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MUNRO, Hector Hugh (SAKI). Sredni Vashtar. Fondettes : Carraud-Baudry, 2015 (Publication numérique - PDF).
Une nouvelle dont nous vous proposons le texte original en anglais et une traduction en français. Sont contés au cours des pages de cette nouvelle les démélés d'un enfant malade, délicat à tout le moins, avec une cousine, sa tutrice, qui l'opprime, s'ingénie à le contrarier, à lui imposer des mesures vexatoires. L'enfant se réfugie dans son monde imaginaire ; et ainsi lui est-il permis dans une certaine mesure de résister à l'oppression sournoise dont il est victime. Mais bientôt son monde imaginaire prend de plus en plus de place dans sa vie, et triomphe totalement, brutalement de l'adversité qui jusque-là l'accablait.
Une nouvelle entre horreur douce et fantastique (presque). Parions que le lecteur de cette nouvelle s'en souviendra longtemps, que longtemps ses deux petits personnages principaux occuperont une place toute particulière dans son esprit…
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Friedrich Wilhelm Nietzsche (1844-1900) fut un philologue, un poète, un moraliste, un philosophe des plus hardis, dont les écrits adoptent un style des plus originaux. Son œuvre la plus remarquable, selon de nombreux commentateurs, est Also sprach Zarathustra (« Ainsi parlait Zarathoustra »), une fable, un essai également, au ton incomparable et ardent.
Pour en apprendre plus sur ce philosophe des plus singuliers, des plus remarquables, lisez les commentaires qui suivent, relevés chez différents auteurs ; et lisez aussi, le cas échéant les deux brèves biographies que nous lui consacrons dans une autre collection de notre site : biographies de Friedrich Wilhelm Nietzsche de notre collection Ecce Homo.
« Quand on me demande comment j'ai pu, pendant une aussi longue période, lire presque exclusivement un seul auteur, ma réponse est toujours la même : en lisant et relisant Nietzsche, je n'ai jamais eu l'impression de déserter mon époque pour m'égarer à la fin du XIXe siècle. J'aurais été absolument incapable de lire pendant autant d'années Platon ou Hegel. J'ai pu le faire avec Nietzsche parce que je n'ai jamais eu l'impression avec lui de quitter la fin du XXe siècle. Si Nietzsche est à la hauteur de notre temps, il est, à bien des égards, très en avance sur notre époque. Ses interrogations, ses remises en question, ses critiques et ses espérances, regardent non seulement en avant de lui, mais encore très en avant de nous. »
(In : GRANAROLO, Philippe. En chemin avec Nietzsche. Paris : L’Harmattan, 2018, 254 p. (Collection : La Philosophie En Commun). P. 10.
« Le Zarathoustra dont on a souvent — au mépris des allégations de l’auteur lui-même — méconnu la portée philosophique, se révèle être au final une œuvre aussi riche (sinon plus) par sa forme que par ses contenus. Les signifiances discursives mises au jour nous révèlent une philosophie qui se questionne jusque dans les modalités de son « dire », interrogeant un discours millénaire, fréquemment aveugle à lui-même, dans lesquels elle refuse de s’inscrire tacitement. La vérité est et reste tributaire du discours sur la vérité qui entend la révéler. Derrière le résultat inquestionné que pourvoit l’histoire épiphanique de la vérité et de l’être, Nietzsche sonde les sources, il ressaisit les genèses et les dynamiques qui agitent les profondeurs d’un discours dont on n’a voulu voir que la surface. C’est bien d’une refonte qu’il faut parler, une refonte qui engage, pourrait-on presque dire, l’onto- et la phylogenèse de l’œuvre, du discours générique et individuel qui la porte et lui donne forme et corps dans une langue. Plus qu’un « donné » abouti, Zarathoustra est montré comme un procès en marche, en prise constante avec ce dont il n’est ni plus ni moins qu’une manifestation fluctuante et adventice : la vie.
« Mais le Zarathoustra comporte un autre versant, finalement complémentaire du premier : si la plupart des ouvrages philosophiques se veulent des sommes de « savoir », le Zarathoustra apparaît, lui, comme le « livre du vouloir ». Le vouloir est partout, dans et autour de Zarathoustra. Il se reflète bien sûr dans la thématique (surhomme, éternel retour, volonté de puissance), dans la configuration interne de l’œuvre (récit en forme de parabole), dans les caractéristiques communicationnelles aussi bien en amont qu’en aval. Il se reflète dans la production, mais il se reflète aussi (et peut-être surtout) dans la réception (ou du moins dans la réception anticipée) de l’œuvre, œuvre qui est de part en part appel, appel à vouloir.
« L’exégèse nietzschéenne a beaucoup critiqué l’opacité théorique du Zarathoustra. Pourtant Zarathoustra fait partie des œuvres qui ont fait couler le plus d’encre. Ce simple constat illustre peut-être mieux que tout le reste ce que Nietzsche entendait faire et ne pas faire : mobiliser les énergies plutôt que grossir les savoirs. Dans ce contexte la philosophie de Nietzsche apparaît comme une philosophie de l’action, une philosophie de 1’« expérimentation », à la fois poussée jusque dans ses ultimes conséquences, et étonnamment cohérente avec elle-même. Manifestation de la vie, cette philosophie a pour vocation de retourner nourrir la vie et ses mille expériences1, en suscitant et en potentialisant ce qui la nourrit elle-même : le vouloir.
« Si comme Nietzsche l’affirmait lui-même, c’est toute sa philosophie qui est contenue dans le Zarathoustra, il ne faut nullement donner au verbe « contenir » le sens qu’il suggère de prime abord. Ici le texte, loin d’être simplement ce filet qui retient et conserve un sens préétabli et immuable, serait plutôt prétexte à tous les écarts, à toutes les greffes, à toutes les projections vers un extérieur de lui-même où il se dépasse. Par corollaire, ce texte ne peut être définitivement acquis ou compris, il est lui-même construit comme un appel à continuation où le vouloir du lecteur survivra à celui de l’auteur, empruntant parfois les mêmes routes que lui, parfois des chemins totalement divergents, pourvu que jamais ces chemins ne s’arrêtent, pourvu que jamais le vouloir ne cesse de se consumer. »
(In : BOTET, Serge. La « Performance » philosophique de Nietzsche. Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2011, 88 p. [Collection : La Philosophie En Commun]. P. 75-77 ; N.B. : nous ne reproduisons pas la note de bas de page du texte cité).
« Où que l’on cherche à les situer, Nietzsche comme Heidegger sont toujours déjà ailleurs, pour eux 1’« essentiel » n’est que le symptôme itinérant de la volonté forcenée des philosophes d’échapper à la fugacité et à la légèreté de l’être. Tout leur ouvrage fut sans doute de donner à la philosophie les visages les plus changeant, les plus imprévus, les plus éphémères, parfois aussi les plus insignifiants en apparence. À leurs yeux, ce qui importe le plus pour la philosophie se lit précisément dans ce qui importa le moins à ces autres philosophes qui, accablés par la pesanteur de l’être, ont cherché des siècles durant à graver sa vérité dans le granit, à le corseter définitivement dans leurs austères notions. Si les philosophes furent souvent parents des bâtisseurs de cathédrales, Nietzsche et Heidegger furent des pèlerins sans chapelle, n’aimant jamais que le périple aventureux, non les destinées toutes tracées où l’absolution attend au bout du chemin. Plus que des clés de voûte supportant l’édifice en faisant converger les forces vers un seul point, ils ont cherché l’ornement, l’arabesque, les lignes folles, nomades et divergentes qui regardent avidement au dehors, étirant irrésistiblement ces murs imposants vers les quatre points cardinaux, les ouvrant sans relâche au monde et au mouvement, bien loin des promesses de quiétude, des nostalgies et des retraites, toutes les « ataraxies déguisées » vers lesquels les philosophes avaient lorgné bien souvent, fût-ce à leur insu ou à leur corps défendant. »
(In : BOTET, Serge. La « Performance » philosophique de Nietzsche. Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg, 2011, 88 p. [Collection : La Philosophie En Commun]. P. 82).
« En présentant aujourd’hui, dans son intégrité, au public français, le dernier écrit de Frédéric Nietzsche nous obéissons surtout à un devoir de piété. Durant les semaines qui précédèrent sa maladie une des préoccupations dominantes du philosophe fut, en effet, de voir Ecce Homo traduit dans notre langue. Il était las d’être méconnu dans sa propre patrie, las de prêcher sans cesse dans le désert. « J’ai mes lecteurs partout, écrivait-il alors, à Vienne, à Copenhague et à Stockholm, à Paris et à Saint-Pétersbourg, je n’en ai pas dans le pays plat de l’Europe, en Allemagne… » Il voulait faire appel à l’opinion du monde civilisé pour qu’elle décidât de son génie.
« Vingt ans se sont écoulés, presque jour pour jour, depuis que Nietzsche écrivit ce plaidoyer autobiographique qui devait faire connaître son nom à l’Europe. Commencé le 15 octobre 1888, quarante-quatrième anniversaire de sa naissance, Ecce Homo fut achevé, à peine trois semaines plus tard, le 4 novembre. Écrit, immédiatement après le Cas Wagner, le Crépuscule des Idoles, les Dithyrambes à Dionysos et l’Antéchrist, labeur formidable de quelques mois à peine, cet ouvrage reflète, à ses débuts, le sentiment de calme et de sérénité qui s’était emparé du philosophe à son arrivée à Turin. Divisé en quatre parties : Pourquoi je suis si sage — Pourquoi je suis si malin. — Pourquoi j’écris de si bons livres. — Pourquoi je suis une fatalité, il constitue, pour l’étude de Nietzsche, un document inappréciable. On y trouvera aussi bien l’analyse psychologique de son caractère qu’une interprétation des plus originales de son œuvre.
« « Il provoquera un étonnement sans pareil », disait-il dans une lettre à son éditeur, et, durant que l’on imprimait — car deux feuilles ont alors été composées — il se préoccupait déjà de trouver des traducteurs. « Je suis de votre avis que, pour le tirage d' Ecce Homo, nous ne dépassions pas 1000 exemplaires. En Allemagne le nombre de 1000, pour un ouvrage de style élevé, apparaîtra peut-être un peu hasardé. En France, je compte très sérieusement sur 80.000 à 40.000 exemplaires. » Hippolyte Taine lui avait recommandé M. Jean Bourdeau, mais celui-ci, après avoir pris connaissance des ouvrages que lui adressait Nietzsche, déclara qu’il n’avait pas le temps. Nietzsche conçut alors l’idée singulière de confier à l’écrivain suédois Auguste Strindberg le soin de traduire Ecce Homo en français.
« Avec la plus parfaite lucidité d’esprit il multipliait les démarches pour procurer à son œuvre la publicité qu’il croyait nécessaire et lui assurer le plus grand retentissement. En même temps il s’agissait de répandre ses autres ouvrages. Comme l’apparition du Cas Wagner venait de le brouiller avec son principal éditeur, il songeait à s’aventurer dans une entreprise commerciale pour lancer lui-même ses publications. Le succès des dernières années a montré qu’il n’avait pas fait un si mauvais calcul. Faut-il autre chose que ce détail, d’apparence insignifiante, pour montrer que jusqu’à la catastrophe finale Nietzsche avait conservé toute sa lucidité d’esprit ?
« Sans conteste, Ecce Homo porte, en certains endroits, les traces d’une nervosité excessive. Mais il faut se rappeler ce que cet homme avait souffert, ce que cet homme avait pensé, ce que cet homme avait écrit, pour comprendre cette exaltation. N’oublions pas un seul instant que c’est l’auteur de Zarathoustra qui parle. L’un des plus beaux livres de la littérature s’était perdu dans le silence…
« « Depuis l’époque où j’ai mon Zarathoustra sur la conscience, écrivait Nietzsche à son ami Overbeck, je suis comme une bête perpétuellement blessée, ma blessure consiste en ceci que je n’ai pas entendu une seule réponse, pas même un souffle de réponse… Ce livre est tellement à l’écart, je veux dire tellement au delà de tous les livres, que c’est pour moi une torture de l’avoir créé… »
« Et plus loin il ajoutait :
« « La difficulté de trouver une distraction qui soit assez forte devient de plus en plus grande. Je me défends, comme bien tu penses, avec beaucoup d’ingéniosité, contre cet excès de sentiments. Mes derniers livres font partie de ces moyens de défense. Ils sont plus passionnés que tout ce que j’ai écrit d’autre. La passion engourdit. Elle me fait du bien. Elle me fait oublier un peu… »
« Nous n’avons pas à examiner ici pourquoi Ecce Homo, dont l’impression était commencée en 1888, attendit vingt ans pour voir le jour. Le tirage restreint (déjà épuisé du reste) qui vient d’en être fait en Allemagne peut, à la rigueur, correspondre aux dernières volontés exprimées par Nietzsche.
« Quant à nous, nous ne croyons pas devoir nous en tenir aux mêmes réserves. Nous offrons cet ouvrage au public français, c’est-à-dire à ce public européen que le philosophe voulait appeler à témoigner en sa faveur, et nous avons confiance en son jugement. »
« H. A. »
(In : ALBERT, Henri. Ecce Homo – Comment on devient ce que l’on est : « Introduction ». Mercure de France, 16-XI-1908, p. 196-197. [p. 1-2 du fichier PDF de la traduction française de « Ecce Homo — Comment on devient ce que l’on est » de F. Nietzsche, que nous vous proposons sur notre site ; intégralité de l’« Introduction » de Henri Albert]).
NIETZCHE, Friedrich. Nietzsche’s Werke. Erste Abtheilung. Band VI. Also sprach Zarathustra – Ein Buch für Alle und Keinen. Leipzig : Druck und Verlag von C. G. Naumann, 1899. 533 p.
N.B. : numérisation : Internet Archive - University of Toronto ; téléchargé depuis : https://archive.org ; nous avons, afin d'améliorer la lisibilité de l'ouvrage, augmenté le contraste et diminué la luminosité des pages de texte, puis procédé à un traitement du fichier par logiciel d'« o.c.r. ».
Extrait de : « Nietzsche’s Werke. Erste Abtheilung. Band VI. Also sprach Zarathustra – Ein Buch für Alle und Keinen » ; « Zarathustra’s Vorrede » (sections 1 et 2), p. 9-12.
„1.
