’y introduire.

    « Grâce a la découverte des manuscrits homériques sur papyrus (ils sont antérieurs de dix et douze siècles aux manuscrits sur parchemin que nous avait légués Byzance), nous comprenons bien mieux les justes entreprises des Alexandrins, et nous sommes peut-être mieux outillés que les Anciens pour le contrôle des surcharges qui dénaturent le texte du poète. Nous sommes de meilleurs astronomes que les Chaldéens qui, pourtant, avaient de meilleurs yeux et un ciel plus pur que les nôtres, mais n’avaient pas le télescope. L’archéologie et la philologie nous ont munis d’instruments et de méthodes dont ne pouvaient pas disposer les Alexandrins, malgré leurs admirables bibliothèques. « Pour la commodité de l’exposition, je donne le nom d' « insertions » aux vers « superflus », aux répétitions inutiles, et celui d ' « interpolations » aux vers et épisodes « bâtards », aux falsifications proprement dites. »

    « Je n 'insisterai pas sur les insertions ; je les ai écartées délibérément du texte et supprimées de ma traduction, aussi bien dans les volumes précédents que dans celui-ci.

    « Personne n’a jamais nié que la répétition, non seulement de formules plus ou moins longues, mais de vers entiers fut l ' un des procédés habituels de la langue homérique et que, pour exprimer les mêmes idées et servir aux mêmes besoins, les mêmes vers, mot pour mot, lettre pour lettre, revinssent à plusieurs reprises dans les passages les plus authentiques : les hexamètres qui annoncent et concluent les discours, ceux qui décrivent soit les repas et sacrifices, soit les arrivées, départs et armements de bateaux ou de guerriers, etc., fournissent le type le plus commun de ces vers légitimement répétés.

    « Mais, dans les 27.803 vers de nos deux poésies, il en est 1.804 qui reviennent 4.730 fois et, si l’on compte ceux qui, sans être tout à fait identiques, sont fabriqués de formules semblables, on arrive au total de 9.253, 5.605 pour l’Iliade, et 3.648 pour l’Odyssée. Plus d’un tiers des deux poésies actuelles est fait de répétitions.

    « Personne ne songe plus a contester qu’’il en est d ’abusives : depuis un siècle, les éditeurs ont dû, bon gré mal gré, prendre parti pour ou contre certains vers que les uns déclarent inutiles, que les autres, avec de bonnes raisons, déclarent gênants. Voici un exemple d ’insertion proprement absurde.

    « À la fin du chant XV, Eumée et Ulysse s’endorment dans la cabane du porcher, après s’être conté leurs aventures ; mais leur sommeil est court, car voici l’aube (vers 493-495) et déjà, sur la plage du bas, Télémaque et ses compagnons viennent d’échouer leur navire, de le pousser à terre : ils sont à sec ; ils carguent les voiles et démâtent (vers 495-496), puis… se mettent aux rames pour amener à la cale le navire (497) ; ils jettent enfin l’ancre, attachent l’amarre (498), prennent pied sur la grève et préparent le repas du matin (499-500). le texte est formel :

    « « Pendant qu ’ils échangeaient ces paroles entre eux, prenant sur leur sommeil, puis s’endormaient à peine, l’aurore était montée sur son trône, et déjà les gens de Télémaque abordaient au rivage, amenaient la voilure et déplantaient le mât…, puis sur la grève, où l’équipage descendit, le repas s’apprêta et l’on fit le mélange du vin aux sombres feux. » »

    « Les points de suspension indiquent la place des deux vers 497-498 : « en vitesse, on se met aux rames vers la cale ; on jette l’ancre et l’on attache les amarres. » comment expliquer qu ’un navire, une fois mis à sec, puisse être poussé à la rame vers la cale ? Nos deux vers 497-498 sont des copies sans changement de l’Iliade (chant I, 435-436). Mais, dans l’Iliade, le navire n ’est pas échoué.

    « La comparaison entre les descriptions homériques de repas, d’embarquements ou de débarquements impose les conclusions suivantes :

    « Il parait certain que, des vers authentiquement homériques furent pour allonger ou embellir les poésies, inutilement « insérés », par les récitants ou les copistes, en des endroits ou ils n’avaient que faire.

    « Il semble difficile de dater la plupart de ces insertions. En nombre de cas, elles figuraient déjà dans les éditions antérieures aux Alexandrins, qui les déclaraient scandaleuses.

    « La plupart semblent être venues s’ajouter au texte de la même façon : la terminaison semblable de deux vers authentiques amena derrière l’un d’eux la suite de l’autre, en des endroits ou cette suite n’était ni nécessaire, ni utile, ni même acceptable.

    « L’insertIon semble donc être, avant tout, un méfait de la mémoire. À ce titre, il pourrait sembler qu’elle fut avant tout une œuvre de rhapsode. Entraîné par la pente de la récitation, le débit du rhapsode était une sorte de torrent fougueux, gonflé des vingt-cinq ou trente mille vers, qu’il fallait savoir pour exercer la profession. Ces vers formaient entre eux des chaînes liquides dont le premier élément entraînait toujours derrière lui la même séquence.

    « Mais peut-être ces méfaits de la réminiscence nous apparaîtraient aussi grands dans l’histoire de l’édition antique, si nous connaissions mieux les détails techniques de cette histoire.

    « Homère fut durant vingt siècles l’auteur le plus lu, le livre de classe le plus répandu sur toute la surface du monde gréco-latin : pour le recopier en des milliers et milliers d’exemplaires, il dut exister des ateliers, qui fabriquaient « en série » Iliades et Odyssées ; en ces fabriques, un lecteur ou un récitant dictait à haute voix le texte qu’une équipe copiait ; telles fautes, que nous rencontrons dans les manuscrits, ne peuvent pas s’expliquer autrement.

    « Scribes et lecteur, spécialisés en cette fabrication et passant toutes les heures de leur vie a ce travail unique, avaient bientôt la mémoire aussi farcie d’Homère que celle des rhapsodes. Parfois, souvent, devaient se dérouler, soit dans la dictée, soit dans la copie, les mèmes séquences involontaires que dans la récitation publique.

    « Troisième cause : il semble que les libraires antiques étaient des commerçants fort habiles à faire valoir leur marchandise. Ils mettaient en réclame le nombre de vers que leur texte comportait. Les copistes paresseux, étourdis ou maladroits, alors comme aujourd’hui, oubliaient ou négligeaient une ligne ; les seules copies soigneusement revues n’avaient jamais de ces manques ; on pouvait donc mettre au compte et à la louange d’une copie nouvelle la présence de vers que les autres Homères ne portaient pas et qui n'en étaient pas moins, dans l’ensemble et dans le détail, authentiquement homériques : la seule négligence ou erreur du scribe, disait-on, les avait fait oublier sur les autres copies.

    « Je ne doute pas que, dès les temps athéniens, un très grand nombre de nos insertions n'aient eu cette origine commerciale : le profit immédiat, le gain sonnant a toujours été l’un des plus puissants moteurs de la vie hellénique.

    « Mais ces calculs, ruses ou malfaçons, tout ce travail conscient des scribes et des éditeurs eurent moins d’effets peut-être que certaines méprises, dont ils furent les premières victimes : nombre d’insertions sont venues, comme d’elles-mêmes, s’imposer à leurs yeux, plus encore qu’a leur mémoire. Certains de nos manuscrits nous montrent ce qu’était une édition d’Homère destinée aux études de l’école ou des érudits : en un mélange indiscernable parfois, le texte occupait le centre des pages, et tout autour, en haut, en bas, à droite, à gauche, en lignes serrées, en phrases abrégées, se pressait le commentaire qui souvent envahissait jusqu’aux interlignes du texte. On trouvait en ce commentaire des citations de l’Iliade et de l’Odyssée, les unes servant à expliquer les mots ou les tournures du texte central, les autres venant illustrer ou compléter le morceau ; des emprunts aux mémoires alexandrins ou à ces Glossaires athéniens, ou les mots difficiles, désuets ou même incompris étaient élucidés par d’autres passages de l’une ou de l’autre poésie ; des citations épiques tirées soit des autres poèmes attribués à Homère, en particulier des hymnes, soit d’Hésiode et des autres faiseurs d’ÉPOS ; des citations de tous les auteurs qui, de près ou de loin, avaient imité Homère, en particulier des tragiques et des comiques ; une traduction, soit en prose, soit en vers, soit sérieuse et exacte, soit parodique ou fantaisiste du texte antique en langue du jour.