„Als Zarathustra dreissig Jahr alt war, verliess er seine Heimath und den See seiner Heimath und gieng in das Gebirge. Hier genoss er seines Geistes und seiner Einsamkeit und wurde dessen zehn Jahre nicht müde. Endlich aber verwandelte sich sein Herz, — und eines Morgens stand er mit der Morgenröthe auf, trat vor die Sonne hin und sprach zu ihr also:
„Du grosses Gestirn! Was wäre dein Glück, wenn du nicht Die hättest, welchen du leuchtest!
Zehn Jahre kamst du hier herauf zu meiner Höhle: du würdest deines Lichtes und dieses Weges satt geworden sein, ohne mich, meinen Adler und meine Schlange.
Aber wir warteten deiner an jedem Morgen, nahmen dir deinen Überfluss ab und segneten dich dafür.
Siehe! Ich bin meiner Weisheit überdrüssig, wie die Biene, die des Honigs zu viel gesammelt hat, ich bedarf der Hände, die sich ausstrecken.
Ich möchte verschenken und austheilen, bis die Weisen unter den Menschen wieder einmal ihrer Thorheit und die Armen wieder einmal ihres Reichthums froh geworden sind.
Dazu muss ich in die Tiefe steigen: wie du des Abends thust, wenn du hinter das Meer gehst und noch der Unterwelt Licht bringst, du überreiches Gestirn!
Ich muss, gleich dir, untergehen, wie die Menschen es nennen, zu denen ich hinab will.
So segne mich denn, du ruhiges Auge, das ohne Neid auch ein allzugrosses Glück sehen kann!
Segne den Becher, welcher überfliessen will, dass das Wasser golden aus ihm fliesse und überallhin den Abglanz deiner Wonne trage!
Siehe! Dieser Becher will wieder leer werden, und Zarathustra will wieder Mensch werden.“
— Also begann Zarathustra’s Untergang.“
„2.
„Zarathustra stieg allein das Gebirge abwärts und Niemand begegnete ihm. Als er aber in die Wälder kam, stand auf einmal ein Greis vor ihm, der seine heilige Hütte verlassen hatte, um Wurzeln im Walde zu suchen. Und also sprach der Greis zu Zarathustra:
„Nicht fremd ist mir dieser Wanderer: vor manchem Jahre gieng er hier vorbei. Zarathustra hiess er; aber er hat sich verwandelt.
Damals trugst du deine Asche zu Berge: willst du heute dein Feuer in die Thäler tragen? Fürchtest du nicht des Brandstifters Strafen?
Ja, ich erkenne Zarathustra. Rein ist sein Auge, und an seinem Munde birgt sich kein Ekel. Geht er nicht daher wie ein Tänzer?
Verwandelt ist Zarathustra, zum Kind ward Zarathustra, ein Erwachter ist Zarathustra: was willst du nun bei den Schlafenden?
Wie im Meere lebtest du in der Einsamkeit, und das Meer trug dich. Wehe, du willst an ’ s Land steigen? Wehe, du willst deinen Leib wieder selber schleppen?“
Zarathustra antwortete: „Ich liebe die Menschen.“
„Warum, sagte der Heilige, gieng ich doch in den Wald und die Einöde? War es nicht, weil ich die Menschen allzu sehr liebte?
Jetzt liebe ich Gott: die Menschen liebe ich nicht. Der Mensch ist mir eine zu unvollkommene Sache. Liebe zum Menschen würde mich umbringen.“
Zarathustra antwortete: „Was sprach ich von Liebe! Ich bringe den Menschen ein Geschenk.“
„Gieb ihnen Nichts, sagte der Heilige. Nimm ihnen lieber Etwas ab und trage es mit ihnen — das wird ihnen am wohlsten thun: wenn es dir nur wohlthut!
Und willst du ihnen geben, so gieb nicht mehr als ein Almosen, und lass sie noch darum betteln!
„Nein, antwortete Zarathustra, ich gebe kein Almosen. Dazu bin ich nicht arm genug.“
Der Heilige lachte über Zarathustra und sprach also: „So sieh zu, dass sic deine Schätze annehmen! Sie sind misstrauisch gegen die Einsiedler und glauben nicht, dass wir kommen, um zu schenken.
Unsre Schritte klingen ihnen zu einsam durch die Gassen. Und wie wenn sie Nachts in ihren Betten einen Mann gehen hören, lange bevor die Sonne aufsteht, so fragen sie sich wohl: wohin will der Dieb?
Gehe nicht zu den Menschen und bleibe im Walde! Gehe lieber noch zu den Thieren! Warum willst du nicht sein wie ich, — ein Bär unter Bären, ein Vogel unter Vögeln?“
„Und was macht der Heilige im Walde?“ fragte Zarathustra.
Der Heilige antwortete: „Ich mache Lieder und singe sie, und wenn ich Lieder mache, lache, weine und brumme ich: also lobe ich Gott.
Mit Singen, Weinen, Lachen und Brummen lobe ich den Gott, der mein Gott ist. Doch was bringst du uns zum Geschenke?“
Als Zarathustra diese Worte gehört hatte, grüsste er den Heiligen und sprach: „Was hätte ich euch zu geben! Aber lasst mich schnell davon, dass ich euch Nichts nehme!“— Und so trennten sie sich von einander, der Greis und der Mann, lachend, gleichwie zwei Knaben lachen.
Als Zarathustra aber allein war, sprach er also zu seinem Herzen: „Sollte es denn möglich sein! Dieser alte Heilige hat in seinem Walde noch Nichts davon gehört, dass Gott todt ist!“—“
NIETZCHE, Friedrich. Nietzsche’s Werke. Band VII. Also sprach Zarathustra – Ein Buch für Alle und Keinen. Leipzig : C. G. Naumann Verlag, 1909. 502 p.
N.B. : numérisation : University of Toronto ; téléchargé depuis : https://archive.org.
NIETZCHE, Frédéric. Ainsi parlait Zarathoustra – Un livre pour tous et pour personne. Traduit par Henri Albert. Sixième édition. Paris : Société du Mercure de France, 1903. 487 p. (Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche publiées sous la direction de Henri Albert).
N.B. : numérisation : Google - WikimediaCommons ; téléchargé depuis : Wikisource .
Extraits n°1 ; extrait de : « Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche publiées sous la direction de Henri Albert. Ainsi parlait Zarathoustra – Un livre pour tous et pour personne » ; « Le Prologue de Zarathoustra » (sections 1 et 2), p. 7-11.
« 1
« Lorsque Zarathoustra eut atteint sa trentième année, il quitta sa patrie et le lac de sa patrie et s’en alla dans la montagne. Là il jouit de son esprit et de sa solitude et ne s’en lassa point durant dix années. Mais enfin son cœur se transforma, — et un matin, se levant avec l’aurore, il s’avança devant le soleil et lui parla ainsi :
« O grand astre ! Quel serait ton bonheur, si tu n’avais pas ceux que tu éclaires ?
Depuis dix ans que tu viens vers ma caverne : tu te serais lassé de ta lumière et de ce chemin, sans moi, mon aigle et mon serpent.
Mais nous t’attendions chaque matin, nous te prenions ton superflu et nous t’en bénissions.
Voici ! Je suis dégoûté de ma sagesse, comme l’abeille qui a amassé trop de miel. J’ai besoin de mains qui se tendent.
Je voudrais donner et distribuer, jusqu’à ce que les sages parmi les hommes soient redevenus joyeux de leur folie, et les pauvres, heureux de leur richesse.
Voilà pourquoi je dois descendre dans les profondeurs, comme tu fais le soir quand tu vas derrière les mers, apportant ta clarté au-dessous du monde, ô astre débordant de richesse !
Je dois disparaître ainsi que toi, me coucher, comme disent les hommes vers qui je veux descendre.
Bénis-moi donc, œil tranquille, qui peux voir sans envie un bonheur même sans mesure !
Bénis la coupe qui veut déborder, que l’eau toute dorée en découle, apportant partout le reflet de ta joie !
Vois ! cette coupe veut se vider à nouveau et Zarathoustra veut redevenir homme. » Ainsi commença le déclin de Zarathoustra.
« 2
« Zarathoustra descendit seul des montagnes, et il ne rencontra personne. Mais lorsqu’il arriva dans les bois, soudain se dressa devant lui un vieillard qui avait quitte sa sainte chaumière pour chercher des racines dans la forêt. Et ainsi parla le vieillard et il dit à Zarathoustra :
« Il ne m’est pas inconnu, ce voyageur ; voilà bien des années qu’il passa par ici. Il s’appelait Zarathoustra, mais il s’est transformé.
Tu portais alors ta cendre à la montagne : veux-tu aujourd’hui porter ton feu dans la vallée ? Ne crains-tu pas le châtiment des incendiaires ?
Oui, je reconnais Zarathoustra. Son œil est limpide et sur sa lèvre ne se creuse aucun pli de dégoût. Ne s’avance-t-il pas comme un danseur ?
Zarathoustra s’est transformé, Zarathoustra s’est fait enfant, Zarathoustra s’est éveillé : que vas-tu faire maintenant auprès de ceux qui dorment ?
Tu vivais dans la solitude comme dans la mer et la mer te portait. Malheur à toi, tu veux donc atterrir ? Malheur à toi, tu veux de nouveau traîner toi-même ton corps ? »
Zarathoustra répondit : « J’aime les hommes. »
« Pourquoi donc, dit le sage, suis-je allé dans les bois et dans la solitude ? N’était-ce pas parce que j’aimais trop les hommes ?
Maintenant j’aime Dieu : je n’aime point les hommes. L’homme est pour moi une chose trop imparfaite. L’amour de l’homme me tuerait. »
Zarathoustra répondit : « Qu’ai-je parlé d’amour ! Je vais faire un présent aux hommes. »
« Ne leur donne rien, dit le saint. Enlève-leur plutôt quelque chose et aide-les à le porter — rien ne leur sera meilleur : pourvu qu’a toi aussi cela fasse du bien !
Et si tu veux donner, ne leur donne pas plus qu’une aumône, et attends qu’ils te la demandent ! »
« Non, répondit Zarathoustra, je ne fais pas l’aumône. Je ne suis pas assez pauvre pour cela. »
Le saint se prit à rire de Zarathoustra et parla ainsi : « Tâche alors de leur faire accepter tes trésors. Ils se méfient des solitaires et ne croient pas que nous venions pour donner.
À leurs oreilles les pas du solitaire retentissent trop étrangement à travers les rues. Défiants comme si la nuit, couchés dans leurs lits, ils entendaient marcher, un homme, longtemps avant le lever du soleil, ils se demandent peut-être : Où se glisse ce voleur ?
Ne va pas auprès des hommes, reste dans la forêt ! Va plutôt encore auprès des bêtes ! Pourquoi ne veux-tu pas être comme moi, — ours parmi les ours, oiseau parmi les oiseaux ? »
« Et que fait le saint dans les bois ? » demanda Zarathoustra.
Le saint répondit : « Je fais des chants et je les chante, et quand je fais des chants, je ris, je pleure et je murmure : c’est ainsi que je loue Dieu.
Avec des chants, des pleurs, des rires et des murmures, je rends grâce à Dieu qui est mon Dieu. Cependant quel présent nous apportes-tu ? »
Lorsque Zarathoustra eut entendu ces paroles, il salua le saint et lui dit : « Qu’aurais-je à vous donner ? Mais laissez-moi partir en hâte, afin que je ne vous prenne rien ! » — Et c’est ainsi qu’ils se séparèrent l’un de l’autre, le vieillard et l’homme, riant comme rient deux petits garçons.
Mais quand Zarathoustra fut seul, il parla ainsi à son cœur : « Serait-ce possible ! Ce vieux saint dans sa forêt n’a pas encore entendu dire que Dieu est mort ! »
Extraits n°2 ; extrait de : « Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche publiées sous la direction de Henri Albert. Ainsi parlait Zarathoustra – Un livre pour tous et pour personne » ; « Les Discours de Zarathoustra », l'intégralité du discours intitulé : « De la Mort volontaire », p. 99-103.
« DE LA MORT VOLONTAIRE
« Il y en a beaucoup qui meurent trop tard et quelques-uns qui meurent trop tôt. La doctrine qui dit : « Meurs à temps ! » semble encore étrange.
Meurs à temps : voilà ce qu’enseigne Zarathoustra. Il est vrai que celui qui n’a jamais vécu à temps ne saurait mourir à temps. Qu’il ne soit donc jamais né ! — Voilà ce que je conseille aux superflus.
Mais les superflus eux-mêmes font les importants avec leur mort, et la noix la plus creuse prétend être cassée.
Ils accordent tous de l’importance à la mort : mais pour eux la mort n’est pas encore une fête. Les hommes ne savent point encore comment on consacre les plus belles fêtes.
Je vous montre la mort qui consacre, la mort qui, pour les vivants, devient un aiguillon et une promesse.
L’accomplisseur meurt de sa mort, victorieux, entouré de ceux qui espèrent et qui promettent.
C’est ainsi qu’il faudrait apprendre à mourir ; et il ne devrait pas y avoir de fête, sans qu’un tel mourant ne sanctifie les serments des vivants !
Mourir ainsi est la meilleure chose ; mais la seconde est celle-ci : mourir au combat et répandre une grande âme.
Mais haïe tant par le combattant que par le victorieux est votre mort grimaçante qui s’avance en rampant, comme un voleur — et qui pourtant vient en maître.
Je vous fais l’éloge de ma mort, de la mort volontaire, qui me vient puisque je veux.
Et quand voudrai-je ? — Celui qui a un but et un héritier, veut pour but et héritier la mort à temps.
Et, par respect pour le but et l’héritier, il ne suspendra plus de couronnes fanées dans le sanctuaire de la vie.
En vérité, je ne veux pas ressembler aux cordiers : ils tirent leurs fils en longueur et vont eux-mêmes toujours en arrière.
Il y en a aussi qui deviennent trop vieux pour leurs vérités et leurs victoires ; une bouche édentée n’a plus droit à toutes les vérités.
Et tous ceux qui cherchent la gloire doivent au bon moment prendre congé de l’honneur, et exercer l’art difficile de s’en aller à temps.
Il faut cesser de se faire manger, au moment où l’on vous trouve le plus de goût : ceux-là le savent qui veulent être aimés longtemps.
Il y a bien aussi des pommes aigres dont la destinée est d’attendre jusqu’au dernier jour de l’automne. Et elles deviennent en même temps mures, jaunes et ridées.
Chez d’autres le cœur vieillit d’abord, chez d’autres l’esprit. Et quelques-uns sont vieux dans leur jeunesse : mais quand on est jeune très tard, on reste jeune très longtemps.