    « Est-il surprenant que le voisinage, puis l’invasion de ces notes marginales ou interlinéaires aient introduit dans le texte recopie des mots étranges, des formes incorrectes, des vers « surnuméraires », dont la présence devrait aujourd'hui nous scandaliser ?

    « Les interpolations sont d’une tout autre origine et d’une tout autre nature. Elles ne comportent pas seulement un vers ou quelques vers isolés ; elles forment des blocs parfois imposants (il en est qui dépassent 4 et 500 vers suivis) ; elles sont l’ouvrage conscient et trompeur de faussaires qui fabriquaient de l’Homère, comme aujourd'hui il est des fabricants de Corots ou de Millets. Elles ne datent pas d’une seule époque ; elles sont venues s'introduire successivement durant les dix ou douze siècles de l'antiquité hellénique, hellénistique et même greco-romaine.

    « Molière nous dit dans La Critique de l’École des Femmes : « Le grand art étant de plaire et la pièce ayant plu à ceux pour qui elle était faite, c’était assez pour elle ; elle devait peu se soucier du reste. » Mais ayant plu d’abord à ceux pour qui elle était faite, quand la pièce a continué de plaire durant des vingtaines de générations à des milliers d’auditoires différents l’on peut croire qu’elle eut à « se soucier » du goût changeant des siècles et des publics et à s’y accommoder.

    « Nous voyons accommoder au goût du jour celles de nos pièces les plus populaires qui veulent « garder l’affiche » : il semblerait pourtant que la lettre imprimée dut les défendre contre toute entreprise des novateurs… Durant les trois premiers siècles de la Grèce (800-500 avant J.-C.), des premiers aèdes aux derniers des rhapsodes, en ces temps ou les manuscrits, étaient rares ou, seuls, quelques gens du métier possédaient les poésies au complet, qui nous dira les libertés que prirent sept ou huit générations de récitants pour gagner faveur et salaire ? « Les deux chapitres XV et XVI des Mémoires d’Hector Berlioz m’ont toujours semblés d’une lecture utile à l’homérisant : est-il besoin de redire que, durant des siècles, durant plusieurs générations tout au moins, les poésies homériques furent une musique dont quelques privilégiés seulement possédaient les « partitions » et pouvaient lire les « notes » ? Pour l ’immense majorité du public, les vers écrits étaient alors ce que sont encore aujourd’hui, ce qu’étaient surtout, il y a un siècle, les portées d’un opéra. « Berlioz, avec des transports de fureur, raconte les libertés qu’en son temps, les éditeurs et les orchestres prenaient avec les œuvres des plus grands maîtres :

    « « Aussi bien en Allemagne, en Angleterre et ailleurs qu’en France, on tolère que les plus nobles œuvres dans tous les genres soient arrangées, c’est-a-dire gâtées, c’est-a-dire insultées de mille manières, par des gens de rien : Mozart a été assassine par Lachnith et Weber par Castil-Blaze ; Gluck, Gretry, Mozart, Rossini, Beethoven, Vogel ont été mutilés par ce même Castil-Blaze ; Beethoven a vu ses mélodies corrigées par Fétis, par Kreutzer et par Habeneck ; Molière et Corneille furent taillés par des inconnus, familiers du Théâtre-Francais ; Shakespeare enfin est encore représenté, en Angleterre même, avec les arrangements de Cibber et de quelques autres… N’entend-on pas à Londres des parties de grosse caisse, de trombone et d’ophicléide ajoutées par M. Costa aux partitions de Don Giovanni, de Figaro et du Barbier de Séville ? » »

    « Nos manuscrits sur papyrus sont tous postérieurs au IVe siècle avant notre ère ; ils ne nous ont rien appris de certain sur les plus vieux Homères de la Grèce ionienne ou de la Grèce classique. Mais ils nous fournissent un document de comparaison qui, pour être emprunté à une époque toute différente, à la fin du second ou au début du troisième siècle après Jesus-Christ, n’en est pas moins d’une importance décisive : ce qui fut possible cinq ou six cents ans après Périclès et Socrate peut nous renseigner sur ce qui dut être commode et courant durant les siècles archaïques.

    « L ’un de ces papyri, postérieur a l’an 221 après J.-C., contient un épisode odysséen que personne parmi nos devanciers n’avait connu : c’est une invocation aux morts, que le grammairien Julius Africanus dit avoir lue complète dans deux exemplaires homériques, l’un à Nysa de Carie, l’autre en sa vieille patrie d’Ælia Capitolina (Jérusalem). Une partie seulement de cette invocation figurait dans l’exemplaire de la belle bibliothèque romaine du Panthéon, que Julius Africanus lui-même avait bâtie près des thermes d’Alexandre Sévère, pour l’empereur en personne. Cette invocation s’intercalait au chant XI ; en trente vers, Ulysse y faisait appel à divers dieux et démons dont les noms mêmes sont d’une époque déterminée : Anubis, Hélios Titan, Zeus Chthonios, Phtha, Phren, Homosozo, Ablanatho, etc. Julius Africanus se demandait le plus sérieusement du monde si ces vers, dont il ne mettait pas en doute l’authenticité, avaient été laissés de côté, pour des raisons esthétiques, par le poète lui-même ou par les Pisistratides, quand ils recueillirent les autres vers des poésies !

    « Tout dans ce texte mérite à coup sûr l’admiration : voilà de bel Homère à la mode d’Égypte, au goût de cette grécité levantine de l’empire, pour qui les recettes magiques et les invocations infernales étaient le dernier mot de la science, le remède à toutes les inquiétudes et à tous les maux. Il est beau sans doute que, cinq siècles après les Alexandrins, un savant, un lettré, un architecte de la Bibliothèque Impériale, se soit laissé prendre à de pareilles homériqueries. mais il semble encore plus beau qu’une supercherie aussi grossière ait pu trouver l’entrée de la bibliothèque publique dans cette Nysa de Carie, ou Strabon, deux cents ans plus tôt, était venu écouter les leçons d’Aristodème, fils de ce Ménécrate, qui avait été le disciple direct du plus grand, du plus célèbre des homérisants, d’Aristarque lui-même.

    « Ne voilà-t-il pas de quoi nous faire réfléchir sur les traitements que les poésies ont pu, ont dû subir à travers l’hellénisme d’Asie, des îles, de Grèce, de Grande-Grèce, du Levant et de l’Occident, surtout dans le Far-West des colonies italiotes et siciliennes, durant les quatre ou cinq siècles antérieurs aux critiques d’Alexandrie ? Et ne voilà-t-il pas de quoi rendre vraisemblables tous les soupçons soit de ces Alexandrins eux-mêmes, soit de nos éditeurs et critiques modernes ? Il est des interpolations que l’on peut expulser sans le moindre scrupule et pour le plus grand profit du texte original. « Au début du chant XXI, vingt-neuf vers nous racontent comment Ulysse reçut en cadeau son arc, son fameux arc, dont il allait bientôt se servir contre les prétendants :

    « « C’est en Lacédémone, un jour, qu’en un voyage, Ulysse avait reçu ce présent d’Iphitos, l’un des fils d’Eurytos, semblable aux immortels. »

    « « Tous deux, en Messénie, ils s’étaient rencontrés chez le sage Orsiloque : Ulysse y réclamait la dette que ce peuple avait envers le sien ; car des Messéniens, sur leurs vaisseaux à rames, avaient, aux gens d’Ithaque, volé trois cents moutons ainsi que leurs bergers. C’est comme ambassadeur, quoique tout jeune encore, qu’Ulysse était parti pour ce lointain voyage, député par son père et les autres doyens. Or, Iphitos cherchait ses cavales perdues, douze mères-juments et leurs mulets, sous elles, en âge de travail : elles devaient, hélas ! causer un jour sa perte, quand il irait trouver l’homme au cœur énergique, l’auteur des grands travaux, Héraclès, fils de Zeus !… En sa propre maison, sans redouter les dieux, sans respecter la table, ou il l’avait reçu, ou il devait l’abattre, Héraclès, l’insensé ! devait tuer cet hôte pour prendre en son manoir les juments au pied dur. »

    « « C’est elles qu’Iphitos cherchait en Messénie, quand, rencontrant Ulysse, il lui donna cet arc, que le grand Eurytos jadis avait porté et qu’il avait laissé, en mourant, à son fils dans sa haute demeure. En retour, Iphitos avait reçu d’Ulysse une lance robuste avec un glaive à pointe. Ce jour avait fait d’eux les plus unis des hôtes ; s’ils n’avaient pas connu la table l’un de l’autre, c’est que le fils de Zeus, auparavant, tua Iphitos l’Eurytide, cet émule des dieux. Or, jamais le divin Ulysse n’emportait le cadeau d’Iphitos, quand, sur les noirs vaisseaux, il partait pour la guerre : le gardant au manoir, il ne l’avait jamais porté que dans son île. »