Il y en a qui manquent leur vie : un ver venimeux leur ronge le cœur. Qu’ils tâchent au moins de mieux réussir dans leur mort.
Il y en a qui ne prennent jamais de saveur, ils pourrissent déjà en été. C’est la lâcheté qui les retient à leur branche.
Il y en a beaucoup trop qui vivent et trop longtemps ils restent suspendus à leur branche. Qu’une tempête vienne et secoue de l’arbre tout ce qui est pourri et mangé par le ver ?
Viennent les prédicateurs de la mort rapide ! Ce seraient eux les vraies tempêtes qui secoueraient l’arbre de la vie ! Mais je n’entends prêcher que la mort lente et la patience avec tout ce qui est « terrestre ».
Hélas ! vous prêchez la patience avec ce qui est terrestre ? C’est le terrestre qui a trop de patience avec vous, blasphémateurs !
En vérité, il est mort trop tôt, cet Hébreu qu’honorent les prédicateurs de la mort lente, et pour un grand nombre, depuis, ce fut une fatalité qu’il soit mort trop tôt.
Il ne connaissait encore que les larmes et la tristesse de l’Hébreu, ainsi que la haine des bons et des justes, — cet Hébreu Jésus : et voici que le désir de la mort le saisit à l’improviste.
Pourquoi n’est-il pas resté au désert, loin des bons et des justes ! Peut-être aurait-il appris à vivre et à aimer la terre — et aussi le rire !
Croyez-m’en, mes frères ! Il est mort trop tôt ; il aurait lui-même rétracté sa doctrine, s’il avait vécu jusqu’à mon âge ! Il était assez noble pour se rétracter !
Mais il n’était pas encore mûr. L’amour du jeune homme manque de maturité, voilà pourquoi il hait les hommes et la terre. Chez lui l’âme et les ailes de la pensée sont encore liées et pesantes.
Mais il y a de l’enfant dans l’homme plus que dans le jeune homme, et moins de tristesse : l’homme comprend mieux la mort et la vie.
Libre pour la mort et libre dans la mort, divin négateur, s’il n’est plus temps d’affirmer : ainsi il comprend la vie et la mort.
Que votre mort ne soit pas un blasphème sur l’homme et la terre, ô mes amis : telle est la grâce que j’implore du miel de votre âme.
Que dans votre agonie votre esprit et votre vertu jettent encore une dernière lueur, comme la rougeur du couchant enflamme la terre : si non, votre mort vous aura mal réussi.
C’est ainsi que je veux mourir moi-même, afin que vous aimiez davantage la terre à cause de moi, ô mes amis ; et je veux revenir à la terre pour que je trouve mon repos en celle qui m’a engendré.
En vérité, Zarathoustra avait un but, il a lancé sa balle ; maintenant, ô mes amis, vous héritez de mon but, c’est à vous que je lance la balle dorée.
Plus que toute autre chose, j’aime à vous voir lancer la balle dorée, ô mes amis ! Et c’est pourquoi je demeure encore un peu sur la terre : pardonnez-le-moi !
Ainsi parlait Zarathoustra. »
NIETZCHE, Friedrich. The Works of Friedrich Nietzsche -Vol. II. Thus spake Zarathustra – A Book for All and None. Translated by Alexander Tille. London : T. Fisher Unwin, 1899. 488 p.
N.B. : numérisation : MSN - University of California ; téléchargé depuis : https://archive.org.
Extrait de : "The Works of Friedrich Nietzsche. Vol. II. Thus Spake Zarathustra – A Book for All and None" ; "Zarathustra's Introductory Speech on Beyond-Man and the Last Man" (sections 1 et 2), p. 1-4.
"1
"Having attained the age of thirty, Zarathustra left his home and the lake of his home and went into the mountains. There he rejoiced in his spirit and his loneliness and, for ten years, did not grow weary of it. But at last his heart turned, — one morning he got up with the dawn, stepped into the presence of the Sun, and thus spake unto him :
"Thou great star ! What would be thy happiness, were it not for those for whom thou shinest.
For ten years thou hast come up here to my cave. Thou wouldst have got sick of thy light and thy jour — ney but for me, mine eagle, and my serpent.
But we waited for thee every morning and, receiving from thee thine abundance, blessed thee for it.
Lo ! I am weary of my wisdom, like the bee that hath collected too much honey ; I need hands reaching out for it.
I would fain grant and distribute until the wise among men could once more enjoy their folly, and the poor once more their riches.
For that end I must descend to the depth : as thou dost at even, when, sinking behind the sea, thou givest light to the lower regions, thou resplendent star !
I must, like thee, go down, as men say — men to whom I would descend.
Then bless me, thou impassive eye that canst look without envy even upon over-much happiness !
Bless the cup which is about to overflow so that the water golden-flowing out of it may carry everywhere the reflection of thy rapture.
Lo ! This cup is about to empty itself again, and Zarathustra will once more become a man."
Thus Zarathustra's going down began.
"2
"Zarathustra stepped down the mountains alone and met with nobody. But when he reached the woods, suddenly there stood in front of him an old man who had left his hermitage to seek roots in the forest. And thus the old man spake unto Zarathustra :
"No stranger to me is the wanderer : many years ago he passed here. Zarathustra was his name ; but he hath changed.
Then thou carriedst thine ashes to the mountains : wilt thou to-day carry thy fire to the valleys ? Dost thou not fear the incendiary's doom ?
Yea, I know Zarathustra again. Pure is his eye, nor doth any loathsomeness lurk about his mouth. Doth he not skip along like a dancer ?
Changed is Zarathustra, a child Zarathustra became, awake is Zarathustra : what art thou going to do among those who sleep ?
As in the sea thou livedst in loneliness, and wert borne by the sea. Alas ! art thou now going to walk on the land ? Alas, art thou going to drag thy body thyself ?"
Zarathustra answered : "I love men."
"Why," said the saint, "did I go to the forest and desert ? Was it not because I loved men greatly over-much ?
Now I love God : men I love not. Man is a thing far too imperfect for me. Love of men would kill me."
Zarathustra answered : "What did I say of love ! I am bringing gifts to men."
"Why," said the saint, "did I go to the forest and desert ? Was it not because I loved men greatly over-much ?
Now I love God : men I love not. Man is a thing far too imperfect for me. Love of men would kill me."
Zarathustra answered : "What did I say of love ! I am bringing gifts to men."
"Do not give them anything," said the saint. "Rather take something from them and bear their burden along with them — that will serve them best : if it only serve thyself well !
And if thou art going to give them aught, give them no more than an alms, and let them beg even for that."
"No," said Zarathustra, "I do not give alms. I am not poor enough for that."
The saint laughed at Zarathustra and spake thus : "Then see to it that they accept thy treasures ! They are suspicious of hermits and do not believe that we are coming in order to give.
In their ears our steps sound too lonely through the streets. And just when during the night in their beds they hear a man going long before sunrise they sometimes ask : whither goeth that thief ?
Go not to men, but tarry in the forest ! Rather go to the animals ! Why wilt thou not be like me, a bear among bears, a bird among birds ?"
"And what doth the saint in the forest ?" asked Zarathustra.
The saint answered : "I make songs and sing them, and making songs I laugh, cry and hum : I praise God thus.
With singing, crying, laughing, and humming I praise that God who is my God. But what gift bringest thou to us ?"
Having heard these words Zarathustra bowed to the saint and said : "What could I give to you ! But let me off quickly, lest I take aught from you." — And thus they parted from each other, the old man and the man like two boys laughing.
When Zarathustra was alone, however, he spake thus unto his heart : "Can it actually be possible ! This old saint in his forest hath not yet heard aught of God being dead !"—"
NIETZCHE, Friedrich. Nietzsche’s Werke. Erste Abtheilung. Band VIII. Der Fall Wagner. Götzen Dämmerung. Nietzsche contra Wagner. Der Will zu Macht (I. Buch : Der Antichrist). Dichtungen. Leipzig : Druck und Verlag von C. G. Naumann, 1899. 469 p.
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NIETZCHE, Frédéric. Le Crépuscule des Idoles. Le Cas Wagner. Nietzsche contre Wagner. L’Antéchrist. Traduit par Henri Albert. Septième édition. Paris : Société du Mercure de France, 1908. 358 p. (Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche publiées sous la direction de Henri Albert).
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Extrait de « Le Cas Wagner — Un Problème musical », p. 9-10 (les quatre premiers paragraphes de l’Avant-propos) :
« Je vais m’alléger un peu. Ce n’est pas par pure méchanceté que, dans cet écrit, je loue Bizet aux dépens de Wagner. J’avance, au milieu de beaucoup de plaisanteries, une chose avec quoi il n’y a pas à plaisanter. Tourner le dos à Wagner, ce fut une fatalité pour moi ; aimer quelque chose ensuite, une victoire. Personne n’a peut-être été mêlé à la « wagnérie » plus dangereusement que moi ; personne ne s’est défendu plus âprement contre elle ; personne ne s’est plus réjoui de lui échapper. C’est une longue histoire ! — Veut-on un mot pour la caractériser ? — Si j’étais moraliste, qui sait comment je l’appellerais ! Peut-être victoire sur soi-même. — Mais le philosophe n’aime pas les moralistes… il n’aime pas davantage les grands mots…
« Quelle est la première et la dernière exigence d’un philosophe vis-à-vis de lui-même ? Vaincre son temps et se mettre « en dehors du temps ». Avec qui devra-t-il donc soutenir le plus rude combat ? Avec ce par quoi il est l’enfant de son temps. Or çà ! je suis aussi bien que Wagner l’enfant de cette époque-ci, je veux dire un décadent : avec cette différence que je m’en suis rendu compte et que je me suis mis en état de défense. Le philosophe en moi protestait contre le décadent.
« Ce qui m’a le plus occupé, c’est, en vérité, le problème de la décadence,—j’ai eu mes raisons pour cela. La question du « bien » et du « mal » n’est qu’une variété de ce problème. Si l’on a vu clair sur les symptômes de la décadence on comprendra aussi l’essence de la morale, — on comprendra ce qui se cache sous ses noms les plus sacres et ses formules d’évaluation les plus saintes : la vie appauvrie, la volonté de périr, la grande lassitude. La morale est la négation de la vie… Pour accomplir une pareille tâche une discipline personnelle m’était nécessaire : — prendre parti contre tout ce qu’il y a de malade en moi, y compris Wagner, y compris Schopenhauer, y compris toute 1’« humanité » moderne. — Alors j’éprouvai un profond éloignement, un refroidissement et un désenchantement à l’égard de tout ce qui est temporel et de notre époque, et mon plus haut désir devint le regard de Zarathoustra, un regard qui embrasse d’une distance infinie le phénomène « homme », — et qui le voit au-dessous de lui… Un but pareil ! — quel sacrifice ne mériterait-il pas ? quelle « victoire sur soi-même » ? quelle « négation de soi » ?
« Le plus grand événement de ma vie fut une « guérison ». Wagner n’appartient qu’à mes maladies. »
Extrait de « Nietzsche contre Wagner — Pièces justificatives d’un psychologue » p. 90-91 :
« Déjà durant l’été de 1876, en pleine période des premières Fêtes de Bayreuth, je pris congé de Wagner. Je ne supporte rien d’équivoque ; depuis que Wagner était en Allemagne pas à pas il condescendait à tout ce que je méprise — même à l’antisémitisme… En effet, il était alors grand temps de prendre congé : j’en eus aussitôt la preuve. Richard Wagner, le plus victorieux en apparence, en réalité un décadent, caduc et désespéré, s’effondra soudain, irrémédiablement anéanti devant la sainte croix… Aucun Allemand n’avait-il donc alors d’yeux pour voir, de pitié dans la conscience, pour déplorer cet horrible spectacle ? Ai-je donc été le seul qu’il ait fait — souffrir ? — N’importe, l’événement inattendu me jeta une lumière soudaine sur l’endroit que je venais de quitter, — et me donna aussi ce frisson de terreur que l’on ressent après avoir couru inconsciemment un immense danger. Lorsque je continuai seul ma route je me mis à trembler. Peu de temps après je fus malade, plus que malade, fatigué, — fatigué par la continuelle désillusion au sujet de tout ce qui nous enthousiasmait encore, nous autres hommes modernes ; de la force, du travail, de l’esperance, de la jeunesse, de l’amour inutilement prodigués partout ; fatigué par dégoût de toute cette menterie idéaliste et de cet amollissement de la conscience, qui de nouveau l’avaient emporte sur l’un des plus braves ; fatigué enfin, et ce ne fut pas ma moindre fatigue, par la tristesse d’un impitoyable soupçon — je pressentais que j’allais être condamné désormais à me défier plus encore, à mépriser plus profondément, à être plus absolument seul que jamais. Car je n’avais eu personne que Richard Wagner… Je fus toujours condamné à des Allemands… »
EXTRAITS de : « Le Crépuscule des idoles »…
Extrait n°1 — p. 118-124 (« Le Crépuscule des idoles » ; extrait du chapitre intitulé « Le Problème de Socrate ») :
« 3.
« Socrate appartenait, de par son origine, au plus bas peuple : Socrate était de la populace. On sait, on voit même encore combien il était laid. Mais la laideur, objection en soi, est presque une réfutation chez les Grecs. En fin de compte Socrate était-il un Grec ? La laideur est assez souvent l’expression d’une évolution croisée, entravée par le croisement. Autrement elle apparaît comme le signe d’une évolution descendante. Les anthropologistes qui s’occupent de criminologie nous disent que le criminel-type est laid : monstrum in fronte, monstrum in animo. Mais le criminel est un décadent. Socrate était-il un criminel — type ? — Du moins cela ne serait pas contredit par ce fameux jugement physionomique qui choquait tous les amis de Socrate. En passant par Athènes, un étranger qui se connaissait en physionomie dit, en pleine figure, a Socrate qu’il était un monstre, qu’il cachait en lui tous les mauvais vices et désirs. Et Socrate répondit simplement : « Vous me connaissez, monsieur ! » —
« 4.
« Les dérèglements qu’il avoue et l’anarchie dans les instincts ne sont pas les seuls indices de la décadence chez Socrate : c’en est un indice aussi que la superfétation du logique et cette méchanceté de rachitique qui le distingue. N’oublions pas non plus ces hallucinations de l’ouïe qui sous le nom de « démon de Socrate » ont reçu une interprétation religieuse. Tout en lui est exagéré, bouffon, caricatural ; tout est, en même temps, plein de cachettes, arrière-pensées, de souterrains. — Je tache de comprendre de quelle idiosyncrasie a pu naître cette équation socratique : raison = vertu = bonheur : cette équation la plus bizarre qu’il y ait, et qui a contre elle, en particulier, tous les instincts des anciens Hellènes.