    « Il n’est pas un mot en ces vingt-neuf vers qui ne soit un anachronisme grossier :

    « Messène est en territoire spartiate, « en Lacédémone » ; notre auteur écrit donc après la conquête définitive de la messénie par les Spartiates, au VIIe siècle, cent cinquante ans au moins après le poète ;

    « Messène a pour roi le même Orsiloque, dont le fils Dioclès, donne l’hospitalité a Télémaque et à Pisistrate aux chants III et XV de l’Odyssée ; mais en ces vers authentiques, Dioclès habite la Phères de l’Alphée, qui n’a rien de commun avec la Phères messénienne ;

    « Chez les Messéniens (peuple dorien inconnu des Poésies), Ulysse est envoyé en ambassade, malgré sa jeunesse, comme l’aurait été plus tard un jeune Athénien, par « le peuple et le conseil », et le morceau qui s’ouvre par une imitation de l’Iliade, contient une copie de l’Odyssée ; pour l’origine des autres vers, il suffit de lire dans l’Iliade le récit de Nestor sur la créance que son père Néléee avait en Élide ;

    « Iphitos, qu’« Ulysse rencontre en Messénie, va mourir par la suite de la main d’Héraklès : Ulysse contemporain d’Héraklès ! Le vieux Nestor était un enfant à la mamelle quand Héraclès vint assiéger et ruiner Pylos. Ajoutez qu’en ce puéril bavardage, chaque vers est un centon d’hémistiches empruntés.

    « Le nom grec d’Ulysse, Odusseus, était aussi incompréhensible aux plus savants des anciens hellènes qu’à nos linguistes les plus érudits. Les commentateurs, qui tenaient néanmoins à l’expliquer, reprenaient l’une ou l’autre des deux ou trois explications que leur fournissait le poète, disaient-ils.

    « Au chant I, Athena, terminant son discours dans l’Assemblée des dieux, demande à Zeus la raison de sa colère contre Ulysse ; le calembour, dont use la déesse, ODUSSEUS-ODUSAO, ne peut pas se rendre directement en français ; j’ai cherché un équivalent : « aujourd’hui, pourquoi donc ce même Ulysse, ô dieu, t’est-il tant odieux ? » on ne saurait mettre en doute que ces deux vers appartiennent au texte primitif et que les anciens aient fort goûté cette « consonance » étymologique et plaisante, comme ils disaient. Mais cette ironique et légère boutade devient au chant XIX un jeu de mots longuement préparé, lourdement appuyé et noyé dans la CHASSE AU SANGLIER du Parnasse, qu’un faussaire mit en cet endroit pour raconter en soixante-douze vers comment, à la naissance d’Ulysse, son grand-père maternel Autolycos lui avait donné le nom d’ ODUSSEUS.

    « Cette CHASSE n’est qu’un centon de vers homériques avec une intention très nette de parodie. Platon lisait une Odyssée ou figurait cet épisode de la CHASSE ; par contre elle ne figurait pas dans l’Odyssée d’Aristote dont le propre témoignage est formel là-dessus.

    « Si la plupart des interpolations se détachent sans peine du texte authentique, auquel elles sont mal rattachées par la répétition en queue du vers authentique dont elles avaient pris la suite, toutes ne sont pas aussi faciles à séparer du texte : il en est qui ne sont pas de simples ornements surajoutés et mal recousus : elles font partie de la trame actuelle, et si nombre de preuves certaines leur enlèvent tout droit d’y figurer, il faut néanmoins quelque violence pour les en arracher, au risque de déchirures qui peuvent laisser leur cicatrice. Dans les récits chez Alkinoos, deux longs épisodes sont de cette espèce : les JEUX et la première DESCENTE AUX ENFERS, dont je donne plus loin la traduction, et qui sont tous deux solidaires. Les JEUX et la DESCENTE supprimés, la trame primitive est rétablie et tout le drame des récits d’Alkinoos se déroule sans contradictions et sans heurts.

    « Au lecteur, maintenant, de juger ce que, littérairement, valent ces interpolations. Il se demandera peut-être quand et par qui et pourquoi elles furent introduites dans les drames originaux.

    « Tout au long du XIXe siècle, Pisistrate, le tyran d’Athènes, qui vivait dans la seconde moitié du VIe siècle avant notre ère, était devenu, grâce aux philologues germaniques, le personnage le plus important de l’homérologie et, sinon le créateur de l’ÉPOS, du moins l’instaurateur des deux poésies homériques. l’école allemande lui avait non seulement dévolu ce grand premier rôle : elle l’avait encore muni d’une compagnie de sages et de poètes, d’« arrangeurs », de « fournisseurs et polisseurs », les DIASKEUASTES, qui, à ses frais et par son ordre, sous sa direction ou celle de ses fils, avaient longuement travaillé à recueillir d’abord tous les vers épars du poète, à les grouper et compléter, puis à « arranger » les poésies.

    « Quand, pour exposer au public français l’évangile selon Fr.-Aug. Wolf, Dugas-Montbel écrivit (1831) son HISTOIRE DES POÉSIES HOMÉRIQUES, il ne manqua pas de préciser encore les idées du Maître : après les AÈDES ou CHANTEURS qui avaient composé les chants séparés, après les RHAPSODES, ou HOMÉRIDES, qui les avaient répétés et « cousus », les DIASKEVASTES étaient venus pour les mettre en ordre et en bâtir nos deux poésies actuelles, dont les DIORTHONTES s’étaient faits ensuite les correcteurs et les éditeurs, dont les critiques d’Alexandrie et les grammairiens de Pergame avaient achevé la mise au net.

    « Personne ne croit plus aujourd’hui à cette histoire de Pisistrate. Les Hellènes du VIe siècle possédaient déjà sous le nom de CYCLE ÉPIQUE une suite arrangée de tous les grands et petits poèmes sur la guerre de Troie, ses origines, sa durée et ses conséquences : « Le CYCLE ÉPIQUE, nous dit Photius, comprenait tous les poèmes que différents auteurs avaient composés pour obtenir une suite complète des événements depuis les origines du monde jusqu’a la mort d’Ulysse : la geste de Troie y occupait huit poèmes. »

    « Un premier poème, les KYPRIA, en onze chants, servait de prologue à l’Iliade : c’était l’œuvre de Stasinos ou d’Hégésinos, l’un et l’autre chypriotes, d’ou le titre qui ne convenait en rien au contenu. Après l’ILIADE, quatre poèmes servaient de transition vers l’ODYSSÉE : l 'ÆTHIOPIS, d’Arctinos de Milet, en cinq chants, racontait la suite de la guerre jusqu’a la mort d’Achille ; la PETITE ILIADE, de Leschès de Mitylène ou de Thestoridès de Phocée, en quatre chants, et le SAC D’ILION, en deux chants, du même Arctinos de Milet, conduisaient le lecteur jusqu’à la ruine de Troie et à l’embarquement des Achéens, dont les RETOURS, poème en cinq chants d ’Hagias de Trézène contaient les aventures pour rentrer dans leurs royaumes. Venaient l’ODYSSÉE et enfin un poème en deux chants d’Eugammon de Cyrène, la TÉLÉGONIE.

    « C’est pour faire entrer, je crois, les drames odysséens dans le cycle épique qu’ils furent réunis dans la « Geste » unitaire que nous lisons encore, embellis d’épisodes « bâtards » et munis d’une OUVERTURE et d’un FINALE. »

    (In : Homère. L’Odyssée. Traduction de Victor Bérard. Illustrations et décors de François-Louis Schmied. Paris : La Compagnie des Bibliophiles de l’Automobile-club de France. 4 tomes. Tome I [1930] : LVIII p. [« Lettre » et « Préface »] et 116 p. Tome II [1931] : 170 p. Tome III [1932] : 176 p. Tome IV [1933] : XX p. [« Introduction » au tome IV : « En marge de l’Odyssée »] et 165 p. Tome IV, « INTRODUCTION AU TOME IV » intitulée « En Marge de l’Odyssée », pages II à XX).


    Tim Severin (universitaire que nous avons déjà cité supra, à propos de « Les Argonautiques ») utilisa, pour reconstituer le voyage d'Ulysse, la réplique d'une galère de l'âge du bronze qu'il avait fait réaliser auparavant pour renouveler le voyage de Jason et des Argonautes.