« 5.
« Avec Socrate le goût grec s’altère en faveur de la dialectique : que se passe-t-il exactement ? Avant tout c’est un goût distingué qui est vaincu ; avec la dialectique le peuple arrive à avoir le dessus. Avant Socrate on écartait dans la bonne société les manières dialectiques : on les tenait pour de mauvaises manières, elles étaient compromettantes. On en détournait la jeunesse. Aussi se méfiait-on de tous ceux qui présentent leurs raisons de telle manière. Les choses honnêtes comme les honnêtes gens ne servent pas ainsi leurs principes avec les mains. Il est d’ailleurs indécent de se servir de ses cinq doigts. Ce qui a besoin d’être démontré pour être cru, ne vaut pas grand chose. Partout ou l’autorité est encore de bon ton, partout ou l’on ne « raisonne » pas, mais ou l’on commande, le dialecticien est une sorte de polichinelle : on se rit de lui, on ne le prend pas au sérieux. — Socrate fut le polichinelle qui se fit prendre au sérieux : qu’arriva-t-il là au juste ? —
« 6.
« On ne choisit la dialectique que lorsque l’on n’a pas d’autre moyen. On sait qu’avec elle on éveille la défiance, qu’elle persuade peu. Rien n’est plus facile à effacer qu’un effet de dialecticien : la pratique de ces réunions ou l’on parle le démontre. Ce n’est qu’à leur corps défendant que ceux qui n’ont plus d’autre arme emploient la dialectique. Il faut qu’on ait à arracher son droit, autrement on ne s’en sert pas. C’est pourquoi les juifs étaient des dialecticiens ; Maître Renard l’était : comment ? Socrate, lui aussi, l’a-t-il été ? —
« 7.
« — L’ironie de Socrate était-elle une expression de révolte ? de ressentiment populaire ? Savoure-t-il, en opprimé, sa propre férocité, dans le coup de couteau du syllogisme ? se venge-t-il des grands qu’il fascine ? — Comme dialecticien on a en main un instrument sans pitié ; on peut avec lui faire le tyran ; on compromet en remportant la victoire. Le dialecticien laisse à son antagoniste le soin de faire la preuve qu’il n’est pas un idiot ; il rend furieux et en même temps il prive de tout secours. Le dialecticien dégrade l’intelligence de son antagoniste. Quoi ? la dialectique n’est-elle qu’une forme de la vengeance chez Socrate ?
« 8.
« J’ai donné à entendre comment Socrate a pu éloigner : il reste d’autant plus à expliquer comment il a pu fasciner. — En voilà la première raison : il a découvert une nouvelle espèce de combat, il fut le premier maître d’armes pour les hautes sphères d’Athènes. Il fascinait en touchant à l’instinct combatif des Hellènes, — il a apporté une variante dans la palestre entre les hommes jeunes et les jeunes gens. Socrate était aussi un grand érotique.
« 9.
« Mais Socrate devina autre chose encore. Il pénétrait les sentiments de ses nobles Athéniens ; il comprenait que son cas, l’idiosyncrasie de son cas n’était déjà plus un cas exceptionnel. La même sorte de dégénérescence se préparait partout en secret : les Athéniens de la vieille roche s’éteignaient. — Et Socrate comprenait que tout le monde avait besoin de lui, de son remède, de sa cure, de sa méthode personnelle de conservation de soi… Partout les instincts étaient en anarchie ; partout on était à deux pas de l’excès : le monstrum in animo était le péril universel. « Les instincts veulent jouer au tyran : il faut inventer un contre-tyran qui l’emporte »… Lorsque le physionomiste eut dévoilé à Socrate ce qu’il était, un repaire de tous les mauvais désirs, le grand ironiste hasarda encore une parole qui donne la clef de sa nature. « Cela est vrai, dit-il, mais je me suis rendu maître de tous. » Comment Socrate se rendit-il maître de lui-même ?— Son cas n’était au fond que le cas extrême, celui qui sautait aux yeux dans ce qui commençait alors à être la détresse universelle : que personne n’était plus maître de soi-même, que les instincts se tournaient les uns contre les autres. Il fascinait lui-même étant ce cas extrême — sa laideur épouvantable le désignait à tous les yeux : il fascinait, cela va de soi, encore plus comme réponse, comme solution, comme l’apparence de la cure nécessaire dans ce cas. —
« 10.
« Lorsqu’on est forcé de faire de la raison un tyran, comme fit Socrate, on risque fort de voir quelque chose d’autre faire le tyran. C’est alors qu’on devina la raison libératrice ; ni Socrate, ni ses « malades » n’étaient libres d’être raisonnables,— ce fut de rigueur, ce fut leur dernier remède. Le fanatisme que met la réflexion grecque toute entière a se jetter sur la raison, trahit une détresse ; on était en danger, on n’avait que le choix : ou couler a fond, ou être absurdement raisonnable… Le moralisme des philosophes grecs depuis Platon est déterminé pathologiquement ; de même leur appréciation de la dialectique. Raison = vertu = bonheur, cela veut seulement dire : il faut imiter Socrate et établir contre les appétits obscurs une lumière du jour en permanence — un jour qui serait la lumière de la raison. Il faut être à tout prix prudent, précis, clair : toute concession aux instincts et à l’inconscient ne fait qu’abaisser…
« 11.
« J’ai donné à entendre de quelle façon Socrate fascine : il semblait être un médecin, un sauveur. Est-il nécessaire de montrer encore l’erreur qui se trouvait dans sa croyance en la « raison a tout prix ? » — C’est une duperie de soi de la part des philosophes et des moralistes que de s’imaginer sortir de la décadence en lui faisant la guerre. Y échapper est hors de leur pouvoir : ce qu’ils choisissent comme remède, comme moyen de salut, n’est qu’une autre expression de la décadence — ils ne font qu’en changer l’expression, ils ne la suppriment point. Le cas de Socrate fut un malentendu ; toute la morale de perfectionnement, y compris la morale chrétienne, fut un malentendu… La plus vive lumière, la raison à tout prix, la vie claire, froide, prudente, consciente, dépourvue d’instincts, en lutte contre les instincts ne fut elle-même qu’une maladie, une nouvelle maladie — et nullement un retour à la « vertu », à la « santé », au bonheur… Être forcé de lutter contre les instincts — c’est là la formule de la décadence : tant que la vie est ascendante, bonheur et instinct sont identiques. —
« 12.
« — A-t-il compris cela lui-même, lui qui a été le plus prudent de ceux qui se dupèrent eux-mêmes. Se l’est-il dit finalement, dans la sagesse de son courage vers la mort ?… Socrate voulait mourir : — ce ne fut pas Athènes, ce fut lui-même qui se donna la ciguë, il forca Athènes à la ciguë… « Socrate n’est pas un médecin, se dit-il tout bas : la mort seule est ici médecin… Socrate seulement fut longtemps malade… »
Extrait n°2 — p. 156-161 (« Le Crépuscule des idoles » ; totalité du chapitre intitulé « Ceux qui veulent rendre l’humanité « meilleure » ») :
« 1.
« On sait ce que j’exige du philosophe : de se placer par delà le bien et le mal, — de placer au-dessous de lui l’illusion du jugement moral. Cette exigence est le résultat d’un examen que j’ai formule pour la première fois : je suis arrivé a la conclusion qu’il n’y a pas du tout de faits moraux. Le jugement moral a cela en commun avec le jugement religieux de croire à des réalités qui n’en sont pas. La morale n’est qu’une interprétation de certains phénomènes, mais une fausse interprétation. Le jugement moral appartient, tout comme le jugement religieux, à un degré de l’ignorance, ou la notion de la réalité, la distinction entre le réel et l’imaginaire n’existent même pas encore : en sorte que, sur un pareil degré la « vérité » ne fait que designer des choses que nous appelons aujourd’hui « imagination ». Voilà pourquoi le jugement moral ne doit jamais être pris a la lettre : comme tel il ne serait toujours que contresens. Mais comme sémiotique il reste inappréciable : il révèle, du moins pour celui qui sait, les réalités les plus précieuses sur les cultures et les génies intérieurs qui ne savaient pas assez pour se « comprendre » eux-mêmes. La morale n’est que le langage des signes, une symptomatologie : il faut déjà savoir de quoi il s’agit pour pouvoir en tirer profit.
« 2.
« Voici, tout à fait provisoirement, un premier exemple. De tout temps on a voulu « améliorer » les hommes : c’est cela, avant tout, qui s’est appelé morale. Mais sous ce même mot « morale » se cachent les tendances les plus différentes. La domestication de la bête humaine, tout aussi bien que l’élevage d’une espèce d’hommes déterminée, est une « amélioration » : ces termes zoologiques expriment seuls des réalités, — mais ce sont la des réalités dont l’« améliorateur »-type, le prêtre ne sait rien en effet, — dont il ne veut rien savoir… Appeler « amélioration » la domestication d’un animal, c’est là, pour notre oreille, presque une plaisanterie. Qui sait ce qui arrive dans les ménageries, mais je doute bien que la bête y soit « améliorée ». On l’affaiblit, on la rend moins dangereuse, parle sentiment dépressif de la crainte, par la douleur et les blessures on en fait la bête malade. — Il n’en est pas autrement de l’homme apprivoise que le prêtre a rendu « meilleur ». Dans les premiers temps du Moyen-âge, ou l’Église était avant tout une ménagerie, on faisait partout la chasse aux beaux exemplaires de la « bête blonde », — on « améliorait » par exemple les nobles Germains. Mais quel était après cela l’aspect d’un de ces Germains rendu « meilleur » et attiré dans un couvent ? Il avait l’air d’une caricature de l’homme, d’un avorton : on en avait fait un « pécheur », il était en cage, on l’avait enfermé au milieu des idées les plus épouvantables… Couché là, malade, misérable, il s’en voulait maintenant à lui-même ; il était plein de haine contre les instincts de vie, plein de méfiance envers tout ce qui était encore fort et heureux. En un mot, il était « chrétien »… Pour parler physiologiquement : dans la lutte avec la bête, rendre malade est peut-être le seul moyen d’affaiblir. C’est ce que l’Église a compris : elle a perverti l’homme, elle l’a affaibli, — mais elle a revendiqué l’avantage de l’avoir rendu « meilleur ».
« 3.
« Prenons l’autre cas de ce que l’on appelle la morale, le cas de l’élevage d’une certaine espèce. L’exemple le plus grandiose en est donné par la morale indoue, par la « loi de Manou » qui reçoit la sanction d’une religion. Ici l’on se pose le problème de ne pas élever moins de quatre races à la fois. Une race sacerdotale, une race guerrière, une race de marchands et d’agriculteurs, et enfin une race de serviteurs, les Soudra. Il est visible que nous ne sommes plus ici au milieu de dompteurs d’animaux : une espèce d’hommes cent fois plus douce et plus raisonnable est la condition première pour arriver à concevoir le plan d’un pareil élevage. On respire plus librement lorsque l’on passe de l’atmosphère chrétienne, atmosphère d’hôpital et de prison, dans ce monde plus sain, plus haut et plus large. Comme le Nouveau Testament est pauvre à coté de Manou, comme il sent mauvais ! — Mais cette organisation, elle aussi, avait besoin d’être terrible, — non pas, cette fois-ci, dans la lutte avec la bête, mais avec l’idée contraire de la bête, avec l’homme qui ne se laisse pas élever, l’homme du mélange incohérent, le Tchândâla. Et encore elle n’a pas trouvé d’autre moyen pour le désarmer et pour l’affaiblir, que de le rendre malade, — c’était la lutte avec le « plus grand nombre ». Peut-être n’y a-t-il rien qui soit aussi contraire à notre sentiment que cette mesure de sûreté de la morale indoue. Le troisième édit par exemple (Avadana-Sastra I), celui des « légumes impurs », ordonne que la seule nourriture permise aux Tchândâla soit l’ail et l’oignon, attendu que la Sainte Écriture défend de leur donner du blé ou des fruits qui portent des graines, et qu’elle les prive d’eau et de feu. Le même édit déclare que l’eau dont ils ont besoin ne peut être prise ni des fleuves ni des sources, ni des étangs, mais seulement aux abords des marécages et des trous laissés dans le sol par l’empreinte des pieds d’animaux. De même il leur est interdit de laver leur linge, et de se laver eux-mêmes, parce que l’eau qui leur est accordée par grâce ne peut servir qu’à étancher leur soif. Enfin il existait encore une défense aux femmes Soudra, d’assister les femmes Tchândâla en mal d’enfant, et, pour ces dernières, de s’assister mutuellement… — Le résultat d’une pareille police sanitaire ne devait pas manquer de se manifester : épidémies meurtrières, maladies sexuelles épouvantables, et, comme résultat, derechef la « loi du couteau », ordonnant la circoncision pour les enfants mâles, et l’ablation des petites lèvres pour les enfants femelles. — Manou lui-même disait : « Les Tchândâla sont le fruit de l’adultère, de l’inceste et du crime (— c’est là la conséquence nécessaire de l’idée d’élevage). Ils ne doivent avoir pour vêtements que les lambeaux enlevés aux cadavres, pour vaisselle des tessons, pour parure de vieille ferraille, et les mauvais esprits pour objets de leur culte ; ils doivent errer d’un lieu à l’autre, sans repos. Il leur est défendu d’écrire de gauche à droite et de se servir de la main droite pour écrire, l’usage de la main droite et de l’écriture de gauche à droite étant réservé aux gens de vertu, aux gens de race. » —
« 4.
« Ces prescriptions sont assez instructives : nous voyons en elles l’humanité arienne absolument pure, absolument primitive, — nous voyons que l’idée de « pur sang » est le contraire d’une idée inoffensive. D’autre part on aperçoit clairement dans quel peuple elle est devenue religion, elle est devenue génie… Considérés à ce point de vue, les Évangiles, sont un document de premier ordre, et plus encore le livre d’Enoch. — Le christianisme, né de racines judaïques, intelligible seulement comme une plante de ce sol, représente le mouvement d’opposition contre toute morale d’élevage, de la race et du privilège : — il est la religion antiarienne par excellence : le christianisme, la transmutation de toutes les valeurs ariennes, la victoire des évaluations des Tchândâla, l’évangile des pauvres et des humbles proclamé, l’insurrection générale de tous les opprimés, des misérables, des ratés, des déshérités, leur insurrection contre la « race », — l’immortelle vengeance des Tchândâla devenue religion de l’amour…
« 5.