    Voici un extrait de l'ouvrage contant son périple odysséen… :

    « Mais Érasttosthène était un des rares sceptiques. Ses doutes sur la réalité de l’Odyssée n’ont pas empêché ses contemporains d’essayer de trouver une signification géographique au poème homérique, en définissant les contrées où Ulysse aurait vécu ses aventures. Les Grecs de l’époque classique traitaient l’Iliade comme une histoire réelle, et l’archéologie moderne a démontré qu’ils avaient au moins en partie raison. La plupart de leurs meilleurs esprits considéraient également que les scènes de l’Odyssée constituaient les étapes d’un voyage réel, effectué par un homme réel, et ils se croyaient capables d’identifier les îles et les points où il s’était rendu.

    « « De même que certains artisans habiles couchent de l’or sur de l’argent… a fait observer Strabon, le plus influent des géographes classiques, de même il [Homère] a pris la guerre de Troie, fait historique, et l’a recouverte de ses mythes ; et il a agi de même au sujet des errances d’Ulysse. » Strabon, qui écrivait à l’époque d’Auguste, a énuméré une demi-douzaine de géographes éminents qui avaient déjà essayé de dévoiler les mystères de l’Odyssée. Leurs efforts pour restituer l’itinéraire d’Ulysse ont été renouvelés au cours des siècles par des pédagogues de tous horizons – historiens, voyageurs de salon, spécialistes de la littérature classique, archéologues, romanciers de premier plan, et même un premier ministre britannique : Gladstone. Des théories contradictoires ont placé les errances d’Ulysse en Italie, dans la Mer Noire, en Espagne, en plein Atlantique, dans l’Océan Indien, au large de l’Irlande ou de la Norvège. Il ne se passe guère une année sans que paraisse une nouvelle interprétation du texte. Au cours de la dernière décennie des théories ont envoyé Ulysse jusque dans les hautes Andes d’Amérique du Sud, ou l’ont gardé tout près, dans l’Adriatique qui, à en croire un capitaine de marine yougoslave, contiendrait tous les décors de toutes les aventures.

    « J’ai confronté ces diverses théories aux cartes marines. Chaque scène évoquée par Homère a été située à des endroits différents par une vingtaine de spécialistes. Les auteurs associent les descriptions homériques du relief (elles sont souvent d’un vague fort agaçant) à divers lieux réels et affirment que la concordance est précise – mais ils tombent rarement d’accord sur le même endroit. Le bateau d’Ulysse saute et rebondit sur toute la longueur de la Méditerranée comme le cavalier du jeu d’échecs. Il évite toutes les masses terrestres gênantes, contourne les caps, navigue à des vitesses faisant pâlir d’envie le plus moderne des paquebots de ligne, dans ses tentatives de relier des sites qui paraissent convenir. Parmi les commentateurs modernes, à peine une petite poignée étaient des marins, et un plus petit nombre encore ont suivi les itinéraires possibles. Aucun ne savait, par expérience directe, comment pouvait naviguer une galère de la fin de l’Âge du Bronze.

    « Le plus surprenant, c’est que personne ne semble s’être posé la question de base : si Ulysse a réellement existé, s’il a effectué le voyage, il devait être impatient de rentrer chez lui le plus vite possible, après les dix années du siège de Troie. Dans ce cas, quel itinéraire aurait-il normalement choisi ? Cet itinéraire ne pouvait-il pas offrir les décors de l’Odyssée sans aucune anomalie spectaculaire de navigation ? Peut-être cette question n’a-t-elle jamais été posée parce que la réponse risquait de ne faire aucune sensation ; elle pouvait même détruire un des charmes de l’épopée : l’image d’un Ulysse grand explorateur qui s’aventure au-delà de l’horizon. D’un autre côté, si un itinéraire direct correspondait aux détails de l’Odyssée, le résultat serait bien plus important : l’énigme de l’Odyssée serait résolue sur une base rationnelle qui ramènerait Ulysse de l’imaginaire pays des fées où les interprétations trop fantastiques et irréalisables l’avaient en fait relégué.