« La morale de l’élevage et la morale de la domestication se valent absolument par les moyens dont elles se servent pour arriver à leurs fins : nous pouvons établir comme règle première que pour faire de la morale il faut absolument avoir la volonté du contraire. C’est là le grand, l’inquiétant problème que j’ai poursuivi le plus longtemps : la psychologie de ceux qui veulent rendre l’humanité « meilleure ». Un petit fait assez modeste au fond, celui de la pia fraus, m’ouvrit le premier accès a ce problème : la pia fraus fut l’héritage de tous les philosophes, de tous les prêtres qui voulurent rendre l’humanité « meilleure ». Ni Manou, ni Platon, ni Confucius, ni les maîtres juifs et chrétiens n’ont jamais douté de leur droit au mensonge. Ils n’ont pas douté de bien d’autres droits encore… Si l’on voulait s’exprimer en formule, on pourrait dire : tous les moyens par lesquels jusqu’à présent l’humanité devrait être rendue plus morale étaient foncièrement immoraux. — »
Extrait n°3 — p. 228-230 (« Le Crépuscule des idoles » ; intégralité du chapitre intitulé « Ce que je dois aux Anciens ») :
« 1.
« Pour finir, encore un mot sur ce monde vers lequel j’ai cherché des accès, vers lequel j’ai peut-être trouvé un nouvel accès — le monde antique. Mon goût, qui est peut-être l’opposé du goût tolérant, est bien éloigné là aussi d’approuver en bloc : d’une façon générale il n’aime pas à approuver, il préfère contredire, et même nier complètement… Cela est vrai pour des civilisations entières, cela est vrai pour certains livres, — cela est vrai aussi pour des cités et des paysages. Au fond il n’y a qu’un tout petit nombre de livres antiques qui aient compté dans ma vie ; les plus célèbres n’en font pas partie. Mon sens du style, de l’épigramme dans le style, s’est éveillé presque spontanément à mon contact avec Salluste. Je n’ai pas oublié l’étonnement de mon vénéré professeur, M. Corssen, lorsqu’il fut forcé de donner la meilleure note à son plus mauvais latiniste — j’avais tout appris d’un seul coup. Serré, sévère, avec au fond autant de substance que possible, une froide méchanceté à l’égard de la « belle parole » et aussi à l’égard du « beau sentiment » — c’est à toutes ces qualités que je me suis deviné. On recon naîtra jusque dans mon Zarathoustra une ambition très sérieuse de style romain, d'« aere perennius » dans le style. — Il n’en a pas été autrement de mon premier contact avec Horace. Jusqu’à présent aucun poète ne m’a procuré le même ravissement artistique que celui que j’ai éprouvé dès l’abord à la lecture d’une ode d’Horace. Dans certaines langues il n’est même pas possible de vouloir ce qui est réalisé ici. Cette mosaïque de mots, où chaque mot par son timbre, sa place dans la phrase, l’idée qu’il exprime, fait rayonner sa force à droite, à gauche et sur l’ensemble, ce minimum dans la somme et le nombre des signes et ce maximum que l’on atteint ainsi dans l’énergie des signes — tout cela est romain, et, si l’on veut m’en croire, noble par excellence. Tout le reste de la poésie devient, à côté de cela, quelque chose de populaire, — un simple bavardage de sentiments…
« 2.
« Aux Grecs je ne dois absolument pas d’impression d’une force approchante ; et, pour le dire franchement, ils ne peuvent pas être pour nous ce que sont les Romains. On n’apprend pas des Grecs — leur genre est trop étrange, et aussi trop mobile pour faire un effet impératif, « classique ». Qui est-ce qui aurait jamais appris à écrire avec un Grec !… Qui donc aurait su l’apprendre sans les Romains ! Que l’on ne prétende pas m’objecter Platon. Pour ce qui en est de Platon je suis profondément sceptique et je fus toujours hors d’état de faire chorus dans l’admiration de l’artiste Platon qui est de tradition parmi les savants. Et ici les juges du goût le plus raffiné parmi les anciens sont de mon côté. Il me semble que Platon jette pêle-mêle toutes les formes du style : par là il est le premier décadent du style : il est coupable de fautes semblables à celles des cyniques qui inventèrent la Satire Mênippée. Pour trouver un charme au dialogue de Platon, cette façon de dialectique horriblement suffisante et enfantine, il faut ne jamais avoir lu de bon français, — Fontenelle par exemple. Platon est ennuyeux. — Enfin ma méfiance de Platon va toujours plus au fond : je trouve qu’il a dévié de tous les instincts fondamentaux des Hellènes, je le trouve si imprégné de morale, si chrétien avant la lettre — il donna déjà l’idée du « bien » comme idée supérieure — que je suis tenté d’employer à l’égard de tout le phénomène Platon, plutôt que toute autre épithète, celle de « haute fumisterie » ou, si l’on préfère, d’idéalisme. — On l’a payé cher d’avoir vu cet Athénien aller à l’école chez les Égyptiens (— ou peut-être chez les Juifs en Égypte ?…). Dans la grande fatalité du christianisme, Platon est cette fascination à double sens appelée « idéal » qui permit aux natures nobles de l’antiquité de se méprendre elles-mêmes et d’aborder le pont qui mène à la « croix »… Et combien il y a-t-il encore de traces de Platon dans l’idée de 1’« Église », dans l’édification, le système, la pratique de l’Église ! — Mon repos, ma préférence, ma cure, après tout le platonisme, fut de tout temps Thucydide. Thucydide et peut-être le Prince de Machiavel me ressemblent le plus par la volonté absolue de ne pas s’en faire accroire et de voir la raison dans la réalité, — et non dans la « raison », encore moins dans la « morale »… Rien ne guérit plus radicalement que Thucydide du lamentable enjolivement, sous couleur d’idéal, que le jeune homme à « éducation classique » emporte dans la vie en récompense de l’application au lycée. Il faut le suivre ligne par ligne et lire ses arrière-pensées avec autant d’attention que ses phrases : il y a peu de penseurs si riches en arrière-pensées. En lui la culture des Sophistes, je veux dire la culture des réalistes, atteint son expression la plus complète : un mouvement inappréciable, au milieu de la charlatanerie morale et idéale de l’école socratique qui se déchaînait alors de tous les côtés. La philosophie grecque est la décadence de l’instinct grec ; Thucy dide est la grande somme, la dernière révélation de cet esprit des réalités fort, sévère et dur que les anciens Hellènes avaient dans l’instinct. Le courage devant la réalité distingue en dernière instance des natures comme Thucydide et Platon : Platon est lâche devant la réalité, — par conséquent il se réfugie dans l’idéal ; Thucydide est maître de soi, donc il est aussi maître des choses…
« 3.
« Flairer dans les Grecs de « belles âmes », des « pondérances dorées » et d’autres perfections, admirer par exemple chez eux le calme dans la grandeur, le sentiment idéal — j’ai été gardé de cette « haute naïveté », une niaiserie allemande en fin de compte, par le psychologue que je portais en moi. Je vis leur instinct le plus violent, la volonté de puissance, je les vis trembler devant la force effrénée de cette impulsion, — je vis naître toutes leurs institutions de mesures de précautions pour se garantir réciproquement des matières explosives qu’ils avaient en eux. L’énorme tension intérieure se déchargeait alors en haines terribles et implacables au dehors » les villes se déchiraient réciproquement pour que leurs citoyens trouvent individuellement le repos devant eux-mêmes. On avait besoin d’être fort : le danger était toujours proche, — il guettait partout. Les corps superbes et souples, le réalisme et l’immoralisme intrépides qui étaient le propre des Hellènes leur venaient de la nécessité et ne leur étaient pas « naturels ». C’était une conséquence et non pas quelque chose qui leur venait d’origine. Les fêtes et les arts ne servaient aussi qu’à produire un sentiment de supériorité, à montrer la supériorité : ce sont là des moyens de glorification de soi, ou même des moyens de faire peur. Juger les Grecs à l’allemande, d’après leurs philosophes, se servir de la lourde honnêteté de l’école socratique pour trouver une explication de la nature des Grecs !… Comme si les philosophes n’étaient pas les décadents de l’hellénisme, le mouvement d’opposition contre l’ancien goût noble (— contre l’instinct agonal, contre la Polis, contre la valeur de la race, contre l’autorité de la tradition). Les vertus socratiques furent prêchées parce que les Grecs les avaient perdues : irritables, craintifs, inconstants, tous comédiens, ils avaient quelques raisons de trop de se laisser prêcher la morale. Non pas que cela aurait pu servir à quelque chose : mais les grands mots et les attitudes vont si bien aux décadents…
« 4.
« Je fus le premier qui, pour la compréhension de cet ancien instinct hellénique riche encore et même débordant, ai pris au sérieux ce merveilleux phénomène qui porte le nom de Dionysos : il n’est explicable que par un excédent de force. Celui qui a étudié les Grecs, comme ce profond connaisseur de leur culture, le plus profond de tous, Jacob Burckhardt à Bâle, a su de suite l’importance que cela avait : Burckhardt a intercalé dans sa Culture des Grecs un chapitre spécial sur ce phénomène. Si l’on veut se rendre compte de l’opposé il suffira de voir la pauvreté d’instinct presque réjouissante chez le philologue allemand quand il s’approche de l’idée dionysienne. Le célèbre Lobeck surtout, avec la vénérable certitude d’un ver desséché parmi les livres, se mit à ramper dans ce monde d’états mystérieux, pour se convaincre qu’il était scientifique, alors qu’il était superficiel et enfantin jusqu’au dégoût, — Lobeck a donné à entendre, à grand renfort d’érudition, qu’au fond toutes ces curiosités étaient de mince importance. Il est en effet possible que les prêtres aient communiqué, à ceux qui participaient à ces orgies, quelques idées qui ne sont pas sans valeur : par exemple que le vin incite à la joie, que l’homme peut vivre parfois de fruits, que les plantes fleurissent au printemps et se fanent en automne. Pour ce qui en est de cette richesse étrange de rites, de symboles, de mythes d’origine orgiaque dont le monde antique pullule littéralement, Lobeck n’y trouve que prétexte à être plus spirituel encore d’un degré. « Les Grecs, dit-il (Aglaophamus, I. 672), lorsqu’ils n’avaient pas autre chose à faire, se mettaient à rire, à sauter et à trôler, ou bien, parce que l’envie peut également en venir à l’homme, ils se mettaient par terre à pleurer et à se lamenter. D’autres s’approchaient alors d’eux pour trouver une raison quelconque à ces allures surprenantes ; et ainsi se formèrent, pour expliquer ces usages, d’innombrables légendes, des fêtes et des mythes. D’autre part on croyait ces actions burlesques que l’on avait pris l’habitude de pratiquer aux fêtes nécessaires à leur célébration et on les maintint comme une partie indispensable du culte. » — Voilà un bavardage méprisable et je suis certain que pas un instant on ne prendra un Lobeck au sérieux. Nous sommes bien autrement touchés quand nous examinons l’idée « grecque » que s’étaient formée Winckelmann et Gœthe et que nous reconnaissons son incompatibilité avec cet élément d’où naît l’art dionysien — avec l’orgiasme. Je suis en effet certain que Gœthe aurait exclu, par principe, une idée analogue des possibilités de l’âme grecque. Par conséquent Gœthe ne comprenait pas les Grecs. Car ce n’est que par les mystères dionysiens, par la psychologie de l’état dionysien que s’exprime la réalité fondamentale de l’instinct hellénique — sa « volonté de vie ». Qu’est-ce que l’Hellène se garantissait par ces mystères ? La vie éternelle, l’éternel retour de la vie ; l’avenir promis et sanctifié dans le passé ; l’affirmation triomphante de la vie au-dessus de la mort et du changement ; la vie véritable comme prolongement collectif par la procréation, par les mystères de la sexualité. C’est pourquoi le symbole sexuel était pour les Grecs le symbole vénérable par excellence, le véritable sens profond dans toute la piété antique. Toutes les particularités de l’acte de la génération, de la grossesse, de la naissance éveillent les sentiments les plus élevés et les plus solennels. Dans la science des mystères la douleur est sanctifiée : le « travail d’enfantement » rendait la douleur sacrée, — tout ce qui est devenir et croissance, tout ce qui garantit l’avenir nécessite la douleur… Pour qu’il y ait la joie éternelle de la création pour que la volonté de vie s’affirme éternellement par elle-même il faut aussi qu’il y ait les « douleurs de l’enfantement »… Le mot Dionysos signifie tout cela : je ne connais pas de symbolisme plus élevé que ce symbolisme grec, celui des fêtes dionysiennes. Par lui le plus profond instinct de la vie, celui de la vie à venir, de la vie éternelle est traduit d’une façon religieuse, — la voie même de la vie, la procréation, comme la voie sacrée… Ce n’est que le christianisme, avec son fond de ressentiment contre la vie, qui a fait de la sexualité quelque chose d’impur : il jette de la boue sur le commencement, sur la condition première de notre vie…
« 5.
« La psychologie de l’orgiasme comme d’un sentiment de vie et de force débordante, dans les limites duquel la douleur même agit comme stimulant, m’a donné la clef pour l’idée du sentiment tragique, qui a été méconnu tant par Aristote que par nos pessimistes. La tragédie est si éloignée de démontrer quelque chose pour les pessimistes des Hellènes au sens de Schopenhauer qu’elle pourrait plutôt être considérée comme sa réfutation définitive, comme son jugement. L’affirmation de la vie, même dans ses problèmes les plus étranges et les plus ardus ; la volonté de vie, se réjouissant dans le sacrifice de ses types les plus élevés, à son propre caractère inépuisable — c’est ce que j’ai appelé dionysien, c’est en cela que j’ai cru reconnaître le fil conducteur vers la psychologie du poète tragique. Non pour se débarrasser de la crainte et de la pitié, non pour se purifier d’une passion dangereuse par sa décharge véhémente — c’est ainsi que l’a entendu Aristote, mais pour personnifier soi-même, au-dessus de la crainte et de la pitié, l’éternelle joie du devenir, — cette joie qui porte encore en elle la joie de l'anéantissement… Et par là je touche de nouveau l’endroit d’où je suis parti jadis. — L’Origine de la Tragédie fut ma première transmutation de toutes les valeurs : par là je me replace sur le terrain d’où grandit mon vouloir, mon savoir — moi le dernier disciple du philosophe Dionysos, — moi le maître de l’éternel retour… »
EXTRAITS de « L’Antéchrist »…
Extrait n°1 — p. 241-242 (« L’Antéchrist » ; intégralité de l’« Avant-propos ») :
« AVANT-PROPOS
« Ce livre appartient au plus petit nombre. Peut-être n’a-t-il pas encore trouvé son public.
« Tout au plus me liront ceux qui comprennent mon Zarathoustra. Comment oserais-je me confondre avec ceux pour qui, aujourd’hui déjà, on a des oreilles ? — Après-demain seulement m’appartiendra. Quelques-uns naissent posthumes.
« Je connais trop bien les conditions qu’il faut réaliser pour me comprendre, qui me font comprendre nécessairement. Il faut être intègre dans les choses de l’esprit, intègre jusqu’à la dureté pour pouvoir seulement supporter mon sérieux et ma passion. Il faut être habitué à vivre sur des montagnes, — à voir au-dessous de soi le pitoyable bavardage de la politique du jour et de l’égoïsme des peuples. Il faut que l’on soit devenu indifférent, il ne faut jamais demander si la vérité est utile, si elle peut devenir pour quelqu’un une destinée… Une prédilection des forts pour des questions que personne aujourd’hui n’a plus le courage d’élucider ; le courage du fruit défendu ; la prédestination du labyrinthe. Une expérience de sept solitudes. Des oreilles nouvelles pour une musique nouvelle. Des yeux nouveaux pour les choses les plus lointaines. Une conscience nouvelle pour des vérités restées muettes jusqu’ici. Et la volonté de l’économie de grand style : rassembler sa force, son enthousiasme… Le respect de soi-même ; l’amour de soi ; l’absolue liberté envers soi-même…
« Eh bien ! Ceux-là seuls sont mes lecteurs, mes véritables lecteurs, mes lecteurs prédestinés : qu’importe le reste ? — Le reste n’est que l’humanité. — Il faut être supérieur à l’humanité en force, en hauteur d’âme, — en mépris… »
Extrait n°2 — p. 245-249 (« L’Antéchrist » ; sections 4 à 7) :
« 4.
« L’humanité ne représente pas un développement vers le mieux, vers quelque chose de plus fort, de plus haut, ainsi qu’on le pense aujourd’hui. Le « progrès » n’est qu’une idée moderne, c’est-à-dire une idée fausse. Dans sa valeur l’Européen d’aujourd’hui reste bien loin au-dessous de l’Européen de la Renaissance. Se développer ne signifie absolument pas nécessairement s’élever, se surhausser, se fortifier.
« Par contre, il existe une continuelle réussite de cas isolés, sur différents points de la terre, au milieu des civilisations les plus différentes. Ces cas permettent, en effet, d’imaginer un type supérieur, quelque chose qui, par rapport à l’humanité tout entière, constitue une espèce d’hommes surhumains. De tels coups de hasard de la grande réussite, furent toujours possibles et le seront peut-être toujours. Et même des races tout entières, des tribus, des peuples peuvent, dans des circonstances particulières, représenter de pareils coups heureux.
« 5.
« Il ne faut vouloir ni enjoliver ni excuser le christianisme : il a mené une guerre à mort contre ce type supérieur de l’homme, il a mis au ban tous les instincts fondamentaux de ce type, il a distillé de ces instincts le mal, le méchant : — l’homme fort, type du réprouvé. Le christianisme a pris parti pour tout ce qui est faible, bas, manqué, il a fait un idéal de l'opposition envers les instincts de conservation de la vie forte, il a gâté même la raison des natures les plus intellectuellement fortes en enseignant que les valeurs supérieures de l’intellectualité ne sont que péchés, égarements et tentations. Le plus lamentable exemple, c’est la corruption de Pascal qui croyait à la perversion de sa raison par le péché originel, tandis qu’elle n’était pervertie que par son christianisme ! —
« 6.
« Un spectacle douloureux et épouvantable s’est élevé devant mes yeux : j’ai écarté le rideau de la corruption des hommes. Ce mot dans ma bouche est au moins à l’abri d’un soupçon, celui de contenir une accusation morale de l’homme. Je l’entends — il importe de le souligner encore une fois — dépourvu de moraline : et cela au point que je ressens cette corruption précisément aux endroits où, jusqu’à nos jours, on aspirait le plus consciencieusement à la « vertu », à la « nature divine ». J’entends corruption, on le devine déjà, au sens de décadence : je prétends que toutes les valeurs qui servent aujourd’hui aux hommes à résumer leurs plus hauts désirs sont des valeurs de décadence.
« J’appelle corrompu soit un animal, soit une espèce, soit un individu, quand il choisit et préfère ce qui lui est désavantageux. Une histoire des « sentiments les plus élevés », des « idéaux de l’humanité » — et il est possible qu’il me faille la raconter — donnerait presque l’explication, pourquoi l’homme est si corrompu. La vie elle-même est pour moi l’instinct de croissance, de durée, l’accumulation des forces, l’instinct de puissance : où la volonté de puissance fait défaut, il y a dégénérescence. Je prétends que cette volonté manque dans toutes les valeurs supérieures de l’humanité — que des valeurs de dégénérescence, des valeurs nihilistes, règnent sous les noms les plus sacrés.
« 7.
« On appelle le christianisme religion de la pitié — La pitié est en opposition avec les affections toniques qui élèvent l’énergie du sens vital : elle agit d’une façon dépressive. On perd de la force quand on compatit. Par la pitié s’augmente et se multiplie la déperdition de force que la souffrance déjà apporte à la vie. La souffrance elle-même devient contagieuse par la pitié ; dans certains cas, elle peut amener une déperdition totale de vitalité et d’énergie, perte absurde, quand on la compare à la petitesse de la cause (— le cas de la mort du Nazaréen). Voici le premier point de vue ; pourtant il en existe un plus important encore. En admettant que l’on mesure la pitié d’après la valeur des réactions qu’elle a coutume de faire naître, son caractère de danger vital apparaîtra plus clairement encore. La pitié entrave en somme la loi de l’évolution qui est celle de la sélection. Elle comprend ce qui est mûr pour la disparition, elle se défend en faveur des déshérités et des condamnés de la vie. Par le nombre et la variété des choses manquées qu’elle retient dans la vie, elle donne à la vie elle-même un aspect sombre et douteux. On a eu le courage d’appeler la pitié une vertu (— dans toute morale noble elle passe pour une faiblesse —) ; on est allé plus loin, on a fait d’elle la vertu, le terrain et l’origine de toutes les vertus. Mais il ne faut jamais oublier que c’était du point de vue d’une philosophie qui était nihiliste, qui inscrivait sur son bouclier la négation de la vie. Schopenhauer avait raison quand il disait : La vie est niée par la pitié, la pitié rend la vie encore plus digne d’être niée, — la pitié, c’est la pratique du nihilisme. Encore une fois : cet instinct dépressif et contagieux croise ces autres instincts qui veulent aboutir à conserver et à augmenter la valeur de la vie ; il est, tant comme multiplicateur que comme conservateur de toutes les misères, un des instruments principaux pour la surrection de la décadence, — la pitié persuade du néant !… On ne dit pas « le néant » ; on met en place « l’au-delà » ; ou bien « Dieu » ; ou « la vie véritable » ; ou bien le nirvâna, le salut, la béatitude… Cette innocente rhétorique, qui rentre dans le domaine de l’idiosyncrasie religieuse et morale, paraîtra beaucoup moins innocente dès que l’on comprendra quelle est la tendance qui se drappe ici dans un manteau de paroles sublimes : l'inimitié de la vie. Schopenhauer était l’ennemi de la vie, c’est pourquoi la pitié devint pour lui une vertu… On sait qu’Aristote voyait dans la pitié un état maladif et dangereux qu’on faisait bien de déraciner de temps en temps au moyen d’un purgatif : la tragédie, pour lui, était ce purgatif. Pour protéger l’instinct de vie, il faudrait en effet chercher un moyen de porter un coup à une accumulation de pitié, si dangereuse et si maladive comme elle est représentée par le cas de Schopenhauer (et malheureusement aussi par celui de toute notre décadence littéraire et artistique, de Saint-Pétersbourg à Paris, de Tolstoï à Wagner), afin de la faire éclater… Rien n’est plus malsain, au milieu de notre modernité malsaine, que la pitié chrétienne. Être médecins dans ce cas, implacables ici, diriger le scalpel, cela fait partie de nous-mêmes, cela est notre façon d’aimer les hommes, par elle nous sommes philosophes, nous autres hyperboréens ! — — — »
NIETZCHE, F. W. The Antichrist. Translated from the German with an Introduction by H. L. Mencken. New York : Alfred A. Knopf, 1931 (1918 ; 1920 ; 1923). 182 p.
N.B. : numérisation : Internet Archive - Duke University Libraries ; téléchargé depuis : https://archive.org.
NIETZCHE, Friedrich. Ecce Homo. Nachwort : Raoul Richter. Drucker : Friedrich Richter ; Titel, Einband und Ornamente zeichnete Henry van de Velde. Leipzig : Insel-Verlag - Raoul Richter (sans date – ohne Zeitpunkt… 1908 [?]). 154 p.
N.B. : numérisation : Getty Research Institute ; téléchargé depuis : https://archive.org.
NIETZCHE, Frédéric. Ecce Homo – Comment on devient ce que l’on est. Mercure de France, 16-XI-1908, p. 196-214 – 1-XII-1908, p. 398-415 – 16-XII-1908, p. 617-639 – 1-I-1909, p. 50-69 – 16-I-1909, p. 244-263.
N.B. : numérisation : Gallica - BNF ; téléchargé depuis : Wikisource.
Extrait de : Extrait de « Ecce homo – Comment on devient ce que l’on est » ; p. 198-201 du Mercure de France du 16-XI-1908 (p. 3-6 du fichier PDF ; intégralité de la « Préface ») :
« 1.
« En prévision que d’ici peu j’aurai à soumettre l’humanité à une exigence plus dure que celles qui lui ont jamais été imposées, il me paraît indispensable de dire ici qui je suis. Au fond, on serait à même de le savoir, car je ne suis pas resté sans témoigner de moi. Mais le désaccord entre la grandeur de ma tâche et la petitesse de mes contemporains s’est manifesté par ceci que l’on ne m’a ni vu ni même entendu. Je vis sur le crédit que je me suis fait à moi-même, et, de croire que je vis, c’est peut-être là seulement un préjugé !… Il me suffît de parler à un homme « cultivé » quelconque qui vient passer l’été dans l’Engadine supérieure, pour me convaincre que je ne vis pas… Dans ces conditions il y a un devoir, contre lequel se révolte au fond ma réserve habituelle et, plus encore, la fierté de mes instincts, c’est le devoir de dire : Écoutez-moi car je suis un tel. Avant tout ne me confondez pas avec un autre !
« 2.
« Je ne suis, par exemple, nullement un croque-mitaine, un monstre moral, — je suis même une nature contraire à cette espèce d’hommes que l’on a vénérés jusqu’à présent comme des modèles de vertu. Entre nous soit dit, je crois précisément que cela peut être pour moi un objet de fierté. Je suis un disciple du philosophe Dionysos ; je préférerais encore être considéré comme un satyre que comme un saint. Qu’on lise donc cet ouvrage ! Peut-être ai-je réussi à y exprimer ce contraste d’une façon sereine et bienveillante, peut-être qu’en l’écrivant je n’avais pas d’autre intention. Vouloir rendre l’humanité « meilleure », ce serait la dernière chose que je promettrais. Je n’érige pas de nouvelles idoles ; que les anciennes apprennent donc ce qu’il en coûte d’avoir des pieds d’argile ! Renverser des idoles — j’appelle ainsi toute espèce d’idéal — c’est déjà bien plutôt mon affaire. Dans la même mesure où l’on a imaginé par un mensonge le monde idéal, on a enlevé à la réalité sa valeur, sa signification, sa véridicité… Le « monde-vérité » et le « monde-apparence », traduisez : le monde inventé et la réalité… Le mensonge de l’idéal a été jusqu’à présent la malédiction suspendue au-dessus de la. réalité. L’humanité elle-même, à force de se pénétrer de ce mensonge, a été faussée et falsifiée jusque dans ses instincts les plus profonds, jusqu’à l’adoration des valeurs opposées à celles qui garantiraient le développement, l’avenir, le droit supérieur à l’avenir.
« 3.
« Celui qui sait respirer l’atmosphère qui remplit mon œuvre sait que c’est une atmosphère des hauteurs, que l’air y est vif. Il faut être créé pour cette atmosphère, autrement l’on risque beaucoup de prendre froid. La glace est proche, la solitude est énorme — mais voyez avec quelle tranquillité tout repose dans la lumière ! voyez comme l’on respire librement ! que de choses on sent au-dessous de soi ! —
« La philosophie, telle que je l’ai vécue, telle que je l’ai entendue jusqu’à présent, c’est l’existence volontaire au milieu des glaces et des hautes montagnes — la recherche de tout ce qui est étrange et problématique dans la vie, de tout ce qui, jusqu’à présent, a été mis au ban par la morale. Une longue expérience, que je tiens de ce voyagé dans tout ce qui est interdit, m’a enseigné à regarder, d’une autre façon qu’il pourrait être souhaitable, les causes qui jusqu’à présent ont poussé à moraliser et à idéaliser. L’histoire cachée de la philosophie, la psychologie des grands noms qui l’ont illustrée se sont révélées à moi. Le degré de vérité que supporte un esprit, la dose de vérité qu’un esprit peut oser, c’est ce qui m’a servi de plus en plus à donner la véritable mesure de la valeur. L’erreur (c’est-à-dire la foi en l’idéal), ce n’est pas l’aveuglement ; l’erreur, c’est la lâcheté… Toute.conquête, chaque pas en avant dans le domaine de la connaissance a son origine dans le courage, dans la dureté à l’égard de soi-même, dans la propreté vis-à-vis de soi-même. Je ne réfute pas un idéal, je me contente de mettre des gants devant lui… Nitimur in vetitum, par ce signe ma philosophie sera un jour victorieuse, car jusqu’à présent on n’a interdit par principe que la vérité. —
« 4.