    « Je savais donc ce qu’il me restait à faire : conduire l’Argo de Troie à Ithaque, le pays d’Ulysse dans les îles Ioniennes, au large des côtes occidentales de la Grèce, en suivant l’itinéraire qu’aurait choisi un marin de la fin de l’Âge du Bronze, si c’était un homme prudent. Le long de ce trajet « logique », selon mes réflexions de marin, trouverions-nous des sites correspondant aux descriptions de l’Odyssée ? Découvririons-nous des explications pour certains récits extravagants, sinon tous ? Je ne désirais nullement répondre à des questions épineuses d’histoire, de linguistique, ou d’archéologie terrestre. Ces matières sont le domaine de spécialistes. Leurs travaux m’ont fourni les outils de base – encyclopédies, concordances, traductions, commentaires, tout l’appareil de l’érudition accumulé par deux millénaires d’études homériques. J’aborderais le problème du côté pratique – géographique et maritime. Je me placerais du point de vue du bon sens : sur le gaillard d’arrière de la réplique d’une galère de l’Âge du Bronze. Dans cette perspective, l’Argo était idéal. Construit pour vingt rameurs, il avait précisément les dimensions et le style du bâtiment qu’Homère cite dans l’Odyssée comme la galère type de l’époque. Je possédais déjà une certaine expérience de la navigation à l’Âge du Bronze car, au cours des mille cinq cents milles du Voyage de Jason, partis du nord de la Grèce, nous avions franchi les Dardanelles en vue de Troie, traversé la mer de Marmara, remonté le détroit du Bosphore et longé la côte de la Mer Noire jusqu’à ses rives orientales. Je me faisais donc une certaine idée des distances qu’Ulysse avait été en mesure de parcourir normalement chaque jour ; je connaissais ses limites à la rame et à la voile ; je savais quel mauvais temps son bateau pouvait supporter ou non ; j’avais pratiqué sa méthode de navigation à vue, de promontoire en promontoire. Je me proposais maintenant d’appliquer cette expérience à l’Odyssée. […] »

    (In : SEVERIN, Tim. Le Voyage d'Ulysse – Sur les traces de l'Odyssée. Traduit de l'anglais par Françoise et Guy Casaril. Photographies par Kevin Fleming, Nazem Choufeh et Rick William. Paris : Éditions J'ai Lu, 1991. 305 p. P. 14-15, 18-20 (une carte figure sur les pages 16 et 17). [Pour la traduction française : © Éditions Albin Michel, 1989]).


    Hector et Andromaque.

    « Hector s’élança hors du palais et reprit le même chemin par les rues bien bâties. Lorsqu’il fut arrivé à la porte Scée, en traversant la ville immense (car c’était par là qu’il devait sortir pour rentrer dans la plaine), il vit accourir au-devant de lui son épouse, richement dotée, Andromaque, fille du magnanime Eétion. Cet Eétion habitait Thébé d’Hypoplacie, au pied du Placus, couronné de forêts, et régnait sur les Galiciens : sa fille avait épousé Hector, à l’armure d’airain. Elle vint donc à la rencontre d’Hector : une femme l’accompagnait, tenant sur son sein leur rejeton, tendre enfant, qui ne parlait pas encore, le fils chéri d’Hector, semblable à un bel astre. »

    « Hektôr, étant sorti de ses demeures, reprit son chemin à travers les rues magnifiquement construites et populeuses, et, traversant la grande Ville, il arriva aux portes Skaies par où il devait sortir dans la plaine. Et sa femme, qui lui apporta une riche dot, accourut au-devant de lui, Andromakhè, fille du magnanime Eétiôn qui habita sous le Plakos couvert de forets, dans Thèbè Hypoplakienne, et qui commanda aux Kilikiens. Et sa fille était la femme de Hektôr au casque d’airain. Et quand elle vint au-devant de lui, une servante l’accompagnait qui portait sur le sein son jeune fils, petit enfant encore, le Hektoréide bien-aimé, semblable a une belle etoile. »

    (In : HOMÈRE. Iliade. Traduction nouvelle par Leconte de Lisle. Paris : Alphonse Lemerre, Éditeur, 1868. 465 p. P. 113-114 [Rhapsôdie – Chant – VI]).

    L'illustration de cette rubrique est extraite de :
    HOMÈRE. Iliade.
    Vingt-quatre grandes compositions par M. Henri Motte.
    Traduction par Émile Pessonneaux.
    Paris : Maison Quantin, 1886. IV p. et 353 p. P. 85 [Chant VI]).
    La planche de la gravure représentant Hector et Andromaque
    se trouve entre les pages 76 et 77 de l'ouvrage
    (le texte utilisé en guise de légende
    se trouve quant à lui à la p. 85).

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