« Dans mon œuvre, mon Zarathoustra tient une place à part. Avec lui j’ai fait à l’humanité le plus beau présent qui lui fut jamais fait. Ce livre, avec l’accent de sa voix qui domine des milliers d’années, n’est pas seulement le livre le plus haut qu’il y ait, le véritable livre des hauteurs — l’ensemble des faits qui constitue « l’homme » se trouve au-dessous de lui, à une distance énorme —, il est aussi le livre le plus profond, né de la plus secrète abondance de la vérité, puits inépuisable où nul seau ne descend sans remonter à la surface débordant d’or et de bonté. Ici ce n’est pas un « prophète » qui parle, un de ces horribles êtres hybrides composés de maladie et de volonté de puissance, que l’on appelle fondateurs de religions. Il faut avant tout entendre, sans se tromper, l’accent qui sort de cette bouche — un accent alcyonien — pour ne pas méconnaître pitoyablement le sens de sa sagesse. « Ce sont des paroles silencieuses qui apportent la tempête ; des pensées qui viennent sur des pattes de colombes dirigent le monde. »
« Les figues tombent de l’arbre, elles sont bonnes et douces, et en tombant leur rouge pelure se déchire.
« Je suis un vent du nord pour les figues mûres.
« C’est ainsi que, pareils à des figues, mes enseignements tombent jusqu’à vous : buvez donc leur suc et leur tendre chair !
« L’automne est autour de nous, la pureté du ciel et de l’après-midi.
« Ce n’est pas un fanatique qui parle ; ici l’on ne « prêche » pas, ici l’on n’exige pas la foi. D’une infinie plénitude de lumière, d’un gouffre de bonheur, la parole tombe goutte à goutte. Une tendre lenteur est l’allure de ce discours. De pareilles choses ne parviennent qu’aux oreilles des plus élus ; c’est un privilège sans égal que de pouvoir écouter ici ; personne n’est libre de comprendre Zarathoustra… Mais, en tout cela, Zarathoustra n’est-il pas un séducteur ?… Que disait-il donc lui-même lorsqu’il retourna pour la première fois à sa solitude ? Exactement le contraire de ce que diraient, en un pareil cas, un « sage », un « saint », un « Sauveur du monde » ou quelque autre décadent… Il ne parle pas seulement différemment, il est aussi différent…
« Je m’en vais seul maintenant, mes disciples ! Vous aussi, vous partirez seuls ! Je le veux ainsi.
« En vérité, je vous le conseille : éloignez-vous de moi et défendez-vous de Zarathoustra ! Et mieux encore : ayez honte de lui ! Peut-être vous a-t-il trompés.
« L’homme qui cherche la connaissance ne doit pas seulement savoir aimer ses ennemis, mais aussi haïr ses amis.
« On n’a que peu de reconnaissance pour un maître quand on reste toujours élève. Et pourquoi ne voulez-vous pas déchirer ma couronne ?
« Vous me vénérez ; mais que serait-ce si votre vénération s’écroulait un jour ? Prenez garde à ne pas être tués par une statue !
« Vous dites que vous croyez en Zarathoustra ? Mais qu’importe Zarathoustra ! Vous êtes mes croyants : mais qu’importent tous les croyants !
« Vous ne vous étiez pas encore cherchés : alors vous m’avez trouvé. Ainsi font tous les croyants ; c’est pourquoi la foi est si peu de chose.
« Maintenant je vous ordonne de me perdre et de vous trouver vous-même ; et ce n’est que quand vous m’aurez tous renié que je reviendrai parmi vous.
« —————
« En ce jour parfait où tout arrive à maturité, où le raisin n’est pas seul à brunir, un rayon de soleil vient de tomber sur ma vie : j’ai regardé derrière moi, j’ai regardé devant moi et jamais je ne vis autant de bonnes choses à la fois. Ce n’est pas en vain que j’ai enterré aujourd’hui ma quarante-quatrième année, car j’avais le droit de l’enterrer, — ce qui en elle était viable a pu être sauvé, est devenu immortel. Le premier livre de la Transmutation de toutes les Valeurs, les Chants de Zarathoustra, le Crépuscule des Idoles, ma tentative de philosopher à coups de marteau — tout cela ce sont des cadeaux que m’a faits cette année, et même le dernier trimestre de cette année. Pourquoi ne serais-je pas reconnaissant à ma vie tout entière ? C’est pourquoi je me raconte ma vie à moi-même. »
NIETZCHE, Friedrich. Ecce Homo. Translator : T. N. Foulis [?]. Portland : Smith & Sale, 1911. 60 p.
N.B. : numérisation : Library of Congress ; téléchargé depuis : https://archive.org.
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A priori nous ne mettrons pas en ligne sur notre site d'autres textes de Friedrich Nietzsche. Toutefois nous indiquons aux lecteurs tout particulièrement intéressés par l'œuvre de cet auteur remarquable à plus d'un titre les coordonnées d'un site lui étant spécialement dédié. Voici donc l'adresse d'un site de l’Internet depuis lequel il est possible de télécharger d’autres ouvrages de Friedrich Nietzche :
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Carmina Burana – BSB Clm 4660. (N.B. : Handschrift des XIII. Jahrhunderts [manuscrit du XIIIe siècle]).
N.B. : numérisation : MDZ (Münchener DigitalisierungsZentrum - Digitale Bibliothek) ; conservation : BSB (Bayerische StaatsBibliothek) ; téléchargé depuis : https://daten.digitale-sammlungen.de.
Le fichier consistant en la reproduction des Carmina Burana (comme est donc intitulé le Codex Buranus depuis plus de deux siècles maintenant), que nous vous proposons, a été téléchargé depuis le site de la MDZ (Münchener DigitalisierungsZentrum - Digitale Bibliothek) ; le codex est conservé à BSB (Bayerische StaatsBibliothek, à Munich [München]).
Carmina Burana – Lateinische und deutsche Lieder und Gedichte einer Handschrift des XIII. Jahrhunderts aus Benedictbeuern auf der K. Bibliothek zu München. Heraus gegeben von J. A. Schmeller. Zweite unveränderte Auflage. Breslau : Wilhelm Koebner, 1883. X p. et 275 p.
[N.B. – Traduction du titre de l'ouvrage : Carmina Burana – Chants et poèmes latins et allemands d'un manuscrit du XIIIe siècle de Benedictbeuern de la Bibliothèque royale de Munich. Publié par J. A. Schmeller. Deuxième édition inchangée].
N.B. : numérisation, conservation : University of Toronto Library ; téléchargé depuis : https://archive.org.
Le manuscrit (Codex Buranus) fut découvert, en l’abbaye de Benediktbeuern 1, à Laingruben 2, dans les Alpes bavaroises, en 1803. En cette année l’abbaye bénédictine était sécularisée ; le Codex Buranus était alors confié à la K. Bibliothek de Munich (München) — aujourd'hui : Bibliothèque nationale bavaroise (Bayerische StaatsBibliothek). Ce codex, assurément la nature des textes le composant explique-t-elle cela, n’était répertorié dans aucun catalogue du monastère.
Les trois cents quinze textes composant le Codex Buranus (codex doté d’une épaisse reliure en cuir avec fermeture métallique) furent rédigés principalement en langues latine et allemande (mais aussi en francoprovençal), (du XIe siècle [?]) au XIIIe siécle.
Ces textes réunis dans le Codex Buranus seraient œuvres de goliards 3, jeunes étudiants, itinérants le cas échéant, ou laïcs, ayant suivi une formation de clercs et dotés de mentalités hardies, irrévérencieuses, voire « contestataires ».
Les thèmes abordés par les auteurs des textes composant le Codex Buranus peuvent se distribuer en plusieurs catégories relevant de différents domaines ; le domaine religieux, certes, le domaine moral… Mais l’inspiration des auteurs se révélant très souvent profane, les thèmes traités se distribuent également en catégories relevant d’autres domaines encore, tels les domaines satiriques et amoureux ; de nombreux textes peuvent ainsi évoquer, en termes plus ou moins crus, les affres du jeu, mais aussi évoquer des contextes bachiques, les plaisirs, la volupté…
Johann Andreas Schmeller (1785-1852), un philologue allemand, intitula « Carmina Burana » ce recueil de textes médiévaux ; titre sous lequel il est maintenant universellement connu.
Nous ne pouvons, nous semble-t-il, traiter des Carmina Burana sans mentionner la cantate qu’ils inspirèrent au musicien Carl Orff (1895-1982).
Orff découvrit les Carmina Burana par l’intermédiaire de l’ouvrage intitulé « Wine, Women, and Song – Mediæval Latin Students’ Songs – Now first translated into English Verse with an Essay » de John Addington Symonds 5, publié à Londres en 1884 (pour la première édition ; en ce qui concerne une seconde édition en 1907 ; par la même maison d’édition : Chatto and Windus), qui comprend, entre autres, de nombreux textes (quarante-six) issus de l’édition imprimée du « Benedictbeuern Codex » portant le titre de « Carmina Burana ».
Un étudiant, Michel Hofmann, grand connaisseur en matière de cultures latine et grecque, contribua utilement au choix des textes, au nombre de vingt-quatre, qui, tirés des Carmina Burana (i.e. : Codex Buranus), composent la cantate homonyme ; il contribua également à l’élaboration du livret de la cantate.
La cantate de Carl Orff qui s’ouvre et se ferme sur le poème « O Fortuna » participa à l'accroissement de la célébrité de ce texte 6.
NOTES :
1 - « […] au monastère de Beuron, en Bavière » : MICHEL, Alain. Littérature latine médiévale. In : Encyclopædia Universalis (Édition numérique - version 13 ; 2008).
Un établissement, qui fut dénommé « Buron », tout d’abord laïque, fut instauré par Charles Martel en vue de surveiller, de contrôler les passages, les cols de la montagne toute proche ; et dès 725 y fut fondé le monastère, qui moins d’un siècle plus tard fut doté d’une relique (bras) de saint Benoît, et lui fut consacré, prenant alors le nom de Benedictoburanum (i.e. : Maison dédiée à Benoît, par latinisation de la dénomination originelle utilisée ici en guise de terminaison.
La terminaison de Benediktbeuern, « -beuern », tout comme ces autres : -beuren, -beuron, -birn, -büren, bur(en) etc., dérivent du vieil haut-allemand, du germain « bur », et signifie petite maison, maison, habitation, bâtiment, abri…
Le terme « Buron », c’est-à-dire, sous la forme prise au cours des âges dans le cas qui nous intéresse tout spécialement, « -Beuern » fut latinisé sur la base des racines consonantiques du terme ; ainsi obtint-on Buranus ou Burana selon le cas.
En matière de francisation : les termes « Buron » ou « Beuern », usw, par une francisation logique et raisonnable compte tenu de la descendance en français, en France (en matière de substantifs tout autant que de toponymes) du terme germanique nous semble pouvoir effectivement aboutir à un « Beuron » de bon aloi, pertinent à la fois en français ou en allemand…
Ainsi Codex Buranus peut être rendu de façons diverses, par « Codex buronien », « Codex de Buron »,etc., et Carmina Burana par « Chants de Beuern », « Chansons de Buron »…
2 - La municipalité ne prit le nom de l’abbaye qu’en 1865.
3 - Cf. GOGLIN, Jean-Louis. Les Misérables dans l’Occident médiéval. Paris : Éditions du Seuil, 1976. Coll. Points-Histoire. 242 p. P. 129 et 234.
4 - Münchener DigitalisierungsZentrum - Digitale Bibliothek :
https://daten.digitale-sammlungen.de/~db/0008/bsb00085130/images/
5 - Nous vous proposons cet ouvrage dans notre collection « Non Licet Omnibus Adire Corinthum ».
6 - La musique, dont le compositeur est Trevor Jones, du film « Excalibur », tourné en 1981, inclut notamment l’« O Fortuna » des Carmina Burana de Carl Orff pour en accentuer les épisodes les plus remarquables ; ce film contribua manifestement à accroître encore la notoriété de Carl Orff ; tout comme, incontestablement, la musique de C. Orff contribua au succès de ce film.
Extrait de : Carmina Burana – Lateinische und deutsche Lieder und Gedichte einer Handschrift des XIII. Jahrhunderts aus Benedictbeuern auf der K. Bibliothek zu München. Heraus gegeben von J. A. Schmeller. Zweite unveränderte Auflage. Breslau : Wilhelm Koebner, 1883. X p. et 275 p. ; extrait de « Vorerinnerung zur ersten Auflage. [1847.] » (Rappel préliminaire de la première édition. [1847.]), p. IX :
« Wie sehr verschieden diese Blumen seien an Farbe und innerm Werth, ein eigenthümlicher Reiz, der ihnen unverkümmert bleibt, liegt darin, dass sie lebendiges Zeugniss geben von der Weise, in der man vor einem halben Jahrtausend klagend oder jubelnd sich ausgesprochen hat über Gefühle, Freuden und Leiden, die ein altes Herkommen sind und ein ewiges Dableiben unter den Kindern der Menschen. Schon dieses Reizes wegen wird sich, glauben wir, mancher Leser gerne ergehen in solchem alterthümlichen Gärtlein ; und je weniger kritische Dornen und Disteln er sich in den Weg gelegt findet, so lieber wird es him sein. Deshalb sind jene Lesarten der Handschrift, die wir durch Vermuthungen zu ersetzen gewagt haben, nicht gleich unter dem Texte selbst angegeben, sondern am Schlusse des Ganzen zusammengestellt, wo man auch eine Uebersicht der Stücke finden wird. »
Ce que nous traduisons ainsi en français :
« De ce florilège, toutes les fleurs se montrent fort différentes en couleurs et en valeurs et s’y attache un charme très particulier qui jamais ne se dément, charme se justifiant par le fait que s’y manifeste un témoignage de la façon dont voilà un demi-millénaire on se lamentait ou se réjouissait, en exprimant ses sentiments, ses joies ou ses peines, éternelles satisfactions ou afflictions qui depuis les origines affectent le cœur des enfants des hommes. Grâce à ce charme, nous osons croire que nombre de lecteurs apprécieront visiter un tel ancestral jardin ; et moins ces lecteurs trouveront sur leur chemin chardons ou épines acérées, plus aisé sera leur parcours. Ceci donc est la raison pour laquelle les lectures, lectures reposant sur de simples suppositions, que nous avons osées faire de certains textes du manuscrit ne sont pas spécifiées sous les textes considérés eux-mêmes, et pourquoi les indications n'en sont compilées qu'en fin d’ouvrage, où, à ce niveau, on trouvera également une vue d’ensemble des pièces qui le composent. »
Extrait de : Carmina Burana – Lateinische und deutsche Lieder und Gedichte einer Handschrift des XIII. Jahrhunderts aus Benedictbeuern auf der K. Bibliothek zu München. Heraus gegeben von J. A. Schmeller. Zweite unveränderte Auflage. Breslau : Wilhelm Koebner, 1883. X p. et 275 p. P. 1-2 ; « O Fortuna » :
« 1. / O FORTUNA, / velut luna / statu variabilis, / semper crescis / aut decrescis ; / vita detestabilis / nunc obdurat / et tunc curat / ludo mentis aciem, / 'egestatem', / potestatem / dissolvit ut glaciem.
« 2. / Sors inmanis / et inanis, / rota tu volubilis, / status malus, / vana salus / semper dissolubilis, / obumbratam / et velatam / mihi quoque niteris, / nunc per ludum / dorsum nudum / fero tui sceleris.
« 3. / Sors salutis / et virtutis / mihi nunc contraria, / est affectus / et defectus / semper in angaria ; / hac in hora / sine mora / cordis pulsum tangite, / quod per sortem / sternit fortem / mecum omnes plangite. »
Nous vous proposons de lire, ci-dessous, une traduction-adaptation de ce texte (traduction issue de : Raudrac du Bray, Émile. La Nécessité unique. Fondettes : Carraud-Baudry, 2000-2016. 56 p. P. 46-47 — Ouvrage disponible dans notre collection « Horresco Referens ») :
« Ô Toi Fortune, / Tout comme la Lune, / Toujours tu es changeante, / Toujours en croissance, / Toujours en décroissance.
« La détestable vie, / Qui d’abord oppresse, / Ensuite qui apaise, / Et le jeu, insidieux, qui subjugue la raison, / Et l’indigence, / Et la puissance, / Devant ta face fondent comme glace.
« Sort cruel, / Tout de vacuité, / Tu fais tourner la roue, / Et tu es mauvais.
« Vaine santé / Toujours vouée à la décrépitude, / La décadence, / L’anéantissement, / Tu me tourmentes également.
« Alors, par jeu, / Mon dos nu / J’expose à ta scélératesse !
« Les desseins du Sort / Et toute sa puissance / Sont maintenant contre moi, / Sont disposés pour ma perte. / Et réduit à l’esclavage, / Par le Sort, je suis toujours défait.
« Donc, à cette heure, / Et sans plus attendre, / Que vibrent les cordes de vos instruments.
« Et parce que le Sort / Toujours triomphe de l’homme, même le plus fort, / Pleurez ! Pleurez donc tous avec moi ! »
Qui, n'étant pas encore un latiniste compétent, voudrait s'exercer à la traduction du latin en français, ou, voire, du français en latin, trouvera dans notre collection « De Omni Re Scibili Et Quibusdam Aliis » quelques outils utiles pour ce faire, tels que diverses grammaires latines, divers dictionnaires ou lexiques latin-français, ou français latin…
L'illustration de ce paragraphe est constituée
d'une reproduction de l'illustration de la page 1 de :
Carmina Burana – Lateinische und deutsche Lieder und Gedichte
einer Handschrift des XIII. Jahrhunderts aus Benedictbeuern
auf der K. Bibliothek zu München.
Heraus gegeben von J. A. Schmeller.
Zweite unveränderte Auflage.
Breslau : Wilhelm Koebner, 1883.
Cette illustration est une imitation, par simple dessin, en noir et blanc,
de l'enluminure se trouvant au début du Codex Buranus
[« einer Handschrift des XIII. Jahrhunderts aus Benedictbeuern
auf der K. Bibliothek zu München »]
et représentant la Fortune,
siégeant en gloire au centre de sa roue,
en manière de Christ Pantocrator.
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ΣΑΛΟΥΣΤΙΟΣ (SALOUSTIOS). Περι θεων και κοσμου (À propos des dieux et du monde). Préface en français [par P. É. Carraud] – Texte grec du traité – Traduction du traité en français par J. H. S. Formey. Fondettes : Carraud-Baudry, 2020. (Éditions numériques, fichiers PDF ; formats A4 [120 p.] et A5 [134 p.]).
Extrait n°1: extrait de la première partie (intitulée Le texte de Saloustios) de la Préface (p. 13 et 14, de l’édition au format A4 ; p. 15 et 16, de l’édition au format A5).
« Les douze premiers chapitres du Περὶ Θεῶν καὶ Κόσμου 5, ouvrage constituant, de l’opinion commune, un petit catéchisme païen, ne nous semblent pas avoir été destinés à un lectorat de béotiens, comme parfois certains commentateurs l’ont pu soutenir. Dès le début de son opuscule Saloustios montre une certaine exigence vis-à-vis de son lectorat, des personnes désireuses de s’instruire sur les dieux, sur le monde, sur le bien, sur le mal… ; il estime nécessaire que ces personnes, dès leur plus jeune âge, dès l’enfance aient été convenablement éduquées, dirigées, afin d’échapper à la séduction de croyances absurdes, insensées. Simplement, il apparaît que s’élabore dans son ouvrage une sorte d’herméneutique, d’exégèse de certains mythes les plus susceptibles de provoquer incompréhensions, ou controverses parmi les contradicteurs, détracteurs, zoïles les plus enclins à d’âpres disputes, à de sérieuses controverses.
« À partir du treizième chapitre se révèle au cours de l’ouvrage le souci de développer, d’élaborer une argumentation propre à présenter le paganisme, ses rites, ses croyances, notamment relativement à l’esprit, à l’âme, d’une manière rationnelle, logique 6. »
Notes de bas de pages du texte cité :
« 5 – « Le titre de l'opuscule n'est pas fourni par les manuscrits, qui signalent simplement l'ouvrage comme un « livre sur les dieux ». Le titre sous lequel il s'est imposé, Περὶ θεῶν καὶ κόσμου, a été créé par Leo Allatius, auteur de l'édition princeps parue à Rome en 1638. » In : GOULET, Richard (dir.). DICTIONNAIRE DES PHILOSOPHES ANTIQUES. Volume VI : de Sabinillus à Tyrsénos. Paris : CNRS Éditions, 2006. P. 92 (auteur : Jean Bouffartigue).
« 6 – Pour de plus amples détails concernant l’œuvre de Saloustios, entre autres textes, cf. CÉLÉRIER, Pascal. L’ombre de l’empereur Julien : Le destin des écrits de Julien chez les auteurs païens et chrétiens du IVe au VIe siècle. Nouvelle édition. Nanterre : Presses universitaires de Paris Nanterre, 2013. Voir tout particulièrement, relativement au thème qui ici nous intéresse, les pages 89 à 104 de l’ouvrage, sa partie intitulée « Saloustios, philosophe julianien qui ne cite pas Julien », dont nous citons ci-après le commencement : « Le petit livre de Saloustios intitulé Des dieux et du monde est d’ordinaire présenté comme un ouvrage de vulgarisation des doctrines philosophiques néoplatoniciennes chères à l’empereur Julien émanant d’un de ses proches 1. Sur plusieurs sujets, les commentateurs de ce texte ont pu relever des affinités nettes. Pourtant, jamais l’auteur ne cite le nom de Julien ni aucun de ses livres, pas même sous forme de périphrases ou d’allusions. Même le style de Saloustios est jugé très différent de celui de Julien 2. Par ailleurs, certains grands thèmes spécifiques à la philosophie de Julien sont tout aussi absents : rien sur le cynisme ou les cyniques, rien sur la divinité d’Hélios, rien sur l’antichristianisme. La forme de l’ouvrage, un exposé systématique des doctrines philosophico-religieuses, un « catéchisme », comme on a pu le dire, expliquerait la difficulté éprouvée par les commentateurs à discerner des reprises précises de textes de Julien 3, car jamais Julien ne s’est livré à un tel mode d’exposition. » (N.B : nous ne reproduisons pas les textes des notes). Pascal Célérier poursuit : « Il est pourtant un passage du De deis et mundo qui s’offre spontanément à un rapprochement avec les écrits de Julien : les chapitres III et IV du préambule qui traitent du mythe en général et du mythe d’Attis en particulier. Le lecteur relève facilement des échos de thèmes et de mots avec les textes du Contre Héracleios et du Sur la Mère des dieux. »… Ensuite P. Célérier expose « La doctrine philosophique du mythe » telle que l’ont pu développer Saloustios et l’empereur Julien, qu’il récapitule et compare dans un long tableau particulièrement instructif (« En effet, Saloustios y reprend une série de questions touchant le mythe que Julien avait lui-même traitées. Voici récapitulées ces différentes questions dans un tableau où nous avons voulu faire apparaître les rapprochements doctrinaux et lexicaux, mais aussi les différences : […] »). Aussi P. Célérier se livre à quelques suppositions des plus intéressantes et notamment à celle-ci : « Saloustios exprimerait un paganisme philosophique moins émotionnel que celui de Julien, débarrassé des excès du sentiment religieux jugés trop superstitieux. Saloustios, porte-parole de ce milieu, aurait voulu rectifier ou corriger les spéculations de Julien. Les divergences que nous avons pu noter là où on s’attendait à des rapprochements témoigneraient, ajoutées au silence touchant le nom de Julien, les titres de ses œuvres et son dieu favori, d’un véritable écart avec sa pensée. » »
Extrait n°2 : texte grec du Chapitre premier du Traité de Saloustios (p. 25 de l’édition au format A4 ; p. 29 de l’édition au format A5).
« Τούς περί Θεών άκούειν έθέλοντας, δεί μέν έκ παίδων ἦχθαι καλῶς, καὶ μὴ ἀνοήτοις συντρέφεσθαι δόξαις· δεῖ δὲ καὶ τὴν ϕύσιν ἀγαθοὺς εἶναι, καὶ ἔμφρονας (ἵνα ὀρθῶς προς) ἔχωσι τοῖς λόγοις· δεῖ δὲ αὐτοὺς καὶ τὰς κοινὰς ἐννοίας εἰδέναι. Κοιναὶ δέ εἰσιν ἔννοιαι ὅσας πάντες ἄνθρωποι ὀρθῶς ἐρωτηθέντες ὁμολογήσουσιν· οἷον, ὅτι πᾶς Θεὸς ἀγαθός, ὅτι ἀπαθής, ὅτι ἀμετάβλητος· πᾶν γὰρ τὸ μεταβαλλόμενον, ἐπὶ τὸ κρεῖττον, ἢ ἐπὶ τὸ χεῖρον. Καὶ εἰ μὲν ἐπὶ τὸ χεῖρον, κακύνεται, εἰ δὲ ἐπὶ τὸ κρεῖττον, τὴν ἀρχὴν ἦν κακόν. »
Extrait n°3 : traduction (par J. H. S. Formey) du Chapitre premier du Traité de Saloustios (p. 73 de l’édition au format A4 ; p. 79 de l’édition au format A5).
« Pour être en état de s’instruire de ce qui concerne les dieux, il faut avoir été bien dirigé dès l’enfance, et ne point être imbu de folles opinions. À cela doit se joindre un bon naturel, un jugement droit, et une attention convenable à la nature des enseignements. La connaissance des notions communes est aussi indispensable. Ces notions sont celles sur lesquelles tous les hommes étant interrogés, se trouvent d’accord : par exemple, que toute divinité est bonne, impassible, et immuable. En effet tout ce qui est assujetti au changement, devient meilleur ou pire. Si c’est le dernier, il acquiert le mal ; si c’est le premier, le mal existait auparavant en lui. »
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ΣΑΛΛΟΥΣΤΙΟΥ ΦΙΛΟΣΟΦΟΥ : Περὶ Θεῶν καὶ Κόσμου. Traité des Dieux et du Monde, par Salluste le Philosophe. Traduit du grec, avec des réflexions philosophiques et critiques [par Johann Heinrich Samuel Formey]. Berlin : Chretien Louis Kunst, MDCCXLVIII (1748). 168 p.
N.B. : numérisation : Google ; conservation : Faculté de Théologie de L'Église Évangélique libre du Canton de Vaud ; téléchargé depuis : https://books.google.com.
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SALLUSTE LE PHILOSOPHE. Traité des dieux et du monde, par Salluste le philosophe, traduit du grec, avec un commentaire littéraire et moral [par Johann Heinrich Samuel Formey]. Nouvelle édition. Paris : Imprimerie de Patris, MDCCXCVI (1796). XVI p., 175 p. et III p.
N.B. : numérisation : Numelyo – Bibliothèque numérique de Lyon ; conservation : Bibliothèque municipale de Lyon ; téléchargé depuis : https://numelyo.bm-lyon.fr.
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Abhandlung von den Götten und von der Welt, durch Sallustius den Philosophen. Aus dem Griechischen übersezzt, mit gelehrten und moralischen Anmerkungen. Frankfurt und Leipzig : Heinrich Ludwig Brönner, 1761. 146 p. et 30 p.
(Traduction du titre : Traité des dieux et du monde, par Salluste le philosophe. Traduit du grec, avec remarques érudites et morales.)
N.B. : l'ouvrage est rédigé en langue allemande (auf Deutsch) donc, et est imprimé en caractères gothiques (écriture Fraktur : Frakturschrift).
N.B. : numérisation : Google ; conservation : Harvard Univ. Lib. ; téléchargé depuis : https://books.google.com.
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ΣΑΛΛΟΥΣΤΙΟΥ ΦΙΛΟΣΟΦΟΥ, Περὶ Θεῶν καὶ Κόσμου. SALLUSTII PHILOSOPHI, Libellus de Diis et Mundo. Graece et latine. Emendatius edidit. Lucae Holsteni et Thomae Galei annotationibus integris. Formeii autem selectis aliorumque et suis nec non locis e scriptis platonicorum excerptis illustravit. IOH. CONRADUS ORELLIUS [Iohannes Conradus Orellius : Johann Konrad (von) Orelli]. Parochus ad Templum Spiritus Sancti et Collegii Carolini, Turicensis Canonicus. Turici : Typis Orellii, Fuesslini et Soc. MDCCCXXI (1821). 205 p.
N.B. : numérisation : Google ; conservation : Université de Gand (Gent) ; téléchargé depuis : https://books.google.com.
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SALLUST, On the Gods and the World ; and The Pythagoric sentences of DEMOPHILUS, translated from the greek ; and Five Hymns by PROCLUS, in the original greek, with a poetical version. To wich are added, Five Hymns by the Translator [Thomas Taylor]. London : printed for Edward Jeffrey, Pall Mall, 1793. XVI p. et 169 p.
N.B. : numérisation : Google ; conservation : Bodleian Library - Univ. of Oxford ; téléchargé depuis : https://books.google.com.
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